samedi 3 mai 2014

Lettres - Modigliani/Akhmatova

Portrait de Jeanne Hébuterne

Je devrais, normalement, parler de l'Ukraine. Ca y est ! La guerre est lancée. Une guerre non dite de la Russie contre l'Ukraine, une guerre dictée par l'esprit de vengeance, pour punir les Ukrainiens de préférer l'indépendance et la démocratie au totalitarisme.Ce qui est effrayant, c'est que la majorité des Russes est à fond derrière Poutine. Les haines sont maintenant immenses et l'éclatement de l'Ukraine semble inéluctable.

Mais attention, la guerre qui commence aujourd'hui, ce n'est peut-être pas la Yougoslavie 1991. Ca peut aussi être Sarajevo 1914. Il serait grand temps que la diplomatie occidentale sorte enfin de sa torpeur et de son inertie. Par une ironie de l'histoire, il va y avoir, dans quelques semaines, des élections européennes. Il ne faudrait pas que la cause ukrainienne devienne le fiasco moral de l'Europe, le symbole de son impuissance, la démonstration qu'elle n'est qu'un espace économique dépourvu de tout idéal éthique.

Mais je m'arrête là. Je risquerais d'être trop véhémente et puis, l'actualité politique, ça n'est pas l'objet de ce blog. Alors, je préfère parler des bouquins que je viens de lire :


* Elisabeth BARILLE : "Un amour à l'aube". L'une de mes écrivains français préférés (il faut absolument lire "Corps de jeune fille", "Heureux parmi les morts", "Une légende russe", "Exaucez-nous"). Son dernier livre est passionnant et bien documenté. Il relate une histoire qui avait été occultée : celle de la rencontre, en 1910, d' Anna Akhmatova, la grande poétesse russe (dénigrée par Jdanov et le pouvoir soviétique  pour "érotisme, mysticisme et indifférence politique") et Amedeo Modigliani . Une fascination et une passion réciproques; un amour probablement inassouvi mais fécond. On peut réévaluer ces deux artistes à la lumière de leur rencontre et de ce que l'un doit à l'autre : les portraits de Modigliani sont hantés par la silhouette d'Akhmatova, la simplicité et la sensualité des poèmes d'Akhmatova évoquent les tableaux de Modigliani. Un roman, un livre d'amour et d'histoire, un voyage dans le temps et dans deux pays : le Montparnasse des débuts du cubisme et les poètes de "la Tour" d'Ivanov à Saint-Pétersbourg.


* Chantal THOMAS : "Un air de liberté - Variations sur l'esprit du XVIII° siècle". Elle est aussi l'un de mes écrivains favoris. On a tendance à se croire absolument modernes et à estimer qu'on n'a jamais été aussi libres de pensée et de moeurs. A voir parce qu'on n'a, en fait, peut-être jamais porté aussi haut qu'au 18 ème siècle l'esprit de rébellion. Publierait-on aujourd'hui tous les écrivains du 18 ème siècle ?   Il y a bien un esprit du 18 ème siècle, rebelle, vagabond, fantaisiste, "une philosophie du plaisir, une intelligence du désir, un génie du moment". Et surtout, un grand style. Une succession de petits essais consacrés à Sade, Laclos, Casanova mais aussi à Mme de Tencin, Mme Roland, Mme de Staël.


* Jean-Jacques SCHUL : "Obsessions".Jean-Jacques Schul, en revanche, je n'avais encore jamais lu. Mais j'ai trouvé ce petit livre très étonnant, élégant et drôle à la manière d'un film de Jarmusch. Tous ces petits récits bizarres s'emboîtent les uns dans les autres. Une question essentielle : le décalage entre le réel et le fantasme. Les désillusions de la réalité.



* Astrid ROSENFELD : "Le legs d'Adam". La littérature allemande, c'est toujours bien. La confrontation en miroir de l'Allemagne contemporaine et de l'époque nazie. La vie sidérante d'un grand oncle Adam qui part à la recherche, en Pologne, de la jeune fille dont il a toujours rêvé, qui échange son identité, travaille pour un dignitaire nazi et pénètre dans le ghetto de Varsovie.


4 dessins d'Anna Akhmatova par Modigliani

* Le rapport Pilecki : un livre ahurissant, celui d'un déporté volontaire à Auschwitz. En septembre 1940, un officier polonais s'est fait volontairement arrêter pour être interné dans le camp d'Auschwitz et y constituer un réseau de résistance. Une extraordinaire leçon de courage moral. Pilecki s'est finalement évadé d'Auschwitz au bout de trois ans pour témoigner de l'enfer concentrationnaire. Ce qui est terrible, c'est qu'il a ensuite été condamné à mort et exécuté par les communistes en 1948.


Le "grand nu" que l'on peut rapprocher du dessin, au-dessus, d'Akhmatova

* Marie-Pierre REY : "Un Tsar à Paris". Une période occultée dans la mémoire française. Celle de l'occupation par les Russes de la ville de Paris, pendant 3 mois et il y a très exactement 2 siècles.On croise des Cosaques sur les Champs-Elysées et aux Tuileries, ce qui laissera des traces durables (le mot "bistrot" serait originaire du russe bystro "vite"). L'occupation se serait plutôt bien déroulée ce qui facilitera, ultérieurement, la communication et l'entente entre les deux peuples. Un très bon livre de Marie-Pierre Rey, une excellente historienne, dont on pourra relire, à l'occasion : "L'effroyable tragédie", un ouvrage de référence sur la campagne de Russie.


Photo d'Akhmatova en 1922

* Bryan WARD-PERKINS : "La chute de Rome - Fin d'une civilisation". Je ne suis vraiment pas une spécialiste du monde romain mais la question de l'effondrement des civilisations m'intéresse. Un livre qui bouleverse plein d'idées reçues et qui permet d'apprécier la grandeur de la civilisation romaine, son raffinement, son niveau de vie. Les conquêtes barbares ont entraîné  un brutal et spectaculaire effondrement de l'économie, des techniques, de la culture. Ce n'est qu'au XV ème siècle que l'Occident retrouvera un niveau de vie comparable à celui des Romains. Un livre passionnant, très bien écrit, vivant et même plein d'humour.


Olga Serebriakova

* Gabriel MARTINEZ-GROS : "Brève histoire des empires". Ce petit livre est presque le complément du précédent. Une idée forte : la paix est au centre des sociétés impériales comme de la nôtre. Mais elle a un prix : le désarmement de la presque totalité de la population, la paix et la sécurité étant assurées par une minorité de professionnels. La paix, c'est la confiscation de la violence et la dévirilisation de l'humanité. Et cet Etat pacificateur est aux mains d'une infime et nécessaire minorité violente. La douceur imposée aux masses comme aux élites civiles implique, par contraste, l'extrême brutalité de ceux qui l'imposent. La paix est une tyrannie.

Olga Della-Vos-Kardovskaya

* Boris AKOUNINE - Grigori TCHKHARTICHVILI : "Histoire de cimetières". Boris Akounine est un maître du polar et il est évidemment fasciné par la mort. Un livre idéal pour une vampire comme moi qui visite tous les cimetières des villes où je me rends. Le lecteur est ici emmené dans 6 cimetières : Le Donskoï à Moscou; Highgate à Londres; le Père Lachaise à Paris; le cimetière étranger à Yokohama; Green-Wood à New-York et le cimetière juif du Mont des Oliviers à Jérusalem. Un livre passionnant parce qu'en effet, "le plus intrigant chez les habitants de toutes ces grandes villes, c'est que la majorité d'entre eux sont morts".

Nathan Altman

* Pascal Brückner : tous ces écrivains, en France, qui se mettent à relater leur enfance et adolescence, forcément traumatisantes, ça me gonfle beaucoup. J'aime bien néanmoins Pascal Brückner, tout du moins les essais de sa jeunesse. Son livre m'a intéressée et aussi laissée perplexe tant j'ai trouvé ça étonnant. Enfin..., on se construit toujours dans le conflit.



Modigliani a réalisé une dizaine de dessins d'Anna Akhmatova. J'en poste ici quatre. La première et la dernière image sont des portraits de Jeanne Hébuterne.


Les portraits d'Akhmatova ont été réalisés par Olga Della-Vos-Kardovskaya; Nathan Altman , Olga Serebriakova.

Enfin, si vous allez au cinéma, je recommande absolument : "Pas son genre" de Lucas Belvaux, "The best offer" de Giuseppe Tornatore, "Tom à la ferme" de Xavier Dolan, "My sweet pepper land" de Hiner Saleem.

Aucun commentaire: