dimanche 27 septembre 2009

L’ Estrangement


Les retours sont toujours un peu difficiles car il faut bien dire que je me suis toujours sentie un peu « à côté » de la France. C’est un pays curieusement assez fermé.



L’estrangement, voilà ce que j’éprouve et ça me rappelle le nom d’un groupe métal ukrainien : Відчуженість ( Vidchuzhenist).























A mon inadaptation, je vois d’abord les motifs suivants :


- Il y a une espèce d’arrogance française qui fait que la quasi-totalité du monde, hormis les plages de la méditerranée, est « terra incognita ». On est d’une ignorance effarante mais ça n’empêche pas d’avoir des jugements péremptoires : les russes sont fascistes, les polonais antisémites, les ukrainiennes sont des prostituées. Quant aux biélorusses et aux baltes, ça existe ça ?



























- 80 % des conversations, en France, tournent autour de la nourriture et de la cuisine. Moi qui n’en ai rien à faire et qui ai pour préoccupation de rester très mince et légère, ça m’exclut de beaucoup de discussions.


- On est d’une goguenardise bêtasse sur la religion, un peu à la manière d’un Michel Onfray. Là encore, on ne craint pas d’être réducteur : le catholicisme, c’est l’interdiction du préservatif et de l’avortement ; quant au judaïsme, on commence à en avoir marre d’entendre tout le temps parler de la Shoah et puis voyez ce qu’Israël fait aux palestiniens.


























- Dans le prolongement de cette attitude vis-à-vis de la religion, on a une vision étonnamment prosaïque de l’existence. L’essentiel, c’est de ne pas se prendre la tête, de profiter, et de s’éclater. Un monde de spontanéité émotionnelle pure, sans trouble et sans interdit. D’ailleurs, le péché, la culpabilité, la différence des sexes et des générations, qu’est ce que c’est que ces bêtises d’un autre âge ? Que l’existence puisse également être trouble, malaise, bref désir et angoisse, ça ne semble plus guère compris aujourd’hui en France.


- Enfin, la France est un pays où la rancœur et l’amertume sociale sont effrayantes. Vous êtes détesté à proportion de votre pouvoir et de vos revenus. Ce n’est pas une éthique égalitariste, c’est simplement du populisme.



























Stanisław Ignacy Witkiewicz

samedi 19 septembre 2009

Le retour, la répétition, la reprise



Aussitôt revenue à Paris, je me suis précipitée aux Galeries Lafayette pour voir les vitrines de David Lynch.


Evidemment, j’ai été déçue ; il est vrai qu’il ne fallait pas non plus attendre un joli décor de la part de David Lynch mais plutôt quelque chose de percutant, déconcertant.


Cela dit, je suis une fan absolue de David Lynch et tant pis si c’est hyper snob.


Pour nous les vampires, David Lynch est quelqu’un de très important car il donne une légitimité à notre existence. Il rend compte en effet de ces monstres qui nous hantent tous, tueurs psychopathes et vampires, en révélant l’étrange rapport au temps du psychisme humain.
On croit, dans la civilisation occidentale, que le temps est linéaire et qu’il est irréversible. C’est sans doute vrai de l’histoire collective mais c’est beaucoup moins évident concernant la psychologie individuelle.














En effet, qui parmi nous n’est pas régulièrement visité, assailli, pas seulement dans ses rêves, par les figures effrayantes de l’angoisse ? Le retour incessant de monstres qui viennent vous reprocher d’être en vie.


Le plus souvent, ce sont les morts qui reviennent, nos parents et tous ceux qui ont fait partie de notre entourage. Ce sont aussi d’impitoyables criminels qui veulent vous punir et vous arracher à la vie.


Tout cela est classique, ce sont les figures communes du sentiment de culpabilité qui signe notre condition humaine.


Ces figures de l’angoisse, ces morts qui nous recherchent, David Lynch les représente, dans «Inland Empire », par des lapins hallucinés. On retrouve le même lapin fou, aux yeux de tueur et aux incisives affutées, dans « Donnie Darko ».



Le retour continuel des figures de la mort, cette infinie répétition, cela montre bien que le temps humain n’emprunte pas un chemin rectiligne. Quand on veut le remonter, on s’égare dans des labyrinthes atroces mais il nous reprend sans cesse, dans le mouvement peut-être pas d’un cercle mais plutôt d’une spirale.




























Dans le retour, la répétition, dans ce qui insiste continuellement, dans cette angoisse dont on n’arrive pas à remémorer la source, dans ces lapins fous et ces vampires qui surgissent sans cesse, Freud voyait la manifestation même de la pulsion de mort.


La répétition, c’est ce qui nous tue et nous détruit à petit feu. La répétition, c’est ce qui tend à vider la vie d’elle-même pour un retour à un état mécanique, anorganique, pour toucher à l’indifférence de la mort.





Pourtant, la répétition, c’est ce que nous aimons, c’est ce à quoi nous sommes attachés. Nous croyons que c’est en elle que se constitue notre identité.


Et nous n’arrêtons pas de nous raconter, de dévider la pelote de notre vie, de chercher à retrouver un premier amour. C’est ce qui fait aujourd’hui la fortune de toutes les psychothérapies.

Mais attention, prenez garde à la nostalgie, aux souvenirs ressassés, ruminés. La répétition vous appauvrit et vous rend esclave.

Pendant longtemps, je n’ai absolument rien compris aux livres de Soeren Kierkegaard. J’étais simplement impressionnée par son nom (qui veut dire « cimetière » en danois) et je me suis rendue à maintes reprises à Copenhague. Je croyais moi aussi que l’on pouvait retrouver un moment heureux de sa vie, en se rendant simplement sur les lieux mêmes de ce bonheur. J’ai ainsi beaucoup voyagé dans cette quête, à Berlin, à Prague, à Budapest, à Moscou, à Stockholm.


Mais on découvre vite que ça ne marche pas comme ça. Dans l’un des livres les plus célèbres de Kierkegaard, « la reprise » (qui a longtemps été traduit, de manière erronée, par « la répétition »), le narrateur, l’amoureux nostalgique, essaie de reproduire à l’identique un séjour à Berlin. Tout semble parfait, tout est là, les lieux sont les mêmes, mais en fait rien ne va car c’est l’amoureux qui n’est plus là.

Pour échapper à la mort, à la maladie, pour choisir la vie, il faut se défaire de l’emprise, de l’étau, de la répétition. C’est « la reprise » de Kierkegaard, c'est-à-dire notre capacité à tester une vie nouvelle.


Photos de Carmilla Le Golem – Sigma DP2

dimanche 13 septembre 2009

Le miracle de la Vistule


Depuis Yalta (Ялта), j’ai redégringolé très vite sur Cracovie (Kraków). Autres pays, autres mœurs et surtout autres langues.

Je suis peut-être l’une des seules à me poser cette question mais j’ai vraiment l’impression qu’on a inventé ces foutues langues du russe, du polonais, de l’ukrainien, du slovaque, tellement proches mais néanmoins différentes, rien que pour me torturer.

Les affres du plurilinguisme, on ne sait pas toujours ce que c’est. Cette impression qu’on comprend et parle bien sûr mais jamais complètement, jamais parfaitement ; c’est comme une vieille radio avec plein de parasites, toujours avec des incertitudes et quelquefois même des incompréhensions et des blancs.

C’est sûr que le monde apparaît tout de suite beaucoup moins simple. En écho, j’attrape les premières phrases du remarquable dernier livre de Pascal Quignard : « Qu’est ce qu’un littéraire ? Celui pour qui les mots défaillent, bondissent, fuient, perdent sens. »























Cela dit, la Pologne, ça fait tout de suite beaucoup plus civilisé que la Russie. On ne se fait plus rabrouer à chaque fois qu’on demande quelque chose et on y a le sens de la qualité du service.

Les deux pays se détestent cordialement, c’est bien connu, même s’ils ont aussi beaucoup de points communs. Le comble de la provocation, en Pologne, c’est de se déclarer russophile, comme le fait l’écrivain Mariusz Wilk.

Il est vrai que l’histoire ancienne et récente donne de bonnes raisons aux polonais d’en vouloir aux russes. Mais au-delà d’un nationalisme étriqué, il y a un questionnement culturel réel.

Pour moi, les choses sont claires ; ce que j’aime, c’est la dimension tragique de la culture polonaise qui culmine dans une fascination pour l’horreur et la mort. C’est le fond slave qu’on retrouve aussi en Russie mais sous une forme très atténuée. C’est un aspect très mal compris en France où l’on est modéré en toutes choses et où règne la dictature du bon goût.























Mais il y a aussi, en Pologne, une filiation directe avec l’esprit viennois, le raffinement et la sensualité de l’Autriche-Hongrie. C’est cela le miracle de la Vistule; ce n'est pas seulement une victoire militaire, celle de 1920, c'est surtout la victoire de la culture de l’Europe Centrale sur le totalitarisme. Etrangement, peu de français savent que le général de Gaulle a participé à ce miracle.

Pour illustrer mes propos, j’ai choisi quelques tableaux d’Axentowicz. Je crois que personne ne le connaît en France. Il était recteur de l’Académie des Beaux-Arts à Cracovie.


Teodor Axentowicz

dimanche 6 septembre 2009

« L’amour en Crimée »


Yalta (Ялта), c’est maintenant la station balnéaire à la mode pour les Russes et les Ukrainiens qui n’ont pas les moyens de se payer la Côte d’Azur.


C’est évidemment populaire mais c’est aussi un spectacle extraordinaire d’arpenter le quai Lénine, en front de mer surplombé par les montagnes. Il y a là profusion de jeunes filles en fleurs, souvent kitsch mais moins dessalées qu’on ne pourrait l’imaginer.

Il y a longtemps que j’ai renoncé à inviter des copines françaises pour visiter la Russie et l’Ukraine.


Les françaises, en général, détestent l’Est. En effet, elles se sentent tout de suite reléguées au rang de laideron de base et leur amour propre national en prend un coup.



























Alors, ce ne sont que récriminations et elles deviennent méchantes : on est vulgaires et on est des putes.

Ouais, mais on est aussi pragmatiques et ambitieuses. Ce qu’il faut bien voir, c’est qu’on est un peu comme les japonaises : on ne s’intéresse pas beaucoup aux hommes, voire pas du tout, et l’amour, on ne sait pas trop ce que c’est.

Les françaises sont éduquées dans un sentimentalisme bêta, façonné en partie par la littérature, avec la nécessité, à tout prix, de rencontrer l’amour. Personne ne semble voir que c’est aussi une forme d’asservissement, une horrible prison intellectuelle et sentimentale.


























Les slaves, elles sont toutes un peu comme moi, des vampires. On n’a pas du tout cette obsession des mecs et de l’amour qu’ont les françaises. Ca nous semble une prise de tête épouvantable et aliénante. Notre ambition, c’est simplement d’accéder à l’indépendance matérielle pour pouvoir jouir pleinement de la vie.

Ce n’est peut-être pas du cynisme : c’est surtout la recherche d’une liberté supérieure, la conquête d’une vie sans préjugés.



Larissa KULIK (Лариса Кулик)