samedi 30 janvier 2016

Du puritanisme, de la sensualité, de l'Art


Il y a quelques semaines, je me suis retrouvée dans le bureau d'un Préfet de Région. Le pouvoir, l'administration, ça me réfrigère mais je n'ai pas le choix. Comme souvent, donc, je rêvassais, j'écoutais distraitement, je regardais. Ce que j'ai, d'abord, trouvé drôle, c'est qu'il y avait partout, accrochés aux murs, d'immenses tableaux dits "modernes": de grandes tâches de couleur qui s'opposaient, se combinaient. Rien de bouleversant mais c'était plutôt joli.

Joli c'est le terme; c'était bien, décoratif, mais je me suis dit que l'Art moderne, s'il était maintenant exhibé, fièrement, chez un Préfet, comme un gage de sa modernité, n'avait, aujourd'hui, plus grand chose de subversif. L'abstraction (Rothko, Pollock, Malevitch et leurs innombrables épigones), ça ne choque vraiment plus personne, c'est même devenu la norme; d'ailleurs, tous les peintres du dimanche s'y sont convertis. C'est, en plus, valorisant: aimer l'abstraction, ce serait la marque d'une haute spiritualité.


Loin de moi l'intention de déclarer que l'art moderne et l'abstraction, c'est nul. Mais je crois que l'Art moderne, c'est, surtout, de la décoration et il faut, peut-être, replacer son essor dans un contexte général. Est-ce que la modernité, ça n'est pas, non plus, une terrible régression ? Substituer la décoration à l'émotion, ça n'est pas anodin.


Tout d'un coup, au tournant du 20 ème siècle, on s'est mis à déprécier et à tenir en suspicion ce que l'on aimait tant jusque là (et qui a, tout de même, alimenté la culture chrétienne): les images, la figuration. On a presque intériorisé l'interdit de la représentation du monde sensible, des créatures de la divinité. On est presque devenus orthodoxes, voire musulmans! On est redevenus iconoclastes.


Et c'est bien là la question. Comme l'a souligné le peintre Balthus, une grande partie de l'art moderne est inséparable d'un puritanisme accru. Le culte de la belle forme (ça vaut en peinture comme en architecture), c'est la minimisation, l'épure absolues: "une géométrie austère, une nudité vertueuse" (Jean Clair). Des préoccupations qui rencontrent étrangement celles des régimes totalitaires (Le Corbusier, Perret).


Ce qui est biffé dans l'art moderne, c'est la sensualité, le désir. L'oeuvre contemporaine ne renvoie qu'à elle-même, à sa propre platitude, à ses simples agencements d'une évidence absolue: aucune ambiguïté, une tautologie pure. 

La peinture représentative, c'était complètement différent: elle faisait signe vers autre chose. Elle était hantée !

L'image, elle avait un pouvoir magique. Celui de  vous renvoyer à autre chose, de vous mettre en contact avec les dieux, la polymorphie du désir.

Le trouble, le refus de l'évidence, c'est ça qu'instillaient les grands maîtres aujourd'hui décriés.


Oserais-je le dire ? J'ai fait mon éducation sexuelle, sensuelle, en fréquentant les musées. Je mouillais ma culotte, je frémissais, quand je visitais le Musée d'Orsay ou le Musée Russe de Saint-Pétersbourg. Je me suis, aussi, terriblement branlée en feuilletant les livres d'histoire de la peinture. C'était ma principale source d'inspiration érotique.

Ça n'est plus possible aujourd'hui; la magie de l'image, ça n'existe plus. Je peux visiter une exposition d'Art Moderne sans éprouver autre chose qu'un intérêt poli, intellectuel, et je n'ai, évidemment, pas besoin de changer de culotte.


Tableaux de Frédéric Léglise (né en 1972), peintre français figuratif dont l'oeuvre commence à être reconnue. Il n'y avait, évidemment, aucun de ses tableaux dans le bureau de mon Préfet. La peinture figurative, ça commence à refaire surface mais ça semble très lent (notamment en France où on est, culturellement, très abstraits).

samedi 23 janvier 2016

De la déviance sociale

Dans mon blog, j'écris beaucoup d'horreurs sur la Russie. C'est entendu, c'est un pays infect, odieux, agresseur, et ce n'est pas un hasard si, en France, les gens de droite et les fachos-gauchistes lui vouent admiration. 

Les Russes sont encore plus arrogants que les Français, absolument convaincus de la réalité de leur puissance (ils aiment croire qu'ils font peur) et de la grandeur de leur âme (l'âme slave, quelle connerie !). La bêtise et l'aveuglement nationalistes fonctionnent à plein. Et puis, ils sont lourds et vulgaires...

Ça, c'est la vision globale et il faut bien dire qu'elle est corroborée par la vie quotidienne. Dans leur ensemble, les Russes sont rudes et grossiers les uns envers les autres. Ils aiment se quereller, se bagarrer. A chaque fois que j'y vais, je m'écharpe violemment, chaque jour, avec deux ou trois connards (surtout les innombrables babas, survivantes de l'Union Soviétique, qui continuent de veiller au bon ordre). 

C'est sûr, les Russes sont le peuple le plus désagréable au monde. Mais surtout, ce qui m'insupporte le plus, c'est la pratique du mensonge généralisé, à tous les niveaux: on vous raconte sans cesse, avec un aplomb extraordinaire, qu'un chat noir est blanc. Plus fabulateur, menteur, qu'un Russe, il n'y a pas. Ça me rend dingue, on n'a vraiment pas les mêmes catégories.

Mais c'est, évidemment, plus compliqué que ça. On rencontre, aussi, en Russie, des gens extraordinaires, avenants et incroyablement cultivés.

Surtout, ce qui me fascine chez les Russes, c'est leur esprit de dissidence. Les codes sociaux, la respectabilité, la Loi, on n'a pas grand chose à en faire; on déteste même ça et on n'hésite pas à vivre à côté ou en transgression. C'est l'attrait profond du sans limites, du péché porté à son paroxysme.On ne fait rien à moitié. Si on se soûle, ce n'est pas un verre de trop mais c'est, pendant des jours, dans une hébétude totale (c'est le fameux zapoï). Si on dépense, c'est sans compter, c'est jusqu'à se ruiner. Si on fait la fête, c'est sans fin et ça se termine dans d'effroyables orgies sexuelles. Etre une femme en Russie, ça n'est, d'ailleurs, pas mal., même s'il y a une stricte séparation des sexes. On est très respectées et on peut donc faire, en conséquence, à peu près tout ce que l'on veut.


On a le droit d'être un déviant. On a le droit d'être fou, marginal, alcoolique, indigent. Ça n'est pas réprouvé. Le droit à la folie, c'est, même, un trait majeur de la culture slave, en Russie, en Pologne, dans les Balkans.


C'est une question qui me taraude: la Russie est bien sûr un pays totalitaire que je déteste à ce titre mais, s'agissant des mœurs, on a l'impression de pouvoir faire à peu près n'importe quoi. Oserais-je le dire ? Je me sens plus libre à Varsovie, à Kiev, à Moscou qu'à Paris.


A contrario, en effet, dans les pays d'Europe de l'Ouest, les gens apparaissent, incroyablement conventionnels et formatés. De petites passions pour de petites choses. C'est vraiment le triomphe de "l'Homme sans qualités" prophétisé par Robert Musil. Tous coincés, corsetés. C'est un grand problème: est-ce que la déviance, la fantaisie, ça s'épanouit sous une dictature ? Est-ce que la démocratie, c'est la normalisation, le conformisme ?

Tableaux d'Ilya Glazunov (né en 1930 à Sankt-Peterburg), célébrissime en Russie. C'est, quasiment, le peintre officiel du régime, adoré, notamment, de Poutine. C'est kitsch, bien sûr, mais, moi-même, je ne suis pas insensible, ça m'émeut aussi.

dimanche 17 janvier 2016

La femme parfaite


Le désir, le désir de l'autre, chez une femme, c'est compliqué. Peut-être même que ça ne surgit que secondairement.


On dit que les femmes sont narcissiques mais je crois que c'est plus compliqué que ça. Ce n'est pas tellement elles-mêmes mais une autre femme, rêvée, qu'elles aiment. Chaque femme est, en effet, d'abord hantée par un idéal, une autre femme, une femme parfaite, par rapport à laquelle elle se sent en décalage et qu'elle aimerait personnifier. Avant même de nous intéresser aux autres, c'est ce qui nous aspire et nous fait principalement carburer. On est sans cesse emportée au-delà de soi-même. C'est terrifiant parce qu'être sans défaut, c'est destructeur, ça peut être mortel. L'affinité des femmes et de la mort, c'est bien réel.


Cet idéal, c'est d'abord moral, on voudrait maîtriser complètement les contingences de l'existence, être irréprochables, sans tâche. C'est pour ça qu'on se veut, si souvent, vertueuses et exemplaires et, finalement, abominablement chiantes.



On voudrait aussi un corps parfait, libéré de toute pesanteur, affranchi de toutes les horreurs liées à nos imperfections et excrétions; mais ce corps parfait, probablement, il n'existe pas. La sexualité, en particulier, c'est très perturbant, ça nous renvoie à notre animalité.


C'est pour ça que tant de femmes sont anorexiques. On voudrait être débarrassées de la sexualité: redevenir pré-pubères, une petite fille; ou alors des garçons, ce que justement on ne peut pas être; mais le plus souvent, on cherche à ressembler à des cadavres, on vit au bord du précipice de la mort.


C'est pour ça aussi que la maternité fait de plus en plus horreur. Le corps fatigué, avachi, des mères, ça a quelque chose d'obscène.



On vit donc généralement blindées, encagées, dans un idéal. C'est pour ça qu'on est terribles, insupportables, redoutables. C'est pour ça qu'on est souvent incapables d'amour. Même l'amour fou qui vous torture, toujours à la mode aujourd'hui, ça n'est souvent que la recherche d'un surcroît d'assurance de soi et de puissance narcissique.

Photographies de Guy BOURDIN. J'adore Guy Bourdin (1928-1991). Les féministes l'ont, longtemps, détesté mais on le redécouvre aujourd'hui. Il en dit beaucoup plus, à mes yeux, qu' Helmut Newton. Sa biographie, effroyable, est intéressante.


Ce post m'a été inspiré par le livre récent d'Anne Berest: "Recherche femme parfaite".

samedi 9 janvier 2016

Piémont-Lombardie


La semaine de Noël, j'étais en Italie: à Turin et à Milan, plus précisément. 


L'Italie, ça ne me correspond pas trop. D'abord, je suis une bille en italien et je déteste ça. Ne pas pouvoir dire 2 mots dans la langue du pays, ça me perturbe beaucoup, j'ai honte. Mais bon! En ce moment, je suis écrasée de boulot et je n'ai pas de temps pour un long voyage. L'Italie, au moins, c'est proche et très facile.


Là encore, on m'a dit: qu'est-ce que tu vas foutre là-bas? Y'a bien mieux en Italie. Turin, Milan, c'est moche, c'est des villes industrielles.






C'est vrai ! Mais la beauté, ce n'est pas ce que je recherche obligatoirement ! 

C'est sûr, Milan, Turin, on en a fait le tour en un ou deux jours. Mais moi, ça me suffit. Je n'aime pas les marathons "culturels". Je suis un peu fruste. Les musées, les belles choses, ça me barbe un peu. J'ose m'affirmer "inculte" ( le "Quattrocento", je ne suis pas une spécialiste) et je ne cherche, en fait, que 2 ou 3 émotions, 2 ou 3 images, dans une journée. Au-delà, c'est plus que je ne peux en absorber. Passer deux heures dans un café ou un restaurant, ça m'apparaît aussi important que d'arpenter, misérablement, morte d'ennui, un musée.




Et puis la Lombardie, le Piémont, c'est, quand même, un peu la France. C'est Napoléon (le 1er et le 3ème). C'est l'esprit républicain, c'est la Révolution.

C'est ce que j'aime! 






Turin, c'est  aussi, pour moi, la ville où Nietzsche a vécu, des années entières, et où il a sombré dans la folie. C'est là qu'il a écrit une grande partie de son oeuvre.

Le lieu où il a embrassé un âne, le 3 janvier 1889, est bien identifié avec une plaque commémorative. J'y suis allée évidemment. Ça m'a tourneboulée mais c'est resté une énigme: difficile de comprendre sa fascination pour cette ville. C'est pas mal, bien sûr, ça n'est pas désagréable, mais je me vois mal y vivre des mois entiers.





Le "musée Egyptien" de Turin. On ne le sait pas mais le musée égyptien de Turin est le plus grand au monde après celui du Caire (avant donc Paris et Londres). Etrange...




Mais l'Italie, c'est, de toute manière, impressionnant. Il y a peu de temps encore, l'Italie était misérable et déglinguée. Aujourd'hui, c'est le pays de la culture et du raffinement.





La mondialisation et ses camelotes n'a, pas encore, tout envahi et il y a un souci du beau qui perdure. La vie apparaît chatoyante, séductrice. Elle est même, peut-être, plus douce qu'en France. Les antagonismes y sont moindres. Des gens élégants, paisibles, courtois, moins de haine !


Photos de Carmilla Le Golem à Turin et à Milan. C'est nul ! Tout ça, c'est mélangé, c'est le foutoir (j'ai mes propres critères de classement), mais je pense que les connaisseurs sauront faire les distinctions et s'y retrouveront.

vendredi 1 janvier 2016

Bonne Année 2016 ! Szczęśliwego Nowego Roku ! з новим роком !


Non à la mélancolie pour 2016. "Trouble every day", c'est, plutôt, ce que je vous souhaite.

Un bouleversement émotionnel de tous les instants.

Voyages, belles images, rêves étranges, rencontres perturbantes.

Affiche de John Martinez, artiste américain.

Vœux exprimés en français, polonais, ukrainien. En polonais, ça se prononce, approximativement, "chtchinchlivégo novégo rokou" (en accentuant sur les é et le o") et en ukrainien "s novym rokâm" (en accentuant sur les o). Ça vous effraie, peut-être, mais c'est, en fait, très facile.