samedi 26 janvier 2013

“One day, I too will dread the loss of heaven”




 Petite revue, maintenant habituelle, des bouquins que j’ai aimés ces dernières semaines :


Yasmina REZA : « Heureux les heureux ». Yasmina Reza, c’est évidemment un des grands écrivains français. Son dernier bouquin est stupéfiant, de violence et de légèreté, mais il touche à l’essentiel, la vie et son tohu-bohu. « Les couples me dégoûtent » déclare Yasmina REZA dans un résumé lapidaire. La faille en chacun de nous, celle qui apparaît, tout à coup, sous le vernis craquelé de la civilité. Yasmina REZA, c’est aussi pour moi  son histoire personnelle (l’Iran, la Russie, la Hongrie, Paris X-Nanterre, le jour de la date de naissance) et ça fait que je me sens proche d’elle.


Alexandre LACROIX : « Voyage au centre de Paris » - Un roman géographique et un voyage sentimental dans Paris. Tous les amoureux de Paris adoreront : plein d’histoires extraordinaires (sur la Fontaine Médicis, les écrivains américains à Paris, les Templiers etc…). On a envie de refaire immédiatement toute la promenade décrite dans ce livre. J’aime beaucoup Alexandre Lacroix : je rappelle qu’il est rédacteur en chef de « Philosophie Magazine », une revue qui réussit le tour de force d’être accessible et jamais ennuyeuse.


Catherine CUSSET : « Indigo ». Un voyage touristique, ça n’est jamais aussi simple qu’on l’imagine (culture et farniente). Surtout quand il s’agit de l’Inde profonde et surtout quand on se trimballe toujours avec toutes les sinuosités de sa vie sentimentale. Un voyage, ça peut donc être aussi un catalyseur. On en revient souvent métamorphosés. Catherine Cusset, je lis tous ses bouquins à leur parution (« Jouir », « Confessions d’une radine », « Le problème avec Jane », « Un brillant avenir ») et je trouve toujours ça virtuose.


Nicole CALIGARIS : « Le paradis entre les jambes ». Nicole Caligaris a côtoyé, en 1981, l’étudiant Issei Sagawa, le japonais cannibale d’une jeune étudiante hollandaise. Elle a même, candidement, échangé quelques lettres avec lui. Elle ne cherche cependant pas ici à décrypter la personnalité d’Issei Sagawa, mais elle interroge plutôt notre rapport, répulsion-fascination, au mal; notre étrange proximité avec celui-ci, plus particulièrement quand on est une jeune femme ou un artiste. Une écriture étonnante.


Ann BEATTIE : « Promenades avec les hommes ». La vie sentimentale d’une jeune New-Yorkaise au début des années 80. Le doute, le mensonge, la passion, l’ambition et surtout, l’ambiance et l’esprit new-yorkais.


Anne BERT : « L’emprise des femmes ». Vous êtes peut-être comme moi : vous en avez par-dessus la tête du féminisme victimaire et des pleurnicheuses qui exigent réparation. Pourquoi ne parle-t-on jamais de la domination des femmes en matière de relations amoureuses et sexuelles ? Voilà enfin un livre qui ouvre de nouvelles perspectives. Evidemment, moi Carmilla la vampire, je me retrouve complètement là-dedans et j’espère que ça donnera aussi plein d’idées à d’autres femmes.


Nathalie COURTET : « Les routes de la démesure ». C’est la suite du 1er volume, « Aux portes de l’Orient », dont j’ai parlé au mois de mai dernier. Ca m’a beaucoup intéressée parce qu’on traverse, cette fois ci, des pays complètement mystérieux qui font rêver : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkestan, la Karakoram Highway, l’Inde du Nord, le Népal, le Ladakh, le Mustang …Tout ça parcouru à vélo en 8 mois. Incroyable.


Jean-Michel BESNIER : « L’homme simplifié ». On est maintenant envahis de machines censées nous simplifier la vie. Tout serait plus facile aujourd’hui mais est-ce que vous n’avez jamais piqué une crise de rage quand on vous renvoie d’une messagerie vocale à une autre ? La plupart des nouvelles technologies nous rendent idiots en nous enfermant dans une logique de communication binaire et en nous dépossédant de nos capacités propres, d’analyse et de mémoire.



Béatrice HIBOU : « La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale ». Une approche novatrice dont je reparlerai dans un prochain post.


Jean-Marc DANIEL : « 8 leçons d’histoire économique ». Un bon livre d’économie, c’est rare et, croyez-moi, j’en lis beaucoup. Celui-ci est attrayant, bien écrit, et permet, en parcourant l’histoire de l’économie (c’est beaucoup moins ennuyeux qu’on ne l’imagine, c’est même plein d’histoires extraordinaires), de poser un regard plus éclairé sur notre actualité.


Images de la célèbre photographe néerlandaise Ellen KOOI

Au cinéma, j’ai beaucoup aimé : « Royal Affair » de Nikolaj Arcel, « Tabou » de Miguel Gomes, « Touristes » de Ben Wheatley, « Ki » de Leszek Dawid

dimanche 20 janvier 2013

De la filiation - « Main basse sur les vivants »



Encore une fois,  je suis hérissée ! Toutes ces idées saugrenues qu’on agite en ce moment autour du droit à l’enfant et à l’adoption. Je trouve ça bizarre : le familialisme devient de plus en plus fort même si c’est dans un cadre restructuré, éventuellement unisexe ! Surtout, on semble pénétrés de cette idée que le modèle de l’accomplissement d’un individu, c’est la filiation.


Alors ça justement, c’est peut-être discriminant. Il y a plein de gens qui n’en ont rien à fiche de se reproduire symboliquement ou biologiquement;  j’en fais d’ailleurs partie. On peut aussi ne pas avoir, ne pas désirer, d’enfant, de famille, sans pour autant mener une vie  atrophiée et malheureuse. Cette ambition d’une trace, d’une transmission, je trouve ça très prétentieux, très petit-bourgeois.


On aime bien en fait le déterminisme : les origines, la descendance, il faudrait que ça nous constitue absolument. Sans doute, mais il y a aussi tous les conflits, toutes les luttes, autrement plus formateurs que l’on traverse dans une vie.


Et puis qu’est-ce que ça veut dire ce désir de filiation, cette volonté de transmettre à tout prix une parenté ? C’est aussi l’expression d’un étrange narcissisme, dévorant, dominateur. On le sait bien en effet : les enfants ne sont le plus souvent qu’une projection idéalisée, sublimée, de leurs parents. L’enfant compense les humiliations, les mortifications de l’adulte.


Je m’étonne d’ailleurs que presque personne n’ait rappelé que l’adoption n’est pas forcément si compliquée que ça et qu’un homosexuel peut aujourd’hui, en toute légalité, adopter quelqu’un. C’est la procédure de l’adoption simple; c’est très répandu dans certains pays européens, beaucoup moins, semble-t-il, en France (un cas célèbre : la fille adoptive de Sartre).


Si on y a peu recours en France, c’est sans doute parce que l’adoption simple ne modifie pas les liens de filiation et qu’elle repose sur un accord des deux parties. C’est en fait un contrat d’assistance réciproque (conclu éventuellement entre des adultes) et c’est ce que je trouve très bien : si on aime vraiment quelqu’un et si on veut lui porter soutien, on peut très simplement recourir à l’adoption simple.


Mais dans les revendications aujourd’hui exprimées du droit à l’adoption, il est clair qu’il ne s’agit que secondairement d’amour. La préoccupation première, c’est cette fichue filiation. J’avoue que je trouve ça exorbitant et forcément fantasmatique.


Le comble du délire, j’oserai même dire que c’est la procréation médicalement assistée (la PMA). Les hôpitaux français consacrent maintenant des sommes folles à ce truc et tout le monde semble trouver ça très bien, même si c’est évidemment au détriment de la prise en charge d’autres personnes, réellement malades.


Mais en fait, est-ce que la volonté de puissance de la science ne vient pas ici au-devant de nos tourments sociaux ? Qu’est-ce que c’est, en effet, que cet étrange désir d’une origine totalement maîtrisée à l’œuvre dans la science la plus pointue ?


On vient, avec la P.M.A., de confier à la science le soin de gérer notre sexualité. On va maintenant complètement à contre-courant du mouvement de libération sexuelle des années 60-70. La science est aujourd’hui chargée de réguler nos débordements.



Avec les techniques de P.M.A., on aboutit à une « origine débarrassée de la sexualité ». Ca procure sans doute une jouissance à beaucoup parce que ça recouvre beaucoup de fantasmes infantiles : « mes parents ne sont pas mes parents », « je ne suis pas né d’un acte sexuel ».


Surtout, ça aboutit à une "fabrique généralisée du même qui altère l'altérité, et à ce discours en impasse de la liberté individuelle qui suscite un « droit» à l'enfant, à la santé, à l'éternité... quel qu'en soit le prix".


Photographies de Polixeni PAPAPETROU, jeune photographe australienne qui illustre à merveille, me semble-t-il, les paradis vénéneux de l’enfance.

Je renvoie par ailleurs au livre de Monette Vacquin, déjà ancien mais qui n’a rien perdu de son actualité : « Main basse sur les vivants »

samedi 12 janvier 2013

Carmilla de jour



Mon blog, je l’ai déjà dit, c’est un dérivatif à ma vie professionnelle.
De celle-ci, je ne parle pratiquement pas. Pourtant, elle me constitue à 90 % et cette face « diurne » occulte largement ma face nocturne.

De mon travail, je ne retire pas de fierté particulière. Il faut reconnaître qu’il a fallu d’incroyables concours de circonstances pour que je me retrouve là où je suis. Je ne peux même pas dire que je suis méritante et que j’ai beaucoup travaillé pour ça. C’est sûr que ça aurait pu être mille fois pire. J’ai juste un petit talent avec les chiffres, j’en mémorise des pelletées.

Après, j’essaie de vivre mon boulot, comme tout le monde,  le moins mal possible, en traversant ses moments de gloire et de déprime. Ce qui est sûr, c’est que le travail, c’est une remise en cause continuelle de son identité.
Ca fait donc deux ans que je suis dans la même boîte. On sort en ce moment nos résultats. Ca va, on est sortis du rouge…ce n’est donc pas encore cette année que je vais être virée.

Bien sûr, je suis lucide. D’abord, c’est fragile, le pire est probablement à venir. Et puis,  dans l’amélioration des choses, je n’ai qu’une petite part.
Néanmoins, je me plais à constater que j’ai la baraka et que je l’ai toujours eue, jusqu’alors, dans mon boulot.
La baraka financière, ça repose sur une bonne part de chance (c’est ça qui est effrayant) mais aussi sur de la témérité. On ne fera jamais avancer les choses si on est pétochard ou si on a une mentalité de comptable.
Pour ça, mon boulot m’a appris à acquérir des nerfs d’acier et à devenir imperméable au stress. Je suis, chaque année, plus calme et plus sereine. La perspective d’une catastrophe financière m’a rarement empêchée de dormir.

Pourtant, j’aurais bien des raisons de cauchemarder. Il faut bien le dire : si on vous recrute un jour, c’est pour n’avoir jamais à entendre parler de problèmes financiers. Votre PDG, le maire de la ville, le conseil de surveillance ne veulent qu’une chose : que vous crachiez des résultats, que vous permettiez de recruter et d’investir à tour de bras. Comment vous y arrivez ? Tout le monde s’en fiche tant qu’il n’y a pas de problèmes.
Alors, les problèmes, vous les cachez sous le tapis et vous essayez de vous dépatouiller toute seule;  vous vous livrez à vos cuisines et vos montages personnels  dans votre coin en espérant que ce ne sera jamais découvert.



C’est sûr, on travaille toujours aux limites de la légalité mais si on ne le fait pas, on ne peut jamais être bon, on ne peut jamais devenir une star. De ce point de vue,  je comprends très bien Jérôme Kerviel, le jeune trader qui a failli planter la Société Générale. On a essayé de le décrire comme mégalomane, escroc, pervers. Mais non ! Il est d’une banalité confondante. Il a, je crois, simplement essayé de répondre, au maximum, aux exigences de son employeur.

Mes sujets d'étonnement, c’est, quelquefois, quand je consulte la littérature syndicale. On parle régulièrement de moi. Dans la dernière livraison, on dit qu’il n’y a pas plus antisociale que moi :
- les femmes enceintes, je leur fais la chasse : dès que la DRH apprend une grossesse, sur mes injonctions, on licencie.
- les mères, je n’en ai rien à fiche : j’ai supprimé le tiers des places de la crèche du personnel.

- pareil pour la bouffe. On ne me voit jamais à la cantine et c’est révélateur. Je sais bien, en effet, comme c’est moi qui fixe les tarifs, que c’est de plus en plus infect et que la pitance est de plus en plus maigre.



- ma politique, d’une manière générale, ça consiste à faire payer, au maximum et de manière illégale, les pauvres gens et les personnels. C’est de la grande escroquerie et ce scandale va bientôt être porté sur la place publique.
Ouh la la ! Ca fait beaucoup, je suis bien habillée pour l’hiver. Suis-je, à ce point, monstrueuse ? Répondre, ça n'a pas de sens et, d'ailleurs, je trouve ça plutôt rigolo. Mais ça me fascine quand même ces commentaires auxquels personne ne croit en fait. On est vraiment en plein théâtre. 

Il faut croire qu’on a besoin d’une stratégie de l’affrontement et d’un cloisonnement total pour parvenir à fonctionner.

Tableaux du grand peintre allemand Peter KLASEN, très célèbre dans les années 60-70.

samedi 5 janvier 2013

EXIL



Vous ne savez pas ? Je viens de recevoir un appel téléphonique de ma meilleure copine, Daria, et elle m’a raconté une histoire incroyable. Il paraîtrait qu’un de nos artistes, un acteur, semble-t-il surtout connu à l’étranger, envisagerait de quitter notre chère République Populiste de Normalie. On appellerait ça un dissident.

Comment est-ce possible ? On m’a dit que ce type était, à vrai dire, un fou, un alcoolique, au comportement antisocial.

Et puis, il est affreux. Il est gros, il est vulgaire. Il aurait joué dans des films scandaleux, « les valseuses », « Buffet froid », « Mammuth », qui nous remplissent de honte.

Il s’est d’ailleurs couvert de ridicule en envisageant d’abord de s’installer en Belgique. Quelle rigolade ! Les Belges ? Tout le monde sait que ce sont des ploucs.

Notre cher Premier Ministre a heureusement su trouver les mots justes : un minable.
Il est vraiment dommage que notre chère Ministre de la Santé, sans doute emportée par une compassion excessive, ait trop tardé pour décider de son internement psychiatrique.

Et vous savez auprès de qui cette crapule envisage maintenant de solliciter l’asile ? Auprès de la Russie capitaliste, ce pays dégueulasse, foyer de toutes les perversions et de l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est vraiment la honte, comme l’a dit notre grand et vertueux philosophe, André Glucksmann.

Des journalistes bien informés  m’ont dit que là-bas (même s’ils n’y sont jamais allés), c’était vraiment l’enfer : le règne du fric et de la violence…;  et puis toutes les filles y sont plus ou moins des prostituées.Sans doute, notre sinistre personnage pourra donner, là-bas, libre cours à ses mauvais instincts. 

C’est surtout un Etat complètement fasciste. Ca ne peut que nous heurter profondément, nous Normaliens, nous qui portons tant d’attention à nos pauvres, nos malades, nos chômeurs, nos prisonniers.

Aimer la Russie, c’est forcément être une pute et c'est forcément soutenir toutes ses entreprises criminelles. Comme l’a dit, finement, notre grand révolutionnaire, Daniel Cohn Bendit : "S'ils ont envie de dormir tous avec Poutine, qu'ils se mettent dans son lit et puis l'affaire est réglée ».

Voilà un discours franc et direct qui nous parle, qui nous réconforte. Heureusement qu’en Normalie, nous avons reçu une solide formation éthique qui nous préserve de toutes ces turpitudes. Ca nous permet de mieux défendre notre modèle social exemplaire qui ne produit que 15 % de chômeurs et 3,5 millions d’expatriés. D’ailleurs, peu importent  les chiffres, car  l’essentiel, c’est qu’on vient de déclencher un « choc de la solidarité » comme vient de le déclarer notre chère Ministre du Logement.

C’est pour ça que la Normalie est admirable. L’économie, on sait bien qu’on ne veut surtout rien y faire. On préfère entretenir, avec l’appui d’une armée de fonctionnaires et de bureaucrates, un consensus du chômage et de la pauvreté. C’est plus confortable. Alors, pour les pauvres, pour les exclus, on n’a plus qu’un joli message : celui de la morale, de la moraline…Soyez vertueux, braillez, si vous le voulez, sur tous les sujets secondaires mais pour l’essentiel, l’important, taisez vous.

Tableaux d’Aristide Maillol (1861-1944)

mardi 1 janvier 2013

L’important, ce sont les jours que l’on n’a pas encore vécus




CARMILLA  2013

Voilà ! Je vous offre, pour ce 1er janvier, un autoportrait réalisé récemment, rue Royale.

Ca peut vous donner une idée assez précise de qui je suis, même si ça n’est évidemment pas complètement ressemblant.

En ce premier jour de l’année, c’est à des voyages que je pense. L’an dernier,  je suis allée en Ukraine, à Tokyo, à Londres, à Athènes, à Doha (dans ces deux dernières villes, c’était tout à fait par hasard) et puis dans tout un tas de petits endroits vite parcourus.

Cette année, il faudra que je fasse mieux : l’Ukraine et la Pologne, c’est sûr. Le Japon probablement. Et puis aussi l’Iran dans le quel je diffère trop mon retour…

Photo de Carmilla Le Golem à Paris

Le titre du post est une traduction personnelle d’une célèbre chanson polonaise de Marek Grechuta : « Dni ktorych jeszcze nie znamy ».