samedi 29 novembre 2014

Travestie



















Ma copine Daria et moi, notre distraction, quelquefois, le week-end, c'est d'essayer de se faire passer l'une pour l'autre et, pour ça, d'échanger notre apparence, nos vêtements et, bien sûr aussi, nos amants.C'est facile, on se ressemble pas mal, deux grandes perches étiques, et on a quasiment les mêmes tailles (sauf pour les soutifs). Bien sûr, personne n'est dupe, mais ça n'est pas essentiel, chacun y trouve finalement son compte et y prend plaisir.


A part ça, on est quand même vraiment très différentes. On entretient en fait, entre nous, un rapport d'amour/amitié qui est celui de l'attirance des contraires. Elle envie ma situation professionnelle et mon indépendance, j'admire sa fantaisie, sa liberté de mœurs et de comportement. Disons que, vues de l'extérieur, j'apparais sans doute BCBG et, elle, nettement plus dévergondée. 


On se fascine donc l'une l'autre mais je déteste, en général, la façon dont elle s'habille. C'est nettement trop sexy et provoquant pour moi, c'est rue Tverskaïa à Moscou.Mais peu importe: en se déguisant l'une en l'autre, on bascule les rôles: je deviens une allumeuse, elle se transforme en femme d'affaires. Et ça marche à plein, on a un succès fou toutes les deux. Ça nous permet de faire ensemble plein de conquêtes communes et d'échanger, ensuite, à l'infini, là-dessus. Pour deux filles, connaître un même type, avec des regards différents, c'est passionnant! Je dirais même que c'est essentiel: si on s'aime tellement, Daria et moi, c'est qu'on a largement couché  avec les mêmes mecs.


Evidemment, c'est un peu drôle, pour moi, de me balader dans les rues de Paris affublée des fringues de Daria: manteau de fourrure (le scandale absolu), grands bijoux , talons-aiguille ou cuissardes, mini-jupe. Je ne perçois vraiment plus le monde de la même façon. Le rapport aux autres, les hommes mais aussi les femmes, est modifié. Je me sens regardée de partout, avec envie certes mais aussi hostilité. Et puis les types dégotés avec le look de Daria: au secours!


C'est très troublant! Mais c'est aussi exaltant. Revêtir une autre peau, prendre une nouvelle identité, c'est apaisant, libérateur.

On le sait bien, la conquête de la féminité, c'est une vraie compétition. C'est épuisant. Ça peut même vous détourner d'autres objectifs, plus essentiels. Je dirais même qu'on peut y laisser son argent, sa vie. Que de temps passé, perdu, à modeler son apparence: à se maquiller, à s'habiller, à se choisir une culotte. Le souci de l'apparence, la course à la beauté, conduisent beaucoup de femmes à dissiper leur énergie.


En fait, on est bouffées par le modèle d'une femme idéale, d'une autre femme, à la quelle on cherche à tout prix à se conformer. Mais il y a bien sûr toujours un décalage entre le modèle et la réalité et ça fait qu'on rentre dans une surenchère narcissique permanente et qu'on est continuellement insatisfaites.

Alors, quand on me propose une nouvelle peau, ça me soulage beaucoup. Je n'ai plus à me justifier. Je me sens déresponsabilisée vis à vis de cette nouvelle identité et je peux m'abandonner au simple plaisir de l'émotion. A ce titre, la prostitution, ça me fascine: avoir une relation sans dire qui on est.


Je crois qu'on porte toutes en soi ce désir d'être une autre, de changer, occasionnellement, de personnage. Etre une autre femme, ce n'est pas un désir lesbien, c'est le besoin de s'affranchir de la pression d'une identité pour éprouver une jouissance pure, débarrassée de toutes les contraintes imaginaires imposées.

M'inventer, durant quelques heures, un autre personnage, une autre destinée, sous la forme de ma copine,ça me plaît donc beaucoup. L'hyper-féminité, j'avoue que c'est quelque chose que je ne pourrais pas vivre en continu mais pratiquer ça ponctuellement, je trouve ça très agréable. Et puis, séduire à partir de sa seule apparence, à partir, finalement, d'éléments infimes (une robe, un maquillage, des jambes gainées) ça remet aussi en question plein d'idées reçues: on peut élaborer les théories les plus idéalisées de l'amour et de la rencontre, tout ça, c'est vite mis par terre par des choses très triviales, par la force brute du désir masculin qui n'a que faire de l'intellect et de l'angélisme. Pour séduire un mec, mon rouge à lèvres sera toujours plus efficace que ma connaissance des œuvres complètes de Patrick Modiano. Chaque femme fait vite la cruelle expérience qu'elle ne séduira pas par sa seule personnalité; à elle, ensuite, d'accepter ou de refuser le jeu.



Surtout, jouer à fond les manettes de l'apparence, ça permet de vivre un plaisir essentiel, inconnu des hommes: celui d'être regardée. Pas de plus grande gloire pour une femme que de pénétrer dans une pièce et de sentir tous les regards se vriller sur elle. C'est plus fort que tous les coïts. Le regard qu'on porte sur nous, c'est ce qui nous définit, établit notre identité. Les féministes pourront hurler au viol mais c'est bien plus compliqué que ça. C'est notre certificat de vie: si on n'est plus regardée, auscultée, scrutée, déshabillée, on n'existe plus. Pour préserver ça, on est prêtes à tout!

Tableaux de Paul KELLEY, peintre canadien né en 1955.

Je renvoie par ailleurs au film très intelligent et très troublant de François Ozon: "Une nouvelle amie". Ce film s'inscrit à rebours de l'idéologie transgenre contemporaine qui voudrait éradiquer la différence des sexes. Le travesti affirme en fait deux choses: la différence des sexes et le plaisir de la féminité. 

dimanche 23 novembre 2014

Fleur Inculte


Comme ça, notre ministre de la culture, Fleur Inculte, est inculte. Elle ne lit pas, elle n'a pas le temps. 

Ça m'a d'abord bien fait rigoler. Pour moi, c'est simple: on a toujours du temps pour une passion et puis lire, c'est vivre ou, plutôt, c'est magnifier la vie. La vie, la lecture, ça s'interpénètre, s'enrichit mutuellement. Je lis pour accroître ma sensibilité, pour vivre plus intensément, pour vivre mille vies à la fois. 


Fleur Inculte, elle m'a quand même, au final, un peu choquée. Mais, au fond, tout ça c'est logique: on sait bien que pour réussir un grand concours (je suis bien placée pour le savoir), il faut d'abord être un bourrin ou un bœuf. L'affaire pourrait donc être anecdotique si elle n'illustrait le triomphe de ces apparatchiks que commence à rejeter la société française : de sinistres technocrates qui ne doivent leur carrière qu'à leur servilité. Comment s'étonner ensuite du triomphe de Le Pen ?

Je dédie néanmoins ce post à Fleur Inculte. Bien sûr, elle ne me lira pas aujourd'hui mais peut-être qu'elle en trouvera le temps lorsqu'on l'aura renvoyée cultiver son jardin ...? Voici donc les livres que je conseille à Fleur Inculte.


Emmanuel CARRERE: "Le royaume". Un bouquin vraiment audacieux à une époque où être chrétien est presque synonyme d'être crétin. On vit aujourd'hui dans une espèce de terrorisme vertueux. Mais le christianisme, c'est l'exact contraire des idées en vigueur et notamment de la recherche de la vertu. Etre chrétien, c'est d'abord porter attention aux réprouvés: les crapules, les criminels, les salauds. 

Un livre hors du commun. Certes, c'est un pavé avec, parfois, des moments d'ennui (j'ai surtout aimé la première partie) mais aussi plein d'analyses fulgurantes.  Que ce livre n'ait obtenu aucun grand prix laisse songeur.



Niall FERGUSON: "Civilisations - L'Occident et le reste du monde". Par l'auteur du grand livre: "L'irrésistible ascension de l'argent". L'histoire du monde et des civilisations, ça me passionne. Un bouquin remarquable, très clair, qui cherche à comprendre comment l'Europe de l'Ouest, exsangue à la fin du Moyen Age, est parvenue, à partir du 15ème siècle à prendre le dessus sur la Chine, l'Inde, l'Empire ottoman pour imposer au monde ses normes et son mode de vie.


Theodore ZELDIN: "Les plaisirs cachés de la vie".

Quelle est la grande aventure de notre temps ?; Comment être apprécié à sa juste valeur ? Comment ne pas gâcher sa vie? Combien existe-t-il de façons de se suicider? Comment changer les rapports entre riches et pauvres ? Femmes et hommes pourraient-ils se traiter autrement?

Voilà quelques unes des questions, inhabituelles, auxquelles Theodore Zeldin s'efforce de répondre. Ce sont toujours des perspectives inattendues.

C'est très agréable, très élégant. Il faut savoir que Theodore Zeldin est un Britannique amoureux de la France (si, si ! Ça existe).



Francesco M. CATALUCCIO: "Je m'en vais voir là-bas si c'est mieux". Un livre qui m'a été recommandé par Philippe et je l'en remercie. Le récit des séjours et voyages d'un Italien de Florence qui a une parfaite connaissance de l'Europe Centrale et en particulier de la Pologne. On voyage beaucoup: Lódz, Vilnius, Cracovie, Kielce, Drohobycz, Varsovie, Bakou et même ...Lviv.

Ça m'a fait grand plaisir. C'est d'une érudition irréprochable, c'est excellent. Mais j'ai deux petites remarques critiques: difficile de recommander ce bouquin à des non-initiés. Si on ne connaît pas bien Bruno Schulz, Stanislaw Ignacy Witkiewicz, Witold Gombrowicz, Tadeusz Kantor etc..., on risque de trouver ça un peu hard. Ça ne pose bien sûr aucun problème à quelqu'un qui est originaire d'Europe Centrale mais à un honnête Français qui cherche, simplement, à s'informer ? C'est excessivement littéraire et, de plus, ça s'arrête à la fin du 20 ème siècle. Depuis cette date, les choses ont beaucoup évolué, c'est déjà un autre monde: beaucoup de nouveaux écrivains et artistes ont émergé: Tokarczuk, Wilk, Andrukhowitch, Stasiuk pour ne citer que les meilleurs.


Lieve JORIS: "Sur les ailes du dragon". Lieve Joris est une grande écrivain belge (d'expression néerlandaise) dans la lignée de Chatwin, Bouvier, Kapuscinski. Son dernier livre relate ses voyages entre l'Afrique (le Congo, l'Afrique du Sud), la Chine, Dubaï. Elle met en évidence ces nouveaux liens économiques, cette nouvelle mondialisation en train de se construire. La Chine et l'Afrique, via le Moyen-Orient, c'est peut-être un futur grand pôle du monde.   

Olivier ROY: "En quête de l'Orient perdu". Il s'agit d'entretiens avec Jean-Louis Schlegel. Le très grand connaisseur de l'Afghanistan mais aussi de l'Iran, de la Turquie, du Pakistan,de l'Asie Centrale. C'est plein d'aventures authentiques et c'est aussi toute une époque (les années 70/80/90). C'est également une réflexion stimulante sur l'islam politique. Passionnant.


Nancy HUSTON: "Bad Girl". Nancy Huston, je suis une fan, j'achète systématiquement tous ses bouquins. Je me sens très proche d'elle: la fracture des langues, des cultures, ça me parle bien sûr. Ce qui m'étonne, c'est que c'est, à chaque fois, un univers complètement différent. Moi, je ne suis vraiment pas capable de ça. "Bad Girl", ce n'est peut-être pas son meilleur livre mais ça soulève, comme à chaque fois, plein de questions essentielles.


Patrick BESSON: "Déplacements". C'est complètement déconcertant et désinvolte. L'anti-guide de voyage absolu. Le texte sur Belgrade, l'une des villes qu'il connaît sans doute le mieux, est, par exemple, ahurissant. Pourtant, c'est souvent très juste (Varsovie) et toujours percutant, hilarant.


Comme je reviens d'Allemagne, j'ai choisi d'illustrer ce post avec des couvertures des premières éditions allemandes de poche datant des années 50 (ro ro ro).

A une époque où le Centre Pompidou va prochainement accueillir Jeff Koons, je me dis que ces images très simples permettent de relativiser les oeuvres d'Art consacrées.

Personnellement, je suis bien plus émue par des images RoRoRo que par du Jeff Koons. En plus, c'est infiniment moins cher.

dimanche 16 novembre 2014

"Décompression"


Je me suis accordé un petit break, la semaine dernière, et j'ai filé en Allemagne: jusqu'à Lübeck, tout au Nord, via Trier (Trêves) .

Ma chambre à Lübeck


L'Allemagne, je connais assez bien, mieux que la France en tous cas. Il y a peu de villes, même petites, où je ne sois pas allée. Je m'y sens assez à l'aise.


D'abord, c'est pour moi l'occasion de sortir ma voiture de sport que je ne parviens pas à exploiter en France. En Allemagne, on échappe un peu à l'infantilisation générale et je peux rouler à tombeau ouvert (comme on dit si joliment), perdue dans la contemplation du défilé affolant des signaux autoroutiers. Ça réclame une concentration exaltante et je me sens alors pleinement vivre. Je deviens vraiment Carmilla, celle qui sillonnait l'Europe à toute vitesse conduite par un magnifique attelage. Le droit des femmes aux belles bagnoles et à la vitesse, ça n'est pas encore rentré dans les mœurs mais les féministes feraient bien d'y penser.


Sinon, l'Allemagne, j'y suis tranquille. C'est un pays où on ne risque pas de rencontrer son voisin. Il n'y a pas du tout de touristes et j'ai comme ça l'impression, évidemment un peu fallacieuse, de découvrir des territoires inconnus. Mais ça me convient; il y a plein de petites villes de contes de fées, mélancoliques et magiques à la fois. Surtout, il y a l'émerveillement de la période de Noël.


Là-bas, je ne fais pas grand chose. Je me prends un bel hôtel et dans la journée, je vais rêvasser dans les cafés et les restaurants. Je bois de la bière, je mange des harengs, de petites plies et de l'anguille à n'importe quelle heure. Je peux même me contenter d'une "wurst", le serveur ne me fera pas la tête.



Etre une femme seule ne pose pas de problème; d'ailleurs, à la différence de la France, il y a plein de femmes dans les cafés et les restaurants. On vous fiche la paix mais vous devenez aussi transparente et c'est un peu déconcertant. La relation entre les sexes, ça m'apparaît bizarre dans les pays germaniques. La culture de la séduction a été éradiquée. Je trouve ça triste mais c'est vrai aussi qu'être une femme moche en Allemagne est peut-être moins une malédiction qu'ailleurs.


La maison des Buddenbrook


Mais l'Allemagne, c'est quand même surtout pour moi la "Kultur". Ça se manifeste un peu partout. Plein de librairies magnifiques, de beaux objets, des musées bouleversants. Il y a vraiment un contraste très grand chez les Allemands entre une vie assez triviale et utilitaire, beaucoup moins sophistiquée que la française, et une vie intellectuelle et une perception esthétique très riches.


C'est d'ailleurs peut-être sur ce point que se rejoignent Français et Allemands. Cela a déjà été souligné mais je trouve cela très juste: Français et Allemands partagent une même capacité à la pensée abstraite. C'est forgé par tout un système d'éducation et je crois que c'est quelque chose de singulier et presque unique.



Photos de Carmilla Le Golem à Lübeck. Mon séjour s'est déroulé dans une "purée de pois" complète, ce qui explique ces images un peu lugubres.

Lûbeck, c'est une ville de la Hanse avec son architecture spécifique ( le chef d'oeuvre, en la matière, étant Gdansk en Pologne). C'est aussi et surtout la ville de Thomas MANN (avec la maison réhabilitée des Buddenbrook), de Günter GRASS (avec un musée qui lui est consacré) et de Willy BRANDT (qui y est né).

Le titre de ce post est emprunté au livre magnifique de Juli ZEH. C'est l'un des livres qui m'a accompagnée pendant mon voyage. "Décompression", c'est l'histoire d'une extraordinaire manipulation amoureuse. Le livre est paru il y a un an mais on peut encore le trouver. Je le recommande absolument de même que toute l'oeuvre de Juli ZEH (en particulier "la fille sans qualités"), sûrement l'un des grands écrivains de la jeune littérature allemande.

samedi 8 novembre 2014

Folie


















Je suis quelqu'un de très rationnel, de très construit. L'exaltation émotionnelle, ce n'est pas mon truc.

Ça me met à l'abri, semble-t-il, des états d'âme: depuis la petite déprime jusqu'au grand coup de blues et la plongée complète vers les abîmes.

Je pense que c'est lié, en partie, à mon ancrage quotidien dans les chiffres et les maths. Difficile de perdre pied là-dedans.


Mais ça, c'est ma façade. Je m'interroge aussi continuellement sur ma part d'ombre, sur tous ces rêves et toutes ces pensées inavouables qui m'assaillent sans cesse. On héberge tous en soi, comme le dit, de manière très juste, Emmanuel Carrère, un renard occupé à nous dévorer les entrailles et on vacille tous d'angoisse devant ce puits béant qui ouvre sur notre enfer. On meurt de trouille, on essaie tant bien que mal de survivre, dans la tension entre l'image de soi-même que l'on s'efforce d'afficher et cet enfer intérieur.

On se fait peur à soi-même: jusqu'où serais-je capable d'aller ? Serait-il possible qu'un jour, je disjoncte complètement ? Que je perde prise, que je ne sois plus capable de faire face aux exigences du réel ? Que je devienne même une criminelle ?


Je crois qu'on s'interroge tous, finalement, sur la part de folie qu'il y a en nous. Et on ne sait pas bien: est-ce que ça nous est consubstantiel, une potentialité réprimée en notre sein, un prolongement inexploré de notre identité, ou bien est-ce que c'est un autre monde, une altérité complète, quelque chose qui nous est complètement extérieur dans le quel on bascule tout à coup ?


C'est un débat qui a animé la pensée française au cours de ces dernières décennies. Il y a eu toute une vision romantique de la folie construite autour de l'anti-psychiatrie et de Michel Foucault. C'est même devenu une espèce d'évangile. La folie, ce serait l'effet d'un environnement pathogène, d'une société disciplinaire et surtout de sa répression par la logique rationnelle. Ce sont les institutions et la psychiatrie qui viennent brider la merveilleuse déraison et en fait, il faudrait renverser les perspectives, libérer la folie. Parce qu'en fait, la folie n'existerait pas en tant que telle dans la personne mais elle ne serait que le fruit d'une société déshumanisée et normalisatrice.


C'est séduisant mais je ne suis pas convaincue. Je ne sais pas, je n'y connais rien, je suis radicalement incompétente mais j'ai quand même l'impression qu'il n'y aura jamais de folie heureuse. Quoi qu'en disent, aujourd'hui, tous les professeurs de bonheur, l'humaine condition, ce n'est pas la béatitude et la jouissance, c'est plutôt l'angoisse et la culpabilité, ces vilaines choses dont on ne veut plus aujourd'hui entendre parler. 


Il faudrait, dit-on, être positif mais la plénitude, l'accomplissement, on ne connaît jamais ça. Ce qui nous constitue, c'est plutôt la duplicité, la division. On vit dans un tiraillement perpétuel, un écartèlement qui nous renvoie, sans cesse, d'un pôle à l'autre de notre personnalité: entre notre façade sociale, aimable et policée, et notre part d'ombre, notre enfer qui nous fait trembler d'angoisse. En réalité, pour survivre en société, on se plaît à travestir son identité, à mentir à soi et aux autres tout en proclamant son absolue sincérité. 


Cette part d'ombre, cette part maudite, elle n'est vraiment pas belle à voir mais elle est absolument inéchangeable, on ne pourra jamais la convertir en pensées heureuses et pacifiques. Moi, je le sais bien: aussi intégrée que je sois à la société française, une typique bobo parisienne, je sais que ma vie criminelle, ma vie crapuleuse, viendra toujours me hanter; je me sentirai toujours au bord d'un précipice, dévorée par la crainte et l'angoisse.

La souffrance humaine, jamais on ne l'éradiquera. La mort, la culpabilité, l'angoisse, on ne peut s'y dérober.

On ne se réconciliera, d'ailleurs, jamais avec soi-même, parce qu'on vit dans un inassouvissement perpétuel. Et c'est peut-être justement ça, cette incomplétude, qui est bien. C'est avec ça qu'il faut qu'on arrive à composer dans notre vie.

Ce qui nous anime, c'est le conflit, la dissonance, la fêlure.


L'angoisse, l'inquiétude, c'est notre condition première.

Cette détresse, elle est massive, je ne saurais la décrire. 



Alors, j'essaierai simplement de la traduire en chiffres; les chiffres, c'est ce qui me parle, vraiment, à moi. Comme ça, il y aurait, en France, à l'échelle d'une année ou en photographie instantanée :

100 000 personnes hospitalisées en psychiatrie.

12 000 suicides mais dix fois plus de tentatives: 120 000.

70 000 jeunes et 170 000 adultes seraient atteints d'anorexie mentale.  

150 000 jeunes et 250 000 adultes souffriraient de boulimie.

15 000 personnes "disparaîtraient" chaque année, de leur plein gré ou accidentellement.


16 millions de fumeurs

550 000 fumeurs quotidiens de cannabis
500 000 expérimentateurs de d'héroïne
400 000 expérimentateurs de cocaïne

5 millions de personnes auraient une consommation excessive d'alcool dont 2 millions seraient dépendants.

25 % des Français, soit environ 16 millions de personnes seraient sous anxiolytiques ou anti-dépresseurs.

65 000 personnes incarcérés dont 20 % pour motifs d'agression sexuelle

75 000 viols, 200 000 tentatives de viol

700 crimes, 1500 tentatives de meurtre.


Pour illustrer le thème de la folie, évidemment le peintre norvégien Edward Munch (1863-1944), célébrissime auteur du "Cri".

Ses peintures sont archi-connues, mais peut-être moins ses lithographies. C'est donc elles que j'ai ici choisies. 

Enfin, si vous vous intéressez à l'histoire de la folie, je vous conseille non pas Michel Foucault, mais Michel Quétel: "Histoire de la folie - de l'Antiquité à nos jours".

samedi 1 novembre 2014

Pornographie


Ma copine Daria et moi, ça nous torture. On a toujours peur de ne pas être à la hauteur au lit. Evidemment, parce qu'on vit en France, un pays réputé d'experts. C'est sûr qu'en Europe Centrale en général, on a le sentiment de ne pas y connaître grand chose en la matière.


En Ukraine par exemple, même si le spectacle de la rue est ultra-érotique avec plein de filles magnifiques habillées hyper-sexy, on vit dans une ambiance étrangement asexuée, comme si ça (le désir) n'existait pas. D'ailleurs, il est, en réalité, bien difficile, contrairement à ce qu'on imagine peut-être ici, de trouver des lieux de débauche, sex-shops, prostituées ou boîtes de strip-tease, voire même de simples revues pornographiques. J'ai l'impression que ça n'existe presque pas. De plus, les relations entre les hommes et les femmes sont assez prosaïques et conventionnelles. Quant à la littérature érotique, c'est simple, il n'y en a aucune.


Quand on vient d'Europe Centrale, on se sent donc un peu complexées: la supposée plus grande liberté sexuelle, ça fait terriblement fantasmer. Le choc des civilisations, on en parle beaucoup, aujourd'hui, dans les medias, mais j'ai l'impression, qu'avant même les conflits religieux, c'est peut-être là, à propos de la question sexuelle, que ça se situe. D'ailleurs, ce que dénoncent, dans le capitalisme, les intégristes de tout poil (y compris les gauchistes), c'est moins son asservissement aux biens matériels que son immoralisme sexuel.


Pourtant, c'est bien ça qui est fascinant et c'est là-dessus, sans doute, qu'on ne saurait transiger.



Moi, j'ai d'abord été éblouie par la littérature érotique française, surtout celle du 18 ème siècle. C'est absolument renversant, c'est unique. A ce choc, on ne peut pas se soustraire. Ça vous met au pied du mur, ça vous confronte, sans détours, à vous-même. En plus de Sade..., Laclos, Boyer d'Argens, Crébillon, Bussy-Rabutin, de Nerciat, c'est vraiment inouï. Et puis tous ces incroyables et innombrables nouvellistes... Mon amour de la France, c'est là qu'il trouve son origine. Je ne suis pas sûre que toutes ces œuvres trouveraient aujourd'hui éditeur et d'ailleurs ce qui est maintenant publié m'apparaît bien pâle. Jamais sans doute, la liberté de pensée et de mœurs n'a, à cette époque, été portée à ce point d'incandescence.


Tout ça, toutes ces lectures, ça m'a largement déniaisée mais après, bien sûr, il fallait passer à la pratique.


Pour ça, je n'ai jamais trop manqué d'audace, peut-être pas par inclination personnelle mais surtout parce que j'avais peur de passer pour ringarde. Et puis, ça ne m'a jamais posé de problèmes de rentrer dans le jeu des conventions. Je n'ai jamais dédaigné les "accessoires" que les filles "éduquées" méprisent tant: la lingerie, les porte-jarretelles, les talons-aiguille, le maquillage soutenu, les sex-toys. Je n'ai jamais considéré que c'était avilissant ! Le risque de la séduction, de l'éventuelle vulgarité, je l'ai assumé. Bien sûr que c'est kitsch mais ça fait, qu'on le veuille ou non, partie du jeu érotique et c'est ce qu'attendent, malgré tout, tous les hommes. Et enfin, j'aime, moi-même, bien ça.


La conquête érotique, ça m'a bien sûr donné confiance. Et puis conquérir, c'était découvrir, apprendre.


Mais il faut le reconnaître: j'ai, aussi, été souvent déçue. Dans l'érotisme, en fait, on ne s'éclate pas tant que ça. De l'innovation, de la transgression, il n'y en a vraiment pas beaucoup. Surtout, on a tellement peur de passer pour nulles qu'on adopte des comportements appris, stéréotypés, mais qui garantissent notre modernité. 


Par exemple, ce qui nous étonne toujours un peu, moi et ma copine Daria, c'est que, quand on fréquente les milieux intellectuels parisiens, il faut absolument déclarer qu'on adore la sodomie et la fellation. Comme dit Daria, ça n'est vraiment pas la peine de prendre la pilule. On est de toute manière censées être consentantes, même si, après, on a du mal à marcher pendant plusieurs jours mais on est modernes, n'est-ce pas, et on n'a, donc, rien à dire. On est vierges, maintenant, tant qu'on n'a pas subi une pénétration anale. C'est la violence du conformisme. C'est sûr qu'à Moscou, on est à des années-lumière de ça. Mais qu'est-ce que ça veut dire? On remplace, en fait, un conformisme par un autre.


Enfin, de tout ça, je m'en fiche un peu aujourd'hui! La sexualité, j'ai, enfin, compris que ce n'était pas le rapport sexuel, le coït. C'est bien plus large que ça. Je vis quelquefois plusieurs semaines sans coucher avec quelqu'un. Mais ça n'est pas si important que ça ! Ce qui m'importe, c'est de vivre des situations où je me sens bouleversée, renversée. Et ça, c'est un processus à long terme et ça se produit avec des gens que je n'attends pas.


Tableaux principalement de Degas (hormis le premier de Franz Von Stuck et le 6ème de Rodin). 

Degas, j'avais tendance à trouver ça un peu mièvre mais il faut reconnaître que ses nus (qui ont fait l'objet d'une récente exposition au musée d'Orsay en 2012) sont vraiment troublants.