samedi 27 février 2010

Le retour de la Russie


Ma grande rigolade, c’est d’aller voir des films de réalisateurs occidentaux censés se passer en Russie. Sur ce plan, je peux dire que j’ai été servie ces derniers temps avec trois beaux navets : « L’affaire Farewell » de Christian Carion, « le concert » de Radu Mihaileanu et « une exécution ordinaire » de Marc Dugain. Le plus ringard, c’est le concert, le plus mensonger, l’affaire Farewell, et le plus kitsch, une exécution ordinaire. Tout est faux dans ces films, qu’il s’agisse de la réalité culturelle ou de la réalité historique. Ca en apprend beaucoup plus sur la France, la façon dont on y voit « l’Est », que sur la Russie. Pourtant, ces films ont rencontré un succès critique ou public.




Il y a pourtant aussi en ce moment deux « vrais films » russes mais qui ne déplacent pas les foules. Il y a d’abord « Tsar » de Pavel Lounguine (« Царь » - Лунгин) et « 12 » de Nikita Mikhalkov (Никита Михалков). « Tsar » est magnifique, tourné dans l’un des lieux que j’aime le plus en Russie : le monastère des îles Solovki (Соловецкие острова). « 12 », c’est plus discutable.


Mais tous ces films me cassent aussi un peu les pieds. Ils abordent tous en effet, avec une originalité discutable, la question du pouvoir politique en Russie. Je trouve ça très réducteur. De même que la France, ce n’est pas Sarkozy, la Russie, ce n’est pas Poutine ou Ivan le Terrible.
J’aimerais bien qu’on parle enfin de la Russie et de l’Ukraine d’aujourd’hui, ces pays nouveaux qui s’expriment par leur créativité, leur dynamisme, le renouveau de leur littérature, leur peinture, leur musique.




Il faut d’abord aller sur place, dans les librairies, les galeries, les boîtes, y contempler dans un café ces magnifiques jeunes gens hyper modernes ; découvrir des pays beaucoup moins archaïques qu’on ne l’imagine.


Pour ma part, je commence aujourd’hui en vous présentant une jeune peintre moscovite que j’adore, Olga Akassi. Je sais bien qu’en France, on va trouver ça peu original; mais ça ne veut pas dire pour moi que ce n’est pas émouvant.




Olga Akassi - Ольга Акаси

samedi 20 février 2010

« Le rêve de la femme du pêcheur »


J’étais à Berlin ces derniers jours. C’est une ville où je me sens bien. Cosmopolitisme d’Europe centrale, qualité de vie. Délicieuses soirées à boire de la bière, à manger des harengs et de l’anguille dans des cafés bondés, bruyants, colorés. Le « zusammenleben » allemand, c’est vraiment une réalité et ça a des aspects troubles et festifs extraordinaires. Et puis le froid, la neige…


C’est étrange, je me souviens très bien du Berlin d’avant la chute, de West Berlin et de Berlin Hauptstadt der DDR. Je me promenais alors sur la Potsdamer Platz, immense et vide, et puis j’allais de l’autre côté, sur l’Alexanderplatz, encore plus immense et encore plus vide, dans l’un des très rares cafés de Berlin Est, à la décoration toc moderne, fréquenté par de non moins rares consommateurs.


Une lugubre mais exaltante tristesse.
Evidemment, plus rien n’est pareil aujourd’hui ; alors on compare sans cesse et on se laisse envahir par une coupable nostalgie.


Berlin, c’est toujours pour moi une charge émotionnelle exceptionnelle. Peut-être le caractère mélancolique, désolé, qui perdure. Et surtout, le croisement de l’hyper-modernisme et de la culture trash.

Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin) de Wim Wenders, sorti en 1987, a un peu traduit cette espèce de tension érotique éprouvée.

Mais quand je vais à Berlin, c’est surtout le film « Possession » d’Andrzej Żuławski (prononcer : jou-ouavsski en accentuant sur le a) qui me hante.


Ce film est presque une torture émotionnelle pour moi tant je m’y reconnais dans l’attirance pour l’horreur et le mal.

Un film tourné dans des couleurs grises et bleues, dans une ambiance d’apocalypse et d’angoisse.
Un banal couple, Sam Neill et Isabelle Adjani, qui vit dans un immeuble déglingué de Berlin ouest, à proximité du mur. Un gentil mari, totalement dépassé par les événements, cocufié par sa femme, irrésistiblement attirée par un monstre, une horrible et répugnante pieuvre.


C’est totalement incompréhensible pour l’homme. On croit que la femme a besoin d’amour, de fusion ; on croit qu’elle n’aime que les belles choses et n’a que de bons sentiments ; mais on découvre qu’elle n’est fascinée que par l’abîme, le mal, la perte.


Il n’y a pas de communication, pas d’amour entre les sexes, rien qu’une radicale altérité.
Le seul moment où l’homme et la femme communiquent dans ce film, c’est, dans l’éclair d’un regard, lorsque le mari découvre sa femme, Isabelle Adjani, faisant l’amour avec cette épouvantable pieuvre.



Une femme ne fait jamais l’amour avec son petit mari ; elle devient une mer sans limites dans laquelle elle se noie, un plaisir sans fin et sans début aussi.


Il y a quelques années, à l’occasion de l’un de mes premiers voyages au Japon, j’ai découvert l’étrange filiation de la pieuvre d’Andrzej Żuławski avec une extraordinaire estampe érotique de Katsushika Hokusai (葛飾 北斎).


Hokusai, c’est probablement le peintre japonais le plus connu en Europe. On connaît tous la Grande Vague de Kanagawa (1831) et les Trente-six vues du mont Fuji. Une peinture esthétique, reposante.


Mais son œuvre est immense et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait « le vieux fou de la peinture ».

Hokusai a surtout peint pour moi l’œuvre la plus érotique, la plus obscène, la plus scandaleuse : « Le rêve de la femme du pêcheur »
Une femme allongée, nue, subissant l’assaut d’une énorme pieuvre; elle s’abandonne totalement tandis qu’une deuxième petite pieuvre plonge un tentacule dans sa bouche.

Difficile d’être plus troublant. Je frémis toujours en contemplant cette estampe. Elle aurait effrayé Edmond de Goncourt et Victor Hugo eux-mêmes au 19 ème siècle.

Curieusement, j’ai découvert qu’O. Kinjiki, l’une des rares blogueuses que je lis, avait parlé, bien avant moi, de la femme du pêcheur.
Elle l’évoque très simplement avec deux citations qu’elle me pardonnera, je l’espère, de reprendre à mon tour.


« Vous soulevez vos cuisses. Vous vous poussez à ma rencontre. Vous vous ouvrez. Vous prenez mon nez, ma bouche entre vos grandes lèvres. Vous vous fixez à mon visage comme le poulpe au rocher. »

Bernard Noël – « le Château de Cène »


« Assise, elle maintenait haute une jambe écartée : pour mieux ouvrir la fente, elle achevait de tirer la peau des deux mains. Ainsi les « guenilles » d’Edwarda me regardaient, velues et roses, pleines de vie comme une pieuvre répugnante. »

Georges Bataille – « Madame Edwarda »


Il fallait du courage, pour une jeune femme, pour écrire cela.


Photos d’Andrzej Żuławski
Hokusai : « Le rêve de la femme du pêcheur »

vendredi 12 février 2010

Les odalisques byzantines de John Galliano



















































































































Evidemment, vous allez dire que j'ai du retard puisque je vous parle de la collection prêt à porter 2010 de John Galliano. Mais tout de même, c'est encore l'hiver et vous pouvez encore faire vos emplettes.


John Galliano s'est inspiré du monde slave. Je me suis contentée de confronter ses modèles à quelques tableaux célèbres de la peinture russe du 19ème siècle. C'est drôle, le costume russe, ça a longtemps été le costume byzantin.


Evidemment, Galliano, c'est bien, très bien même... mais ça n'est tout de même pas aussi révolutionnaire qu'on le dit. Il suffit de redécouvrir les costumes de Leon Bakst pour les ballets russes. Le plus moderne n'est peut-être pas celui que l'on croit.

John GALLIANO - PAP Hiver 2010


Vasnetsov Виктор Васнецов
Korovin Константин Коровин
Sourikov Василий Суриков
Nesterov Михаил Нестеров
Ryabushkin Андрей Рябушкин

samedi 6 février 2010

Du désir au féminin


Les hommes désirent les femmes, ils en rêvent, veulent les conquérir. Cela est bien connu, cela a donné lieu à une production romanesque abondante de par le monde.

Mais la réciproque est loin d’être évidente. Les femmes ne s’intéressent aux hommes que secondairement. Les femmes ne désirent pas les hommes en tant que tels et surtout pas pour leurs qualités. Les femmes n’éprouvent de désir que pour les hommes qui vont causer leur perte. Elles n’éprouvent en fait de désir que pour l’abîme, la mort.




Mais d’abord, avant tout cela, les femmes vivent dans une tension perpétuelle de tout leur être. Elles sont continuellement aspirées par une image idéalisée d’elle-même, leur fantôme inaccessible. La femme parfaite, l’autre femme qu’elles ne sont pas, cette figure marmoréenne et impavide par rapport à laquelle elles sont en perpétuel décalage. On appelle cela le narcissisme. Pas de plus grande jouissance que de se sentir belle, pas de plus grande souffrance que d’être laide. La tyrannie de la beauté balaie tous les idéaux égalitaristes. Mais tout est fragile, réversible et il y a donc pour toutes une angoisse permanente, un sentiment d’incomplétude.



Alors on veut qu’éclate l’image idéale. Etre délivrée du modèle parfait. Descendre sur terre au prix parfois de l’avilissement, de l’humiliation. On connaît la force des fantasmes prostitutifs et on connaît aussi la fascination de beaucoup de femmes, souvent les plus distinguées, pour les brutes épaisses et les mauvais garçons, les êtres ignares et acculturés. C’est bien sûr Lady Chatterley. Mais contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas l’authenticité ou la virilité de ces hommes qui est recherchée. Il n’y a en eux aucune humanité supérieure. C’est l’attrait du mal, la souillure et la dégradation qui fascinent en eux. La transgression qui va briser la cage du narcissisme.




Alors oui, le désir féminin ouvre bien sur la mort.


Et voilà pourquoi, moi Carmilla la vampire, j’erre souvent le week-end, telle Caroline Ducey dans le film « Romance » de Catherine Breillat, dans les rues du Paris nocturne ; allant, au volant de ma BM, d’un bar ou d’une boîte à l’autre, impeccablement habillée, impeccablement belle…



Photos de Sophie PAWLAK qui a réinventé la photo floue et ouvert un nouveau regard sur le sexy féminin