dimanche 30 décembre 2007

Le crissement des pointes de glace dans la chair vive
























Twin Peaks - Laura Palmer


Je hais le soleil, l'unanimisme à son sujet, sa joyeuse stupidité, sa tétanie affective et intellectuelle, ses troupeaux amorphes et hébétés. Le Nord, rien que le Nord...

Alors, pour 2008, je souhaite follement que le Gulf stream inverse son cours, qu'un hiver nucléaire s'abatte sur l'Europe. Le paysage hivernal : épuré, dépouillé, merveilleuse synthèse. Nappe blanche, silencieuse, immobile traversée tout à coup par un prédateur.

Je me souviens :

- à Téhéran, les poissons japonais pétrifiés dans la glace du bassin d'un petit jardin; tels des larmes de sang ou de splendides glaïeuls piquetant un miroir .

- à Kaunas, en Lituanie, une course en patins échevelée sur le Niemen gelé......d'un coup de lame, j'avais incisé profondément la joue de mon amie-rivale, Ludmila, qui venait de tomber.... Défigurée... Admirable flaque purpurine aux arborescences de givre se fondant vainement à l'opalescence du fleuve."Blessure exquise".

vendredi 28 décembre 2007

Incandescence de la nuit


















Tadeusz Kantor

Lvov, mon beau labyrinthe personnel : bonheur de vivre dans un monde protéiforme, sans repères fixes. Aérienne légèreté de celui qui ne se sent tributaire d’aucun lieu, d’aucun pays, d’aucune culture. Etrange liberté de celui qui vit dans une dictature parce qu’il se sent dégagé de toute responsabilité et pense pouvoir agir dans une sorte d’innocence perverse, sans bien ni mal.

Que l’on puisse éprouver de l’allégresse dans un monde malgré tout sinistre, que la grisaille et la laideur paraissent tout à coup incandescentes et soient vécues avec intensité, c’est ce paradoxe que j’ai le plus de mal à traduire ici…ici, en Occident, où tout est neutre, tiède, indifférent et où les choses rayonnent d’une évidente simplicité.

S’y ajoutait un sentiment d’apocalypse joyeuse dans l’implosion de l’empire soviétique. Tout s’effondrait, nous vivions au bout du monde, dans des villes complètement déglinguées, dans une ambiance de lendemain de guerre, de torpeur, de déshérence : corruption, affaissement généralisés, efflorescences monstrueuses de salpêtre qui rongeait les immeubles jugendstil, fondrières géantes, relents nauséeux d’égouts et de pourriture, rhizomes ocres de la rouille rongeant les derniers vestiges de la société industrielle. Tout devait être lugubre, sinistre, et pourtant rien n’était triste dans cette ville d’une joyeuse mélancolie. L'innocence et la folle gaieté du volcan…

jeudi 27 décembre 2007

Igitur - Divagations




































Marc ROTHKO


Les blés et l'Azur d'Ukraine

Pourtant, je suis bien réelle. Je suis née en Galicie dans une ville que les tourbillons de l’histoire ont successivement dénommée Lemberg, Lwov, Lvov et aujourd’hui Lviv; ville de nulle part donc et ville de l’angoisse identitaire, tour à tour autrichienne, polonaise, allemande, soviétique et ukrainienne.

Lvov, en langue slave, cela veut dire le lion. C'est aussi le nom du Rabbi Löw, le rabbin qui a conçu le golem et était le Maharal de Prague.

Lvov était à vrai dire un bazar oriental, un patchwork mal cousu, un effroyable capharnaüm de langues et de cultures. Cette ville désordonnée s’accordait à vrai dire à ma plasticité psychique.

Il y avait et il y a en moi un fantasme totalitaire : épuiser le réel, connaître tous les pays, toutes les langues, tous les hommes. Epuiser les corps, la jouissance... On n'a rien fait si on n'a pas tout fait, on n'a rien dit si on n'a pas tout dit. Mais ce principe, confronté au réel, donne simplement : parler toutes les langues sans en maîtriser aucune; vivre dans la déréliction et la cacophonie des idiomes et des cultures.

Jeune fille, je revendiquais ma superficialité. Séductrice, j'aimais être séduite comme autant de peaux nouvelles endossées. Mais chacun sait que "le plus profond, c'est la peau". Je recherchais donc la fulgurance de la rencontre, le basculement dans le "pays des merveilles".

Détachée, désoeuvrée, me moquant des autorités, je me plaisais ainsi à errer dans le labyrinthe urbain, au hasard de mes mauvaises rencontres, allant d’une « kawiarnia » ou d’une « vinarna » à l’autre, mais buvant des morceaux de vie, de belles images, d’étranges musiques, des mots poétiques et vibrants, m’immergeant dans les mondes juif, catholique, arménien, gréco-catholique (uniate), effleurant leur kaléidoscope.

J’étais à vrai dire surtout fascinée par les mauvais garçons, les trafiquants en tous genres qui pullulaient à Lvov, ville frontalière, et qui constituaient, il faut bien le reconnaître, la frange la plus dynamique de la société soviétique.

Je me rêvais moi-même grande trafiquante, de caviar, d’œufs de Fabergé, de pierres de l’Oural, d’uranium, ou mieux super espionne, pillant les laboratoires de recherche occidentaux, franchissant sans cesse les frontières, apparaissant, disparaissant dans l’exaltation du danger adoré.

lundi 24 décembre 2007

Anamorphose














Un chien andalou

Soudain, aujourd’hui, j’ai décidé de traverser le miroir, d’échapper à une existence jusqu’alors virtuelle. Je me contemple dans un trouble émerveillement : suis-je toujours la même dans la peau inversée de mon double ? Délice du retournement, de son exploration.

Anamorphose : l'image « redressée » semble avoir plus de réalité dans le reflet que dans sa matérialité.

"Wpedzona do raju" : propulsée au paradis, dit-on dans l'une de mes langues maternelles. Paradis... ce mot fabuleux exaltant le bonheur de l'altérité.

Nouvelle vie provisoire, très provisoire, passage éphémère, je viens de m’engager dans une voie cruelle, aléatoire. Carmilla vient de faire surface, bris de mille éclats de verre, mais sa disparition est déjà programmée et elle s’éteindra bientôt, cadavre stellaire, géante rouge, après avoir semé peut-être, c’est son ambition, le désordre et la confusion.

« Mais je viens de m’apercevoir qu’un éclat de miroir servait simplement à trancher une paupière » Francesca Woodman