samedi 23 janvier 2016

De la déviance sociale

Dans mon blog, j'écris beaucoup d'horreurs sur la Russie. C'est entendu, c'est un pays infect, odieux, agresseur, et ce n'est pas un hasard si, en France, les gens de droite et les fachos-gauchistes lui vouent admiration. 

Les Russes sont encore plus arrogants que les Français, absolument convaincus de la réalité de leur puissance (ils aiment croire qu'ils font peur) et de la grandeur de leur âme (l'âme slave, quelle connerie !). La bêtise et l'aveuglement nationalistes fonctionnent à plein. Et puis, ils sont lourds et vulgaires...

Ça, c'est la vision globale et il faut bien dire qu'elle est corroborée par la vie quotidienne. Dans leur ensemble, les Russes sont rudes et grossiers les uns envers les autres. Ils aiment se quereller, se bagarrer. A chaque fois que j'y vais, je m'écharpe violemment, chaque jour, avec deux ou trois connards (surtout les innombrables babas, survivantes de l'Union Soviétique, qui continuent de veiller au bon ordre). 

C'est sûr, les Russes sont le peuple le plus désagréable au monde. Mais surtout, ce qui m'insupporte le plus, c'est la pratique du mensonge généralisé, à tous les niveaux: on vous raconte sans cesse, avec un aplomb extraordinaire, qu'un chat noir est blanc. Plus fabulateur, menteur, qu'un Russe, il n'y a pas. Ça me rend dingue, on n'a vraiment pas les mêmes catégories.

Mais c'est, évidemment, plus compliqué que ça. On rencontre, aussi, en Russie, des gens extraordinaires, avenants et incroyablement cultivés.

Surtout, ce qui me fascine chez les Russes, c'est leur esprit de dissidence. Les codes sociaux, la respectabilité, la Loi, on n'a pas grand chose à en faire; on déteste même ça et on n'hésite pas à vivre à côté ou en transgression. C'est l'attrait profond du sans limites, du péché porté à son paroxysme.On ne fait rien à moitié. Si on se soûle, ce n'est pas un verre de trop mais c'est, pendant des jours, dans une hébétude totale (c'est le fameux zapoï). Si on dépense, c'est sans compter, c'est jusqu'à se ruiner. Si on fait la fête, c'est sans fin et ça se termine dans d'effroyables orgies sexuelles. Etre une femme en Russie, ça n'est, d'ailleurs, pas mal., même s'il y a une stricte séparation des sexes. On est très respectées et on peut donc faire, en conséquence, à peu près tout ce que l'on veut.


On a le droit d'être un déviant. On a le droit d'être fou, marginal, alcoolique, indigent. Ça n'est pas réprouvé. Le droit à la folie, c'est, même, un trait majeur de la culture slave, en Russie, en Pologne, dans les Balkans.


C'est une question qui me taraude: la Russie est bien sûr un pays totalitaire que je déteste à ce titre mais, s'agissant des mœurs, on a l'impression de pouvoir faire à peu près n'importe quoi. Oserais-je le dire ? Je me sens plus libre à Varsovie, à Kiev, à Moscou qu'à Paris.


A contrario, en effet, dans les pays d'Europe de l'Ouest, les gens apparaissent, incroyablement conventionnels et formatés. De petites passions pour de petites choses. C'est vraiment le triomphe de "l'Homme sans qualités" prophétisé par Robert Musil. Tous coincés, corsetés. C'est un grand problème: est-ce que la déviance, la fantaisie, ça s'épanouit sous une dictature ? Est-ce que la démocratie, c'est la normalisation, le conformisme ?

Tableaux d'Ilya Glazunov (né en 1930 à Sankt-Peterburg), célébrissime en Russie. C'est, quasiment, le peintre officiel du régime, adoré, notamment, de Poutine. C'est kitsch, bien sûr, mais, moi-même, je ne suis pas insensible, ça m'émeut aussi.

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