samedi 26 février 2011

Lettres persanes


Même si je consacre une grande partie de mes loisirs à la lecture, je n’ai nulle envie de faire de la critique littéraire dans mon blog. Je n’ai ni le courage ni la compétence pour ça.


Enfin..., j’ai décidé de faire une petite exception cette semaine parce que viennent de sortir trois très bons livres de littérature iranienne ou consacrés à l’Iran et qu’il ne faut évidemment pas compter sur les journalistes français pour en parler. A ce jour, seul « Libération » a sauvé l’honneur.


Ils sont curieux, les intellectuels français. Ils font tous profession d’anti-américanisme mais quand il s’agit de littérature, ils ne connaissent qu’une littérature étrangère, l’anglo-saxonne dont ils font un éloge boursouflé.
Moi, le roman anglais ou américain, ça m’ennuie mortellement tellement je trouve ça prosaïque, englué dans la quotidienneté. Et puis, il ya tout de même autre chose : l’Europe Centrale et du Nord, le Moyen-Orient, l’Asie…



Bref, il y a une littérature iranienne contemporaine intéressante et je me permets de vous signaler quelques titres très récents :



- « Mon oncle Napoléon » de Iradj Pezechkzad. L’un des grands livres de la littérature persane contemporaine, pour lequel il aura fallu attendre près de 40 ans une traduction française. : un récit épique et burlesque, d’un humour ravageur dénonçant les mégalomanies de la société iranienne et sa propension à prendre ses rêves pour la réalité. Ca demeure évidemment d’actualité.



- « En censurant un roman d’amour iranien » de Shahriar Mandanipour. La vie amoureuse à Téhéran aujourd’hui. C’est très juste et très léger. Surtout, le récit repose sur une construction « en abyme » vertigineuse.

- « Niloufar » de Ron Leshem : à vrai dire, ce n’est pas du tout un roman iranien puisque c’est un jeune Israélien qui l’a écrit mais en cherchant à s’identifier absolument à un iranien, son ennemi mais finalement son frère. C’est sûrement l’un des livres les plus singuliers du début de cette année. Certes, on perçoit bien, dans des détails concrets, que Ron Leshem n’est jamais allé à Téhéran mais, globalement, il décrit, de manière très juste, la vie et les mentalités en Iran. Avec un rapprochement sûrement surprenant mais finalement très pertinent entre Tel-Aviv et Téhéran. Et des propos comme celui-ci : « Israéliens et Iraniens, c’est comme si nous appartenions à la même nation, c’est incroyable. En Iran, les femmes sont plus élégantes, c’est la seule différence». Surtout, ce livre comporte une réflexion politique très profonde. Il décrit longuement la vie underground à Téhéran assez semblable à celle de Tel-Aviv.


Contrairement à ce qu’on imagine, ce n’est pas du tout austère. C’est plutôt la musique rock, les fêtes nocturnes endiablées, l’alcool, la drogue, les orgies sexuelles. Et contrairement à ce qu’on imagine aussi, c’est très peu réprimé. Et cela tout simplement parce que le pouvoir et « la police veulent qu’on ait ce genre de vie ; le régime veut qu’on soit stoned, qu’on se croie libres. Ils ne veulent pas qu’on descende dans la rue. Ils préfèrent qu’on fasse la fête jour et nuit. » Réflexions qui ne sont évidemment pas seulement applicables à l’Iran et Israël mais à l’ensemble de la jeunesse enfermée dans un monde virtuel.


Voilà ! Essayez au moins de lire « Mon oncle Napoléon ». Cependant, si vous ne connaissez rien du tout à la littérature persane contemporaine, il faut d’abord commencer par Sadegh Hedayat et son extraordinaire « Chouette aveugle » que je n’hésite pas à placer au niveau de la littérature mondiale. Hedayat, c’était un personnage extraordinaire. Il s’est suicidé au début des années 50 dans une petite chambre près du parc Montsouris. Sa tombe est au Père Lachaise, tout près de celle de Marcel Proust.

Après, vous pouvez essayer de trouver « le prince Ehtejab » d’Houshang Golshiri.



Il y a aussi des livres plus légers mais que j’aime bien et recommande vivement : « Un jardin à Téhéran » de Shusha Guppy et deux livres de Nahal Tajadod : « Passeport à l’iranienne » et « Debout sur la terre ».

Enfin, si j’ai réussi à vous intéresser un peu à l’Iran, ne manquez pas d’aller voir le film qui vient de sortir sur les écrans : « The Hunter » de Rafi Pitts



Photographies de Shirin NESHAT, une iranienne de New-York, à mes yeux l’une des plus grandes

samedi 19 février 2011

Du côté de chez moi



Vous êtes chaque mois plus nombreux à m’écrire mais pour la plupart vous cherchez à étancher une curiosité : qui suis-je, comment suis-je ?


Rassurez-vous, je suis effectivement une tuerie atomique mais pour le reste, vous savez bien que la séduction se nourrit en partie de mystère.




Pour apaiser tout de même votre frustration, j’ai décidé de diffuser, cette semaine, quelques images, concoctées par mes soins, des lieux que je fréquente. Tout ça se situe dans un rayon de 200 mètres à proximité de mon domicile.



Il y a d’abord le parc Monceau, avec sa rotonde, sa naumachie, ses statues. Le parc Monceau, qui n’est pas d’esprit français mais qui est plutôt d’inspiration romantique, avec ses fausses ruines, ses colonnades, ses monuments mystérieux.




J’aime les matins bleus du parc, le monument à Chopin, les magnifiques immeubles qui l’enserrent. Le parc Monceau est souvent le théâtre, dans la littérature française, d’étranges intrigues criminelles et financières.


Après, je me rends en direction soit de la cathédrale orthodoxe de la rue Daru, soit vers la place Malesherbes. J’y aime beaucoup la statue de Sarah Bernhardt, entourée d’azalées.


Ensuite, je fréquente souvent un petit musée voisin : le musée Jean-Jacques Henner. Vous pouvez être sûrs qu’il est presque toujours vide : Henner, c’est tellement dépassé.



Henner, c'est un peu le prolongement naturel du parc Monceau parce qu'on dit de lui qu'il est le dernier peintre romantique. Pour une vampire, c'est évidemment très évocateur et j'aime bien sûr tout particulièrement son "Hérodiade" que j'ai placée en début de ce post.




A vous de juger. La maison, récemment rénovée, est de toute manière magnifique.



Et puis, je persiste à penser que l’art « bourgeois » de la fin du 19 ème avait au moins une sensualité et une suggestivité aujourd’hui évacuées de l’art contemporain dans lequel tout est maintenant évident.



Photos de Carmilla Le Golem sur SIGMA DP 2

samedi 12 février 2011

« Le sexe et l’effroi »

Une lectrice, attentive et pleine d’empathie, m’a fait l’honneur de solliciter mes analyses sur la sexualité féminine.

Ouh la la ! J’avoue que je me suis sentie bien incompétente et que je n’ai pas su lui répondre. Alors, j’essaie aujourd’hui de me rattraper un petit peu avec quelques considérations très générales.

- Il y a d’abord votre culture d’origine. Même si les comportements tendent à s’uniformiser, c’est sûr qu’une Japonaise, une Russe ou une Iranienne n’ont pas la même vision de la sexualité et de l’amour. Ca ne veut absolument pas dire qu’elles seraient plus ou moins libérées qu’en Europe de l’Ouest, c’est un autre cadre d’expérience, c’est tout.

- Il y aussi toute la question des rapports de domination. Ca recouvre beaucoup votre situation économique et sociale (les rapports de classe, c’est souvent très fort dans la passion amoureuse) mais ça a aussi une dimension symbolique. Il n’y a en fait jamais d’égalité dans la relation homme-femme. Il y a toujours un oppresseur et un opprimé, un ou une magnifique salopard (e), un ou une victime consentant (e) : l’insupportable désinvolture du dominant (mais l’intérêt bien compris qui le détermine néanmoins), la quête vitale, désespérée, du laissé pour compte. Au final, l’inavouable complicité qui les unit tous les deux : chacun y trouve son compte.


L’amour, la passion, est cynique, c’est ce que l’on occulte généralement. Vous séduisez à propos du pouvoir que vous exercez, de votre capacité à manipuler les signes. Vous vous soumettez à proportion de votre soif narcissique de reconnaissance. Ce n’est même pas une question d’arrogance ou de cruauté, c’est simplement que le désir se nourrit d’inégalité et de sujétion. Je vous invite à ce propos à lire le premier roman d’Emma Becker : « Mr ». Elle vous explique bien que les jeunes filles méprisent les garçons gentils et attentionnés et préfèrent les magnifiques crapules. Mais elles savent, à leur tour, être d’abominables crapules.


- Il n’y a que des amours malsaines et c’est ce qui explique que le désir, c’est toujours quelque chose de tragique. On détruit et on se détruit, on engage son rapport à la mort. Mais de cela, on ne veut justement rien savoir et c’est pourquoi rien n’est plus mensonger que l’idéologie actuelle d’une sexualité hédoniste, joyeuse, sans aspérités. Vision hygiéniste, consolante, qui finalement évacue tout simplement le désir et la part d’horreur qui lui est indéfectiblement liée. Le sexe, ce n’est pas la félicité, c’est l’effroi.


Je ne vais pas revenir une nouvelle fois sur cette impulsion première, essentielle : l’attrait et la fascination pour le mal. Je crois que c’est très fort chez les femmes, surtout celles qui sont belles et séduisantes. Elles se repaissent de la souffrance que provoque, chez les autres, leur perfection. Et elles ne trouvent de plaisir qu’à casser occasionnellement, sans conséquence, cette perfection.



Voilà donc en peu de mots ma vision du désir féminin. Mes propos se veulent aussi la résonance absolue d’un jeune peintre de Sankt-Peterburg qui me trouble beaucoup : Alexander Timofeev. Il commence à être célèbre en Russie (il a exposé au Musée Russe) et en Allemagne. En France, je ne sais pas mais j’ai l’impression que certains de ses tableaux feraient scandale.



Alexander Timofeev (Александр Тимофеев)

samedi 5 février 2011

« SIDDHARTA »


J’ai toujours voulu faire la route des Indes.

Plus qu’Herman Hesse, c’est Nicolas Roerich (Николай Рерих), dont j’avais vu quelques tableaux à la galerie Tretiakov à Moscou, qui m’a inspirée.

Je n’ai pas de tendances mystiques et le bouddhisme m’est assez étranger mais dans la route des Indes, c’est l’épopée hippie qui me fascine : l’esprit d’aventure, une sensualité, des musiques, des couleurs; et aussi le papillonnement sentimental et un certain détachement, une grâce immatérielle : rien n’est vraiment important.


Du reste, je ne voulais pas tellement aller en Inde et au Népal, mais plutôt remonter vers le Nord du Pakistan, via Peshawar et Gilgit pour emprunter la Karakorum Highway et dégringoler sur Kashgar en Chine, pour peut-être rentrer finalement chez moi, via le Kirghizistan. C’est donc aussi un peu de route de la soie.

Enfin…, le périple complet, je l’ai évidemment remis à plus tard parce que le Pakistan, quand on voyage par ses propres moyens, ça inquiète quand même un peu aujourd’hui.


Mais j’ai quand même fait un grand morceau du voyage. A l’occasion de plusieurs séjours bien sûr, mais la route d’Istanbul à la frontière pakistanaise, je crois pouvoir dire que je la connais mieux que bien.


La Turquie, je l’ai sillonnée de part en part en empruntant les bus locaux, ce qui n’est pas toujours confortable. L’Iran, je connais comme ma poche et je l’ai parcouru en train, bus, taxi, avion. C’est un peu sportif et on échappe à mille accidents mais on n’a plus la même notion du danger.


Alors voilà, je peux vous communiquer aujourd’hui les lieux que j’aime et où je prends plaisir à m’arrêter sur ce premier tronçon de la route des Indes. Beaucoup parmi vous, chers lecteurs, expriment le souhait de me rencontrer. Ca peut faire des lieux de rendez-vous originaux.



En Turquie :

- Erzurum : la ville la plus austère de Turquie entourée de hautes montagnes. Une sombre mélancolie règne à Ezurum et un certain rigorisme musulman. Ce qui me plaît, c’est que ce n’est justement pas une ville touristique.

- Trabzon : le port, la Mer Noire, mes nombreuses compatriotes tellement insolites, les villas en bois dans des jardins fleuris, le monastère de Sumela.

- Artvin : perchée dans les montagnes à proximité de la frontière avec la Géorgie.


- Kars : une de mes villes préférées; aujourd’hui au bout du monde mais toujours fortement marquée par les anciennes présences grecque, arménienne et russe (l’architecture est russe et remonte à Nicolas II). C’est aussi la ville qui sert de cadre au roman « Neige » d’Orhan Pamuk et c’est surtout le point de départ de visite de la ville morte arménienne d’Ani.


- Doğubeyazıt, tout près de la frontière. C’est déjà le Kurdistan mais c’est fréquenté par une foule de voyageurs en transit qui affluent du Moyen-Orient et d’Europe. Sûrement aussi plein de bandits et de trafiquants. Surtout, la ville est dominée par le cône étincelant du Mont Ararat et puis en montant à l’Ishak Pasa Sarayi, on jouit d’une vue presque infinie sur la steppe.

En Iran :


- Après le passage de la frontière, c’est Qareh Kalisa, l’église noire de Saint-Thadée, une magnifique église arménienne dans un cadre grandiose.

- Tabriz : la Mosquée bleue, le Bazar et le souvenir de Nicolas Bouvier.

- Téhéran : la ville absolue, monstrueuse, démesurée, surplombée de montagnes écrasantes. J’aime aller dans les parcs de Téhéran; ils y sont très nombreux; mon favori c’est celui de Sa`dābād au dessus de Tajrish. Et puis, il y a toutes les promenades fantastiques dans la montagne en direction de la Caspienne ou du Demavend.



- Kashan : c’est pour moi, la ville persane par excellence avec ses maisons traditionnelles et son parc de Bagh-e Fin qui offre, dit-on, une vision du Paradis.


- Abyaneh : mon village iranien préféré; on y remonte très loin dans le temps, à l’époque sassanide, avant la conquête musulmane.

- Ispahan : que dire, si ce n’est qu’il faut absolument avoir vu Ispahan dans sa vie.


- Yazd : ceux qui connaissent se doutent combien une ville comme Yazd peut être exaltante pour une vampire comme moi. C’est la principale ville du zoroastrisme avec le temple, l’Ateshkadeh, et surtout les imposantes tours du silence au sommet des quelles on exposait, il n’y a pas encore si longtemps, les corps des défunts pour qu’ils soient dévorés par les vautours. Après, il faut aller voir le temple du feu à Chak Chak.


- Kerman : nulle part, le ciel n’est plus bleu qu’à Kerman écrivait Nicolas Bouvier.

- Mahan : le palais entouré de jardins aux innombrables fontaines et puis le mausolée du derviche.



- Bam : c’est ici que Valerio Zurlini avait tourné « le Désert des Tartares ». Je ne sais pas ce qu’il reste de la citadelle depuis le tremblement de terre de 2003. Je fréquentais un hôtel, l’Akbar Guest House, dont le patron était un philosophe avec qui on passait son temps à bavarder ; ensuite, on pouvait dormir à la belle étoile sous les palmiers.


Voilà ! Je suis maintenant arrivée à la frontière pakistanaise. Il me reste à gagner Quetta, Lahore, Peshawar, Gilgit. Dans un avenir que j’espère proche…




Nicolas Roerich (Николай Рерих)