Il y a quelques semaines, je me suis retrouvée dans le bureau d'un Préfet de Région. Le pouvoir, l'administration, ça me réfrigère mais je n'ai pas le choix. Comme souvent, donc, je rêvassais, j'écoutais distraitement, je regardais. Ce que j'ai, d'abord, trouvé drôle, c'est qu'il y avait partout, accrochés aux murs, d'immenses tableaux dits "modernes": de grandes tâches de couleur qui s'opposaient, se combinaient. Rien de bouleversant mais c'était plutôt joli.
Joli c'est le terme; c'était bien, décoratif, mais je me suis dit que l'Art moderne, s'il était maintenant exhibé, fièrement, chez un Préfet, comme un gage de sa modernité, n'avait, aujourd'hui, plus grand chose de subversif. L'abstraction (Rothko, Pollock, Malevitch et leurs innombrables épigones), ça ne choque vraiment plus personne, c'est même devenu la norme; d'ailleurs, tous les peintres du dimanche s'y sont convertis. C'est, en plus, valorisant: aimer l'abstraction, ce serait la marque d'une haute spiritualité.
Loin de moi l'intention de déclarer que l'art moderne et l'abstraction, c'est nul. Mais je crois que l'Art moderne, c'est, surtout, de la décoration et il faut, peut-être, replacer son essor dans un contexte général. Est-ce que la modernité, ça n'est pas, non plus, une terrible régression ? Substituer la décoration à l'émotion, ça n'est pas anodin.
Tout d'un coup, au tournant du 20 ème siècle, on s'est mis à déprécier et à tenir en suspicion ce que l'on aimait tant jusque là (et qui a, tout de même, alimenté la culture chrétienne): les images, la figuration. On a presque intériorisé l'interdit de la représentation du monde sensible, des créatures de la divinité. On est presque devenus orthodoxes, voire musulmans! On est redevenus iconoclastes.
Et c'est bien là la question. Comme l'a souligné le peintre Balthus, une grande partie de l'art moderne est inséparable d'un puritanisme accru. Le culte de la belle forme (ça vaut en peinture comme en architecture), c'est la minimisation, l'épure absolues: "une géométrie austère, une nudité vertueuse" (Jean Clair). Des préoccupations qui rencontrent étrangement celles des régimes totalitaires (Le Corbusier, Perret).
Ce qui est biffé dans l'art moderne, c'est la sensualité, le désir. L'oeuvre contemporaine ne renvoie qu'à elle-même, à sa propre platitude, à ses simples agencements d'une évidence absolue: aucune ambiguïté, une tautologie pure.
La peinture représentative, c'était complètement différent: elle faisait signe vers autre chose. Elle était hantée !
L'image, elle avait un pouvoir magique. Celui de vous renvoyer à autre chose, de vous mettre en contact avec les dieux, la polymorphie du désir.
Le trouble, le refus de l'évidence, c'est ça qu'instillaient les grands maîtres aujourd'hui décriés.
Oserais-je le dire ? J'ai fait mon éducation sexuelle, sensuelle, en fréquentant les musées. Je mouillais ma culotte, je frémissais, quand je visitais le Musée d'Orsay ou le Musée Russe de Saint-Pétersbourg. Je me suis, aussi, terriblement branlée en feuilletant les livres d'histoire de la peinture. C'était ma principale source d'inspiration érotique.
Ça n'est plus possible aujourd'hui; la magie de l'image, ça n'existe plus. Je peux visiter une exposition d'Art Moderne sans éprouver autre chose qu'un intérêt poli, intellectuel, et je n'ai, évidemment, pas besoin de changer de culotte.
Tableaux de Frédéric Léglise (né en 1972), peintre français figuratif dont l'oeuvre commence à être reconnue. Il n'y avait, évidemment, aucun de ses tableaux dans le bureau de mon Préfet. La peinture figurative, ça commence à refaire surface mais ça semble très lent (notamment en France où on est, culturellement, très abstraits).
2 commentaires:
Savoir que la représentation de la nudité n'est pas la nudité ,est
même parfois son contraire .
On ne saurait mieux exprimer le problème.
Grand merci, Capitaine Flemme.
Bien à vous
Carmilla
Enregistrer un commentaire