samedi 26 mars 2016

"Le pays des rêves"


"Le pays des rêves", c'est comme ça, paraît-il, que le peintre Magritte qualifiait la Belgique.


Les événements récents, c'est d'abord pour moi l'occasion de parler un peu de la Belgique, de lui exprimer mon amour. Je connais un peu, je suis allée maintes fois à Bruxelles et à Bruges mais aussi à Gand, à Anvers, à Ostende. 


D'abord, j'aime bien la convivialité belge. Même si on est moins sophistiqués qu'en France, on est aussi beaucoup moins "petits marquis", beaucoup plus égalitaires. Et puis, on aime la fête, il suffit de se rendre dans une brasserie: il y a de l'ambiance, ça vrombit... Surtout quand on est attablés devant une bière. La bière, d'ailleurs, j'adore ça et évidemment la belge. En France, j'achète régulièrement de la Chimay et de la Leffe; je viens aussi de découvrir l'Orval (mais elle est difficile à trouver).



Surtout, il y a un génie artistique et culturel belge. Je souligne ça parce qu'en France il y a une odieuse tradition des blagues belges qui me met très mal à l'aise. Quoiqu'on en dise, pour moi, c'est du racisme.



Concernant la culture belge, voilà les choses que j'aime. Ce ne sont, bien sûr, que quelques éléments. D'abord, l'Art Nouveau. La Belgique, c'est l'un des grands pays de l'Art Nouveau. On peut, par exemple, visiter Bruxelles comme une ville Art Nouveau. Il y a plein d'édifices magnifiques, impressionnants. J'adore évidemment Victor Horta et sa maison de Bruxelles.


Contemporaine de l'éclosion de l'Art Nouveau, il y a la peinture symboliste. En ce domaine, rien n'est plus beau que la peinture symboliste belge: Félicien Rops, Léon Spilliaert, Fernand Khnopff, William Degouve de Nuncques comptent parmi mes peintres favoris. Et il y a évidemment, aussi, le prolongement surréaliste, Magritte et Delvaux bien sûr mais aussi beaucoup d'autres. S'y dessine une culture subversive, contestataire mais ne sacrifiant pas la beauté.


En littérature contemporaine, je ne suis pas une fan d'Amélie Nothomb mais j'aime beaucoup Lieve Joris, écrivain-voyageur. J'adore également Lydia Flem et je viens de découvrir Isabelle Spaak ("Une allure folle").

Comment ne pas mentionner, non plus, que la Belgique est le pays d'origine de la bande dessinée ?

Et il y a enfin l'humour belge. Je suis une grande fan de Philippe Gelück, Stéphane De Groodt et Charline Vanhoenacker. C'est subtil et dépourvu de méchanceté.



Tableaux de Jean DELVILLE, William DEGOUVE DE NUNCQUES, Willy FINCH, Xavier MELLERY, Felicien ROPS, Léon SPILLIAERT.

samedi 19 mars 2016

De la nationalité

Etre Français, Russe, Américain etc..., on a tendance à penser que ça se résume à parler une langue.

Que notre nationalité, ce serait finalement quelque chose d'assez contingent par rapport à nous-mêmes. Qu'éventuellement même, on pourrait se sentir en désaccord profond avec celle-ci.

On peut ainsi affirmer, impunément, qu'on ne se sent pas du tout Français, Russe, Américain etc..., qu'on n'a rien à voir avec ces nationalités étriquées, réactionnaires, petites-bourgeoises.


Pourtant, dès qu'on met le pied en dehors de son pays d'origine, dès que tous nos repères habituels sont effacés, on éprouve, brutalement, qu'on a bien une nationalité originelle. Et d'ailleurs, même si on est d'esprit révolutionnaire ou qu'on prône le multiculturalisme, on n'aime pas du tout entendre critiquer son pays quand on est à l'étranger et on se met, alors, à le défendre farouchement, bec et ongles.


A l'inverse, on peut parvenir à parler, presque parfaitement, une langue étrangère et ne jamais se sentir complètement raccord avec le pays, toujours éprouver que quelque chose d'essentiel vous échappe. C'est un peu mon cas. Il y a, comme ça, plein de choses que je ne comprends pas ou aux quelles je n'adhère pas en France et je sais que je ne pourrai jamais corriger ça. Vous êtes définitivement sculptés, façonnés, par le pays où vous avez vécu dans votre enfance. Il y a quelque chose d'indécrottable en nous.


Une nationalité, quoi qu'on en dise et même si l'extrême droite en fait son fond de commerce, ça n'a rien d'accessoire, ça une signification profonde, ça va, en effet, bien au-delà d'un passeport. 

Ça touche à quelque chose d'intime, d'essentiel. Ça engage notre corps, nos affections, nos jugements esthétiques. Un Belge, un Français, un Québecquois, un Suisse le savent bien: même si, quand on se parle, on se comprend parfaitement, on n'a pas le même vécu mental. C'est comme pour les Russes et les Ukrainiens. Mais ça ne veut pas dire, non plus, qu'on ne peut pas échanger et, finalement, se mettre, un peu, à la place de l'autre.


Une nationalité, c'est d'abord un corps: on a des gestes, une démarche, des mimiques, une façon de s'habiller qui nous cataloguent immédiatement.

Mais surtout, une nationalité, c'est un système affectif et un mode de pensée. C'est une façon d'aimer, un rapport avec les autres. Etre une femme, un homme, engager une aventure amoureuse, ça diffère beaucoup selon les pays. Et puis on ne pense pas non plus de la même manière, on est plus ou moins rationnels, plus ou moins émotifs.


Pour ce qui me concerne, j'avoue que les relations sociales, familiales, m'apparaissent bien mystérieuses en France. Ma terreur, c'est d'être invitée, pour un week-end, chez des "amis". J'y suis totalement perdue. Ce qui m'y terrifie, c'est le persiflage, je ne supporte pas ça.


Par ailleurs, la cuisine, le vin, je n'y connais rien. Je ne bois que de la bière et ne mange que du poisson et des coquillages. Ça m'exclut un peu.


L'habillement, je me sens plus à l'aise en Russe même si je sais que ça fait pute, sexy, froide. 

Les relations hommes/femmes en France, en revanche, j'aime bien. C'est égalitaire, il y a des relations de séduction. Mais la drague, le harcèlement continuels, ça m'épuise.


Mais il y a quand même un point qui fait que je me sens totalement Française. Les Français, ce sont des gens abstraits ! C'est du moins comme ça que je les vois! On n'est pas enracinés dans le matériel, le terre à terre.

Ce sont de grands mathématiciens, de grands ingénieurs, de grands philosophes. Et puis, il y a une esthétique française.

Etre abstrait, détaché des contingences et émotions, c'est ça que j'aime !



Tableaux de Guy Pène du Bois (1884-1958) célèbre peintre (américain, contrairement à ce que laisse supposer son nom). J'aime beaucoup!

samedi 12 mars 2016

Le droit à la solitude


J'ai plusieurs facettes: je suis généralement très sociable; j'engage, volontiers, la conversation dans un café ou un restaurant ou, alors, j'adore organiser, chez moi, des fêtes démentes, à la slave, se terminant, généralement, dans l'hébétude ou l'orgie;  mais, quelquefois aussi, je suis complètement sauvageonne, je disparais complètement de la circulation, je ne réponds plus ni aux mails, ni aux appels téléphoniques, je m'évade, sur un coup de tête, dans un pays lointain ou bien j'erre simplement, au hasard, infiniment, dans Paris. 


A une époque, j'allais même au Japon rien que pour ça: j'avais l'assurance d'y être injoignable puisque plus rien n'y fonctionnait, portable, ordinateur, appareils électroniques;  j'étais sûre d'avoir la paix, d'y être tranquille, de sortir du champ des radars, de m'évanouir à l'horizon. Mais même le Japon, ça n'est plus possible aujourd'hui, tout y marche maintenant. Partout dans le monde, maintenant, on est et on doit être joignables, connectables à tout moment. 

La pression de l'extérieur, c'est ce qui me pèse le plus. Etre mille fois sollicitée, chaque jour, pour des motifs professionnels, sentimentaux, sexuels, je trouve ça épuisant. 

Je sais bien que ce dont on souffrirait le plus aujourd'hui, ce serait de la solitude mais ça m'étonne. La littérature, la peinture contemporaines évoquent continuellement ça. Et c'est vrai que la solitude, on en fait tous, chaque jour, plus ou moins, l'expérience. On éprouve ça dans un groupe ou dans la foule, dans une relation de couple, dans une fête, après avoir fait l'amour. Tout à coup, on se sent rejetés, mis à l'écart et on vit ça généralement très mal. 


Pourtant, je ne suis pas sûre que la solitude, ce soit toujours le problème existentiel numéro 1 de nos sociétés. 

J'ai l'impression que la solitude, c'est fini ! 

On vit plutôt dans un monde de la sollicitation, de l'intrusion, du harcèlement permanents.On me considère ainsi, souvent, avec compassion: comme tu dois être malheureuse, sans famille, sans descendance, sans relation stable. Et on se plaît à me casser les pieds comme si on voulait me punir: je suis inondée de mails, de messages, d'appels téléphoniques, d'invitations, de requêtes; sexuellement, je suis, sans cesse, harcelée comme la plupart des filles pas trop moches. 


Je prends ça avec distance et je ne m'en plains pas non plus: c'est la vie ! L'épouvante, ce serait aussi que personne, absolument personne, ne me contacte. Ce qui me gêne, en fait, c'est que, sans cesse, on me somme de décider, de prendre parti, de m'engager, de faire ceci ou cela. La solitude, ça n'est vraiment pas mon vécu quotidien. Je me sens plutôt continuellement bombardée d'injonctions. 

Parce que c'est bien ça: il n'y a aucune sollicitude dans cette attention que l'on semble me porter. La pression de l'extérieur, celle des amis, des collègues, des relations professionnelles, des dragueurs, des amants, n'a rien de bienveillant, c'est celle des diktats d'une société qui veut éradiquer ses francs-tireurs. C'est le rappel à l'ordre. 


Les loups solitaires, ça ne doit plus exister. On doit accepter de se faire bouffer: 

"Fais des enfants. Fais carrière. Fonde une famille. Assois ta réussite. Ta descendance. Assure ta succession. Crains la vieillesse. Fais-toi rajeunir. Sois jalouse. Possessive. Habile et désirable. Ne perds jamais de vue tes intérêts". 

Le droit à la solitude, ça n'existe plus. Il faut apprendre à obéir, à se conformer aux lois de la reproduction sociale.


Je voudrais, ici, revendiquer un droit essentiel, aussi essentiel que celui de sa propre vie: 

"Le droit d'être absente, le droit à la rêverie, au retrait, à la rétention, voire au refus. Ne pas se rendre forcément disponible quand on doit l'être, se réserver quelques îlots inatteignables où disparaître quand on vous agresse ou qu'on vous flatte, deux stratégies de dévoration, assez jumelles au fond-ne pas être marié à son portable, rester opaque, jouer l'obsidienne contre le cristal, le mystère contre la transparence".


Tableaux d'Edvard MUNCH (1863-1944), le grand peintre norvégien. Aucun autre (pas même Edward Hopper) n'a su exprimer, avec une telle intensité, le sentiment de  la solitude.

J'ai placé, en exergue, son tableau: "La criminelle". Il me hante continuellement. C'est même, pour moi, l'une des grandes œuvres contemporaines. Etre une criminelle, est-ce que ce n'est pas l'affirmation, la plus extrême, de son droit à la solitude, à la liberté ? Qui peut comprendre la monstruosité ? Qui est plus solitaire qu'un criminel et surtout qu'une criminelle?

Les textes entre guillemets sont d'Elisabeth BARILLE que j'aime et admire et dont je recommande, absolument, le dernier livre: "L'oreille d'or".

samedi 5 mars 2016

Le mythe de la Galicie


La Galicie, ce sont mes origines mais je me rends compte qu'en France, ça n'évoque absolument rien. On confond ça, généralement, avec la Galice en Espagne, un comble ! Est-ce que j'ai l'air d'une Espagnole ?

Ou alors, quand on est plus éclairé, on me parle de la division SS-Galicie, ce qui n'est pas très flatteur, surtout qu'on embraie, ensuite, sur les Ukrainiens nazis-fascistes. C'est quand même plus compliqué que ça.


C'est vrai que la Galicie, ça n'a jamais été qu'une grande province tiraillée, partagée, entre la Pologne, l'Autriche-Hongrie, l'URSS, l'Ukraine. En plus, la misère et l'arriération y étaient, parait-il, épouvantables surtout du temps de l'Autriche-Hongrie. La Galicie, c'était le fin fond de l'humanité. C'est pour ça que des centaines de milliers de Galiciens ont émigré aux Etats-Unis.


La Galicie, c'est pourtant ce qui me fait rêver. Il y a, aujourd'hui, des mouvements politiques, notamment en Ukraine, qui militent pour la création d'un Etat galicien indépendant. J'avoue, même si je déteste tous les nationalismes, que je ne suis pas loin d'y adhérer. Une République de Galicie, j'irais tout de suite m'y installer.


La Galicie, c'est en effet une région merveilleuse. C'est d'abord la montagne, les Carpates, qui occupent toute la partie Sud. Bien sûr, ce ne sont pas les Alpes, c'est moins impressionnant, moins élevé, mais c'est plus sauvage, plus mystérieux et il y fait plus froid. Et au moins, il y a de la neige (ce qui n'est plus le cas des Alpes). Et puis, surtout, il y a la campagne encore miraculeusement préservée (on ne sait plus ce qu'est la campagne, la nature, les animaux, les insectes, en France).


La Galicie, c'était aussi l'une des régions les plus multiculturelles en Europe. On y parlait couramment l'allemand, le polonais, le ruthène, le yiddish, le russe. Surtout la culture juive était très forte et très présente en Galicie. C'est dans cette région d'Europe que les Juifs étaient les plus nombreux. Evidemment, tout ça a largement disparu à cause de la Grande Catastrophe. Il n'y a plus que quelques traces. Affreux, un grand vide ! Seul réconfort: en Ukraine occidentale, on demeure, au moins bilingue mais le yiddish, bien sûr, on ne connaît plus. Terrible !. 


Surtout, la Galicie, c'est vraiment le pays de la littérature avec une pléiade de grands écrivains: 

- en allemand: Joseph Roth (on ne connaît, malheureusement, en France, que "La marche de Radetzky" qui n'est pas son meilleur bouquin. Il y a, vraiment, bien mieux: "La Crypte des Capucins", "La fuite sans fin", "La légende du Saint-Buveur" ), Leopold Von Sacher Masoch, Soma Morgenstern( on vient de publier, en poche, ses 3 grands livres: "Le fils du fils prodigue", "Le testament du fils prodigue" et "Idylle en exil"); 

- en polonais: Bruno Schulz, Andrzej Kusniewicz, Julian Stryjkowski;

- en hébreu: Shmuel Yosef Agon (né à Buczacz en 1868, Ukraine, prix Nobel de littérature en 1966, mort en 1970), Aharon Appelfeld (né en 1932, je recommande son dernier bouquin: "Les Partisans" 2015);

- en ukrainien: Ivan Franko, Yurij Andrukhovych. J'adore Andrukhovych (né en 1960). Je le trouve même supérieur à Andreï Kourkov, l'écrivain-phare de la littérature ukrainienne contemporaine. Andrukhovych est d'une absolue modernité et d'une extraordinaire inventivité. Curiosité: Andrukhovych a, récemment, fait scandale en se proclamant partisan d'une scission de l'Ukraine entre l'Est et l'Ouest, c'est à dire entre l'archaïsme et la modernité. J'adhère largement à cette idée.

J'ajouterai, enfin, que les parents de Sigmund Freud étaient originaires de Galicie.


Vous ai-je convaincus ? Vous ne savez peut-être pas où aller, cet été, en vacances ?  Partez donc en Galicie, c'est très facile et bon marché; ce sera, aussi, plus original et ça impressionnera davantage vos amis qu'un quelconque pays méditerranéen où vous rencontrerez, forcément, votre voisin. Il y a d'abord des villes magnifiques, très vivantes, avec des cafés et restaurants extraordinaires: Cracovie et Lviv d'abord; j'ajoute Zakopane, Sanok, Nowy Sacz, Drohobycz, Kolomyia, Ivano-Frankivsk, Brody, Ternopil, Zolkiew. De toute façon, si vous avez des difficultés à composer votre itinéraire, sollicitez-moi.

Tableaux de Wyczolkowski (1852-1936), Wyspianski (1867-1907) Falat (1853-1929), peintres symbolistes polonais.

Il faut, aussi, ajouter deux grands peintres galiciens, les deux plus grands: Bruno Schulz (1892-1942) et Zdzislaw Beksinski (1929-2005). Ils me fascinent absolument.


Carte géographique et armoiries de la Galicie (cet oiseau bizarre nous change, au moins, des aigles habituels).

Enfin,si vous vous intéressez à la Galicie, je vous recommande le livre, récemment publié, de Martin POLLACK: "Empereur d'Amérique-Le grand exode de Galicie". Une réserve: c'est l'envers, affreux, de la Galicie.