vendredi 26 août 2011

Ma Russie


Alors voilà ! Avant de quitter Moscou et de fondre sur la Pologne, je vous livre quelques images de mon expédition russe. Images présentées sans souci documentaire par rapport à leur seule cohérence affective. Ceux qui connaissent déjà s'y retrouveront peut-être.


Disons que tout ça va de Saint-Pétersbourg à Moscou en passant par l'ile de Kiji et Iaroslav.



La grande force de la Russie, c'est qu'elle fait rêver. Des rêves sombres et bouleversants.


Des lacs aux eaux noires et glacées.




Des étendues immenses parcourues par des chevaux fous de peur.





Des silhouettes féminines hiératiques et bouleversantes.




Des monstres inquiétants.




Des paysages mélancoliques.






La passion de la culture : Gogol et Pouchkine.


Un vitrail de mon hôtel à Moscou : le Metropol.


Enfin, mon lieu préféré à Moscou : le monastère de Novodievitchi avec son merveilleux cimetière.


Photos de Carmilla Le Golem sur SIGMA DP 1 et 2

dimanche 14 août 2011

"L'autre bout du monde"


Demain donc, envol pour Piter (c’est comme ça que les Russes appellent affectueusement Sankt-Peterburg), point d’étape à destination de la Carélie et du lac Onega. Loin vers le Nord, sa lumière blanche et ses forêts luisantes d’humidité.



Là-bas, je suis tranquille, personne ne viendra me retrouver sauf à être prêt à affronter de multiples embûches. Je pourrai y recharger en toute quiétude mes pulsions vampiriques.



Je suis évidemment très heureuse. En quittant l’Europe de l’Ouest pour la Russie, on a d’abord l’impression de « changer de dimension ». Finis les petits pays étriqués. Nulle part ailleurs qu’en Russie, on ne peut éprouver le sentiment de l’espace et de l’immensité.


On compte en milliers de kilomètres et en journées de train. On voit plus grand et ce n’est pas seulement géographique, c’est aussi mental. C’est probablement le dernier pays au monde où l’on puisse encore se perdre et disparaître et le seul aussi où l’on peut se dire que tout y est possible, le pire comme le meilleur. La démesure, ça existe encore sur cette terre.


C’est un peu pour ça que je m’y sens tellement à l’aise, moi Carmilla la vampire. Je vous livre à ce propos les quelques mots que j’ai récemment adressés à une journaliste qui m’interrogeait sur « le mouvement vampirique » (eh oui ! Carmilla Legolem est curieusement parfois sollicitée par les media sur des thèmes très divers mais ça n’a pas plus d’importance que ça).



« Mon incarnation vampirique correspond d’abord au souci très fort que j’ai de mon apparence, de ma séduction.



C’est un mode d’exercice de la puissance, du pouvoir et donc du désir. C’est le plaisir de la conquête d’hommes et de femmes. Le plaisir suprême, fait d’aventures et de découvertes, qui vous conforte dans votre ego et votre identité. Ca passe par des éléments triviaux tels que l’habillement et l’attitude générale mais ça repose plus essentiellement sur le jeu intellectuel et la capacité à maîtriser toutes les contingences. Le séducteur, c’est celui qui n’est pas asservi au réel et c’est pour cela qu’il détient la clé du désir. Etre hors d’atteinte, voilà le secret de la fascination.



Le vampirisme, c’est d’abord une esthétique; elle est principalement issue des cultures émergentes d’Europe centrale et de Russie. Elle est une alternative importante à la domination de la culture américaine.



C’est également une démarche affective et intellectuelle. Je crois que le vampirisme moderne est né d’un rejet de notre société hygiéniste et écologiste associée au culte de la transparence et du naturel. Le vampirisme se réapproprie tout ce que nos sociétés refoulent : la présence du mal en chacun de nous, notre duplicité essentielle, la mort, le crime, le péché, la séduction.


Le vampirisme, c’est aussi une nouvelle approche de la sexualité : refuser le puritanisme ambiant, ne plus percevoir la sexualité comme une hygiène mais lui redonner sa dimension trouble, retrouver son pouvoir de bouleversement.


Enfin, le vampirisme constitue pour moi une exaltation de la féminité, de la séduction, de l’artifice, qualités aujourd’hui réprimées, aplaties, dans une indifférenciation sexuelle généralisée.


Au total, mon ambition est de faire rêver un peu mes lecteurs. Peut-être pas des rêves aimables et coloriés mais des rêves troublants, émouvants, de ceux qui ouvrent une nouvelle porte de l’imaginaire et incitent à agir, à vivre autrement que sous les formes qui nous sont imposées. Car voyez-vous, la pire chose qui puisse nous arriver dans une vie, c’est justement qu’il ne nous arrive rien. Ni passions, ni aventure».


Photographies (à l’exception de la dernière) de Geoffroy DEMARQUET

samedi 6 août 2011

« Comment supporter le Hasard »


Il y a quelques années, j’ai remporté le premier prix d’un concours.

Ce n’était pas une somme d’argent considérable mais ça m’a tout de même permis de faire un beau voyage en Asie.


Passée la surprise, je me suis dit que ce coup de chance (même s’il fallait répondre à des questions précises, historiques et géographiques) était doublement injuste :

- je ne joue jamais (sauf en Bourse, mais ce n’est pas un jeu) et la seule fois que j’ai joué, j’ai gagné.

- que je gagne alors que je suis quelqu’un de privilégié, j’ai jugé que c’était profondément immoral.


Je me suis donc bien gardée d’évoquer ma bonne fortune à mon entourage qui n’aurait pu éprouver que rancœur et sentiment d’injustice.

Etre élu, être privilégié, ce n’est pas si facile car on est souvent taraudé par un sentiment de culpabilité. En disant cela, je sais bien que je ne fais pas pleurer les chaumières mais, si on réfléchit bien, on connaît tous dans sa vie des situations et des événements où l’on a le sentiment que le destin vous a souri et on ne vit pas toujours ça très bien.



Valeria Bruni Tedeschi, la soeur de Carla, a réalisé sur cette question un excellent film en 2002 : « Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer au royaume des cieux ». Pour la majorité des gens, c’est en effet une idée réconfortante de penser qu’un riche ne pourra jamais accéder au Royaume des Cieux ou sera tout du moins, sous une forme plus moderne, un jour puni pour sa richesse forcément imméritée. Pourtant, nous savons bien que ni le chameau, ni le riche, ni…personne, n’accédera au Royaume des Cieux et qu’il n’y a de toute manière aucune justice divine.


En fait, personne ne tolère cette idée que la vie puisse être entièrement soumise au hasard. Plus précisément, le hasard et la chance, on ne les admet que s’ils ont une certaine rationalité et semblent correspondre à une justice.

Car on rêve bien tous en fait du coup de baguette magique ou du miracle qui transformera votre vie. Mais ça ne peut être admis par les autres que si c’est perçu comme la récompense d’efforts effectués.


Il faut que vous alliez voir le dernier film de Jessica Hausner : « Lourdes », avec Sylvie Testud. Elle est une ancienne élève de Michael Haneke. C’est très intelligent, cruel et incisif. Jessica Hausner pose beaucoup de questions sur le sens, ou plutôt l’absence de sens des choses. « Puis-je influencer le cours de mon destin à travers mes bonnes actions ou ne suis-je rien d’autre qu’un ballon dans les griffes du hasard ? ». La question centrale de notre vie, c’est ce contraste entre le sens et l’arbitraire.



Les religions, pas seulement la catholique, recrutent leurs adhérents sur une vision mercantile de la vie assortie d’un continuel marchandage : le bonheur ou le paradis à proportion des souffrances endurées, des mortifications subies.


Que se passe-t-il alors quand quelqu’un qui n’est pas vraiment croyant, qui n’est pas vraiment méritant est tout à coup l’heureux élu ?



On se met évidemment à le haïr avec la même force que l’on hait le hasard. La religion révèle alors l’un des ses soubassements : la joie secrète à souffrir et à voir les autres souffrir, la Schadenfreude qu’avait dénoncée Nietzsche, la complaisance morbide, le goût d’une vie souffrante et rapetissée.


L’autre fondement trivial des religions, c’est le refus du hasard.

On voudrait que tout soit justifié, obéisse à une forme de rationalité (Inch Allah ! c’était écrit). Mais ce n’est pas l’esprit des Lumières qui nous anime, bien au contraire. En fait, on déteste le hasard et en détestant le hasard, on déteste la vie, son chaos, ses chocs, son absurdité.


Certes, me direz-vous, mais ne sommes pas justement libérés de tout cela, à l’âge démocratique, puisque nous sommes tous devenus athées, rationalistes. Peut-être, mais il faut aussi relire Freud quand il fait le portrait de ces innombrables obsessionnels et paranoïaques qui forment notre entourage, tous gens qui détestent le hasard, tous « héros » de l’économie moderne.

On essaie de se blinder contre la contingence, l’aléa mais, toujours, le jeu du hasard vient remettre en cause notre souveraineté.


C’est le hasard qui façonne notre existence et il l’emporte sur la vertu et le mérite. C’est l’image très forte de la bague jetée dans la Tamise, à la fin du film « Match Point » de Woody Allen, qui vient frapper une barrière et qui va faire basculer le destin tout tracé du héros.

Dieu joue aux dés et nous sommes bien « des ballons dans les griffes du hasard ». Mais cette lucidité nécessaire ouvre aussi la voie à toutes les tentations nihilistes.


Alors, comment supporter le hasard ? Le hasard ne nous foudroie pas tous, ne nous rend pas inertes. Chaque coup de dés ouvre en fait une nouvelle opportunité dans notre vie et nous conservons toujours notre libre arbitre par rapport à celle-ci. Il y a alors ceux qui ne veulent surtout rien changer, demeurer enfermés dans leur névrose, et il y a ceux qui neutralisent le hasard, le maîtrisent en saisissant leur chance. Pour cela, ils acceptent une bifurcation, un détour de leur existence.

Moi, je suis la championne des bifurcations, des retournements. Des vies, j’en ai eu de multiples. Mais vous, êtes-vous comme moi ? Aimez-vous le hasard ? Combien de fois votre vie a-t-elle déjà bifurqué ?


Le grand peintre norvégien ODD NERDRUM (né en 1944)

Je vous invite par ailleurs à lire le numéro de cet été de la revue Philosophie Magazine : « La vie est-elle une suite de hasards ? »