samedi 21 février 2015

Le pays de Tintin

























Les événements en Ukraine et l'inertie européenne me dépriment tellement que j'ai envie de parler de tout sauf de ça.

Pour m'évader, je me suis mise à rêver voyages et pays que je connais bien.


La Slovaquie par exemple. Je crois que ça n'évoque pas grand chose en Europe de l'Ouest et personne n'a idée d'y aller en voyage touristique. Dans le meilleur des cas, on associera à la Slovaquie la magnifique mannequin Adriana Karembeu et la fantastique tenniswoman, Martina Hingis.


Moi, je connais assez bien, j'y suis allée maintes fois. Ce qui est pratique, c'est que le slovaque est très proche du polonais et de l'ukrainien, ce qui permet de se comprendre presque directement.

La Slovaquie, pour moi, c'est d'abord un peu un pays de Tintin, celui du "Sceptre d'Ottokar" par exemple: un monde tout à la fois paisible, à dimension humaine, mais aussi très mystérieux.


La campagne, surtout, évoque irrésistiblement Dracula. D'ailleurs, de nombreuses scènes de l'admirable film de Werner Herzog, "Nosferatu, fantôme de la nuit" (avec Klaus Kinski et Isabelle Adjani) ont été tournées en Slovaquie. De petites villes baroques (ma préférée: Levoca), des cascades et des torrents...,  des montagnes douces et boisées (les Carpates), parsemées de châteaux fichés sur des éperons rocheux, construits pour résister à la menace turque. L'un des châteaux les plus célèbres est celui de la sanglante comtesse Erzsébet Bathory, à Cachtice près de Trencin (je recommande à ce sujet le film récent de Julie Delpy: "La comtesse").


Et puis, il ne faut pas hésiter à se rendre jusqu'à l'extrême Est de la Slovaquie, dans la zone frontière avec l'Ukraine. Là-bas, on pénètre dans un autre monde, celui des Roms. Près de 10 % de la population slovaque (5,5 millions d'habitants) serait en effet d'origine Rom et est concentrée à l'Est du pays. C'est une région absolument fascinante, glauque et déglinguée, qui nous renvoie à nos peurs et nos préjugés. Les Roms, c'est une interrogation permanente: un peuple qui refuse la modernité et l'esclavage social. Pour avoir une idée de l'ambiance dans la région, on peut voir le film "Import-Export" d'Ulrich SEIDL. 


Mais la personnalité la plus célèbre de Slovaquie, c'est tout de même Andy Warhol, le fondateur du Pop-Art. On l'ignore généralement mais ses parents étaient des Ruthènes (le ruthène étant une langue apparentée à l'ukrainien) de Slovaquie orientale;  le nom de Warhol est d'ailleurs un nom ridicule qui signifie "marcassin".



Andy Warhol lui-même a été très peu disert sur cette origine ruthène. Pourtant son mépris absolu des convenances l'apparente bien à la culture slave. Une curiosité: il existe, dans un village perdu du fin fond de la Slovaquie, à Medzilaborce, un musée Andy Warhol fondé, au début des années 90, par son frère cadet. C'est tellement loin de tout que c'est d'une singularité totale.



Œuvres d'Andy Warhol. Une curiosité: le dernier tableau, celui de l'ancienne impératrice d'Iran, Farah Pahlavi, se trouve au musée d'art moderne de Téhéran.

Si vous allez un jour en Slovaquie, voici les lieux que je vous recommande: les villes de Levoca, Bardejov, Trencin, le village de Vlkolinec, les châteaux de Spissky, de Bojnice, d'Orava, de Cachtice, les gorges du Dunajec et enfin les églises en bois des Carpathes. Je vous conseille vivement d'aller là-bas. Vous êtes au moins sûrs de ne pas y rencontrer votre voisin et c'est bien plus original que le Népal ou la Thaïlande.

samedi 14 février 2015

Du déclin


Le déclin, ça devient un thème politique fort, surtout en France. C'est même un marqueur différenciant la droite et la gauche. Il y aurait d'un côté les vieux scrogneugneux, type Houellebecq, Finkielkraut, Sloterdijk et de l'autre, les progressistes éclairés et socialisants.


Moi, je suis partagée. Je n'aime pas du tout cette idée du déclin parce qu'elle renvoie à ce "bon vieux temps" qu'on aurait irrémédiablement perdu. Mais ce passé que l'on mythifie, on sait bien qu'il est d'abord définitivement vieux et puis, surtout, qu'il n'était, peut-être, pas si bien que ça. Je suis même convaincue, à rebours, peut-être, de l'opinion commune, que l'on vit maintenant beaucoup mieux qu'avant. Je pense vraiment qu'aujourd'hui (et même depuis dix ans, vingt ans), la vie est plus facile, plus agréable, que les gens sont plus éduqués, plus tolérants. Le déclin, c'est une belle ânerie quand on considère les évolutions économiques et culturelles. L'histoire de la démocratie, c'est tout de même bien l'histoire du progrès et c'est ça qui est enthousiasmant.


Mais il faut bien reconnaître aussi que les sociétés occidentales ont aujourd'hui perdu toute force collective et tout pouvoir intégrateur. Qui aujourd'hui irait se faire trouer la peau pour une idée, un concept ? C'est souvent la question que je me pose au cours de mes voyages en Europe Centrale. J'y croise souvent les chemins de l'épopée napoléonienne et je pense à tous ces soldats de la Grande Armée dont l'immense majorité partait combattre avec enthousiasme (c'est ce dont témoignent leurs récits) simplement pour des idéaux: la République, l'Egalité. Il y avait vraiment quelque chose qui dépassait leur condition individuelle. Certes, la campagne de Russie ça a été une souffrance abominable mais ça a, aussi, été un rêve extraordinaire et une grande période de l'histoire de l'humanité.


Tout ça, ça ne veut, bien sûr, plus rien dire aujourd'hui. C'est même jugé scandaleux, effroyable; ça n'a pu se produire que sous l'exercice de la tyrannie et d'ailleurs Napoléon est, souvent, présenté comme un fasciste. On n'aspire plus, maintenant, qu'à la paix et la tranquillité individuelles.Qu'est-ce qui lie d'ailleurs les Européens aujourd'hui? Hormis aller faire des courses, le samedi, à Auchan, je ne vois pas bien. C'est le repli égocentrique généralisé.


Il faut sans doute le reconnaître: il y a une décadence propre de l'Europe et de l'Occident. Résister, à quoi bon ? L'important n'est-il pas d'avoir la paix? Qu'est-ce qu'on a, d'ailleurs, à défendre d'autre que la société de consommation?

Nous vivons dans une société anesthésiée, chloroformée, sans passion ni engagement, celle du dernier homme, entièrement domestiqué, décrit par Nietzsche. Plus de grands rêves, rien que des petits plaisirs. Même la libéralisation sexuelle, elle s'effondre, comme l'a bien décrit Michel Houellebecq, dans le porno-kitsch et l'injonction de la jouissance. Le triomphe du narcissisme.


Nous vivons dans des sociétés pétrifiées de peur. C'est l'état de frousse permanent, on est obsédés par la sécurité et on ne prend plus aucun risque. On est donc prêts à toutes les compromissions. On est donc prêts à la soumission.


Tableaux du très grand peintre polonais Zdzislaw BEKSINSKI (1929-2005). C'est l'un de mes artistes préférés. Les images internet ne rendent pas compte, comme souvent,  de la puissance de ses images. Si vous allez un jour en Pologne, ne manquez pas d'aller à SANOK, la ville où il a vécu.

dimanche 8 février 2015

Lettonie


C'est fini ! C'est triste, je viens de rentrer de mes vacances en Lettonie. Malgré la quasi-absence de froid et de neige, j'ai adoré; c'est un pays où je pourrais vivre sans aucune difficulté. Enfin, il y a quand même les tensions entre Russes et Lettons. Fichu problème! C'est sûr que la Lettonie est un pays miraculé et que la condition de sa survie est de ne rien concéder aux Russes.


A Riga, j'ai trouvé une nourriture qui me convient. Je suis revenue avec une valise pleine à craquer de poissons fumés, de tout ce que j'adore et qu'on ne trouve pas à Paris: de l'anguille, du flétan, de l'esturgeon, du poisson-chat, du saumon. Et puis aussi, évidemment, du crabe de la mer d'Okhostk et du caviar. De quoi organiser plusieurs fêtes avec les copines, enfin du moins avec celles qui apprécient ce genre de trucs.



A par ça, Riga, comme je l'ai déjà dit, c'est d'abord la capitale de l'Art Nouveau. A cet égard, la ville a été largement remodelée par Mikhaïl Eisenstein, le père du célèbre cinéaste. Il était un grand architecte et y a réalisé de nombreux immeubles, presque délirants et d'une beauté saisissante notamment dans les rues Alberta et Strelnieku. 


L'Art Nouveau, ça a été une période imaginative, flamboyante, mais très courte (1890-1910). Rapidement, ce style est apparu le symbole de l'art bourgeois.


Ce qui est intéressant, c'est que Sergueï Eisenstein, le futur cinéaste, n'éprouvait aucune admiration pour l'oeuvre de son père et la méprisait même carrément. Il considérait que ce n'était que d'affreuses pâtisseries. Il a en fait toujours considéré son père comme le prototype de l'infâme bourgeois, odieux et arrogant. 


La révolution bolchevique lui a alors offert une opportunité idéale d'entrer en conflit ouvert avec son père en combattant même, avec les Rouges, contre les armées blanches dans les quelles s'était enrôlé son père. Par la suite, il a toujours été un bolchevique intransigeant et inconditionnel qui a même réussi la performance de n'être jamais "épuré" par Staline.


On ne peut bien sûr pas trancher concernant ce conflit familial mais je défie néanmoins quiconque de ne pas être ému par les immeubles de Riga réalisés par Mikhaïl Eisenstein. Je vous en livre ici, bien sûr, quelques images.




Un vertigineux escalier dans un immeuble Art Nouveau de Riga.






En allant en Lettonie, je souhaitais aussi réaliser l'un de mes vieux rêves: visiter le château de Rundale.


Rundale, c'est un château fantastique qui a été réalisé au 18 ème siècle, par le célèbre architecte Bartolomeo Rastrelli.  Quand on découvre Rundale, on est stupéfaits, on n'en croit pas ses yeux: depuis un tout petit village de campagne, on voit, tout à coup, surgir l'exacte copie du Palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg.


J'ai donc pu réaliser ce rêve. Ce qui était très étrange, c'est que je pouvais avoir l'impression que l'on avait ouvert cet immense palais pour moi seule. Nous n'étions que deux visiteuses. Enfin...ça change des queues de Versailles.


Rundale, ça se réfère aussi à l'histoire des barons baltes. Les barons baltes, il faudrait tout un livre pour en parler. Disons simplement qu'il s'agissait de nobles de langue allemande, descendants des chevaliers teutoniques. Jusqu'au lendemain de la première indépendance de la Lettonie (1920), ils possédaient la quasi totalité des terres de Courlande et y avaient fait édifier une multitude de châteaux. Beaucoup de ces châteaux ont été détruits pendant la période soviétique mais il en subsiste quand même un grand nombre.


D'ailleurs, si vous ne savez pas quoi faire de vos prochaines vacances, je vous conseille ça: visiter les châteaux des barons baltes en Courlande. C'est beaucoup moins fréquenté que les châteaux de la Loire et surtout la région est complètement vierge: du temps de l'occupation soviétique, les Russes ont coupé la Courlande du reste du monde. Vous trouvez donc des forêts quasi primitives, des lacs qui sont le domaine des canards et des oiseaux migrateurs et des plages au sable immaculé.


Pour vous initier à la Courlande, je vous conseille de lire le court roman de Marguerite Yourcenar: "Le coup de grâce". Ce qui est bizarre, c'est qu'elle a écrit ce livre sans avoir jamais mis les pieds là-bas mais elle parvient à restituer, de manière sans doute très juste, l'ambiance psychologique de la région.


Surtout, il faut voir l'adaptation cinématographique de ce livre par Volker Schlöndorff et Margarethe Von Trotta. Un monde sombre traversé par l'ambiguïté des passion sexuelles et politiques.


Il faut aussi lire l'écrivain de langue allemande Eduard Von Keyserling (1855-1918) qui a appartenu au monde des barons baltes. Ses livres (que l'on trouve aux éditions Actes Sud) expriment toute la mélancolie de la déchéance.




Photos de Carmilla Le Golem en Lettonie. Les touristes ne se retrouveront peut-être pas dans mes photos mais il est vraiment très difficile de claquer des images par un temps qui, à une journée près, était très sombre, voire lugubre.

Si l'on s'intéresse aux pays baltes, il faut absolument lire: "Les âmes baltes" de Jan Brokken, grand écrivain hollandais. Ce livre regorge d'histoires merveilleuses. J'ai en particulier été marquée par le récit de la jeunesse de Marc Rothko à Daugavpils. C'est curieux, on considère Rothko comme un peintre complètement américain mais Jan Brokken montre bien qu'on ne peut comprendre son oeuvre sans cette référence essentielle à la culture juive et russe du début du 20 ème siècle.

On lira aussi, avec intérêt, le récit sentimental de Jean-Paul Kauffmann: "Courlande" (2009).