vendredi 9 août 2013

Une vampire en Galicie


Je m’évade…durant trois semaines.

Je ne posterai pas pendant cette période parce que je change de langue, de culture, de peau et le français me devient incongru. Je bascule dans un autre monde, celui de ma face cachée.

Je vais principalement en Ukraine de l’Ouest et un peu en Pologne.


 Je vous confesse ma destination, à vous, mais j’avoue que je n’ose plus dire à des Français que je passe des vacances en Ukraine. On me considère alors avec une espèce de commisération. Même si on ne sait pas bien où c’est, on semble convaincus que n’y règnent que le malheur, la misère et le désespoir. Il y a longtemps que j’ai renoncé à les détromper : c’est autant d’ahuris que je ne rencontrerai pas durant mon voyage.



Donc, dimanche, je m’envole pour Varsovie. De là, je prends un tout petit avion qui va me conduire à Lvov (ou Lviv ou Lwow ou Lemberg suivant les langues). C’est le territoire de la mythique Galicie. La Galicie, je ne sais pas si on connaît mais c’était une province de l’ancienne Pologne puis de l'Autriche-Hongrie avec deux magnifiques capitales régionales : Cracovie et Lemberg (aujourd’hui Lviv). Il y régnait un multiculturalisme extraordinaire : on y parlait allemand, polonais, yiddish, ukrainien, russe, ruthène et on y relevait de cinq confessions (catholique, protestante. orthodoxe, uniate, juive, arménienne).


 C’était surtout un foyer culturel extraordinaire. La Galicie orientale, en particulier, c’était la région de Joseph Roth, Sacher Masoch, Martin Buber, Bruno Schulz, Ivan Franko, Aaron Appelfeld. C’est en Galicie également, à Grodek, que le grand poète Georg Trakl, le « Rimbaud autrichien », tourmenté et incestueux avec sa sœur, s’est donné la mort en 1914.

La Galicie, voilà un beau sujet de réflexion pour tous les imbéciles et populistes, de plus en plus nombreux, qui croient aux nations.


Tout ça, ça a, bien sûr, été largement balayé par l’histoire mais pas complètement. La période de glaciation soviétique a curieusement permis de conserver le centre historique des villes. Aujourd’hui, on redécouvre ainsi à Lviv l’atmosphère de l’ancienne Lemberg, presque celle qu’avaient connue Joseph Roth et Sacher Masoch.

Ce retour dans la vieille Europe, c’est ça qui me fascine. Pour mes vacances, je fais donc de Lviv mon quartier général. Je loge au « Grand Hotel » sur la « Svobody Prospekt » (l’avenue de la liberté). Je le fréquente depuis très longtemps, c’est l’un des plus beaux hôtels de l’Ouest de l’Ukraine. Je peux y rêvasser tranquillement dans ses salons et ses bars. On y sert aussi une cuisine ukrainienne extraordinaire. Il y a également un casino et un dancing.



Avec tout ça, cet hôtel, c’est évidemment un extraordinaire lieu de rencontres. Il y a plein d’hommes d’affaires, de truands, de filles, d’aventuriers, de touristes distingués. Tout le patchwork que j’aime. Le rêve pour une vampire assoiffée de conquêtes. Ma copine Daria va m’y rejoindre quelques jours. Elle a toujours eu la trouille de venir en Ukraine de l’Ouest parce qu’elle sait que les Russes y sont détestés. Mais là, elle va vite se désinhiber. On pourra y faire les folles et se défoncer.

Mais je prendrai aussi ma petite voiture et je me baladerai dans la campagne avoisinante. Voilà où j’envisage d’aller : Brody, Tarnopol, Czortkow, Kamieniec Podolski, Czernowitz, Drohobycz, Truskawiec, Ivano Frankivsk.

A bientôt…



Photographie de Carmilla Le Golem à Paris au cimetière de Passy sur Sigma DP3 Merrill

Tableaux de John Atkinson Grimshaw, John Williams Waterhouse, Homer Ransford Watson, John Williams Waterhouse

dimanche 4 août 2013

Des nuits et des lettres


 Cette chaleur, cette lumière, ça me rend folle. Heureusement, je sais que depuis le 21 juin, on perd chaque jour 2 minutes de soleil. On a donc déjà gagné près d’1 H 30 de nuit. Bientôt, ce sera supportable.


Voilà ce que j’ai lu pendant cette période éprouvante :

Agnès DESARTHE : « Comment j’ai appris à lire ». Lire et aimer lire, ce sont deux choses bien différentes. Le passage de l’un à l’autre ne se fait pas mécaniquement. Il a sûrement fallu du courage à Agnès Desarthe pour avouer ça : pendant longtemps, elle n’a pas aimé lire et ne lisait pas, ce qui ne l’a pas empêchée d’intégrer Normale Sup ! Ca m’a vraiment étonnée, moi qui ai toujours été une boulimique. Qu’est-ce qui peut entraver le désir de lire, comment naît la passion de la lecture, Agnès Desarthe donne là-dessus des explications très personnelles : le «décalage » lié à la langue, la culture, le sexe.



Louis-Henri de La Rochefoucauld : « La Révolution française ». Pas facile de porter un nom pareil à une époque de triomphe de l’esprit républicain. LHDLR s’amuse à s’en prendre à la Révolution française, un tabou absolu. Ca pourrait être déplaisant mais c’est hilarant. La Révolution française, c’est aussi l’esprit de sérieux, l’éradication de la fantaisie et de la déviance, la normalisation complète de nos vies et pensées.



Roman GRAF : « Monsieur Blanc ». Un écrivain suisse. Le récit glaçant d’une morne existence, illuminée simplement par un souvenir amoureux en Angleterre et un voyage à Cracovie.



Florence DUPONT : « L’Antiquité, territoire des écarts ». Les humanités classiques, le latin, Rome, ça m’est toujours apparu poussiéreux et ringard. Mais il est vrai que je n’y connais pas grand-chose. Florence Dupont est latiniste et anthropologue, dans la lignée des penseurs de 68 : Foucault, Deleuze, Levi-Strauss. Son livre n’a évidemment pas suffi à me remettre à niveau mais m’a au moins fait comprendre que la passion du latin pouvait être une passion de l’altérité et une remise en cause de soi-même, de ses schémas de vie et de pensée. C’est aussi une salubre dénonciation de toutes les illusions et mythologies dont on affuble aujourd’hui le monde romain. C’est un énorme abus de penser que celui-ci serait à l’origine des valeurs de la civilisation occidentale.


Un peu de littérature russe

Ludmila SHTERN : « Bye BYE Leningrad ». Ludmila SHTERN a quitté l’Union Soviétique en 1976 pour s’installer aux Etats-Unis. Un humour ravageur surtout quand elle confronte l’absurdité soviétique à l’absurdité américaine. 


Evguéni Grichkovets : « Le taquet ». Un des grands noms de la littérature post-soviétique. Connu aussi comme dramaturge. 6 nouvelles qu’on lit d’une traite. La Russie profonde, morne, triste, couverte de neige. Des héros ordinaires. La pesanteur du monde mais aussi, malgré tout, sa drôlerie et sa tendresse.



Alexeï OLINE : « La machine de la mémoire ». Un portrait ébouriffant de la jeunesse russe dans une ville de province.


Et enfin de la littérature de voyage


Sanjay SUBRAHMANYAM :”Comment être un étranger Goa-Ispahan-Venise- XVI-XVIII° siècle”. Trois étonnants destins, trois grands personnages, entre l’Europe, l’Iran et l’Inde moghole. Est-ce qu’on n’est pas tous étrangers, membres d’un groupe auquel nous n’appartenions pas à l’origine ?


Jan BROKKEN : « Les âmes baltes ». Le très beau récit des voyages de l’écrivain néerlandais dans ces pays magnifiques aux cultures entrecroisées, marqués par le poids très lourd d’une histoire tragique.


Nathalie COURTET : « De la jungle birmane à la taïga russe – L’Asie à vélo couché ». C’est le troisième et dernier tome de cet invraisemblable voyage. C’est un récit sans prétention mais d’autant plus juste. On traverse cette fois-ci la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge, le Viet-Nam, le Laos, la Chine, la Mongolie, la Russie, les Etats baltes, la Pologne


Lorette NOBECOURT : « Patagonie intérieure ». Un écrivain intéressant mais peu connu en raison, sans doute, d’une écriture trop complexe. Un petit livre avec plein de fulgurances : « Bien sûr, Santiago m’est indifférente. Le tourisme ne m’intéresse guère ». Un récit de voyage au Chili mais le plus important, c’est la découverte de cette « Patagonie intérieure » que nous portons tous, cette part de nous-mêmes, libre et sauvage.



Tableaux de Robert DEVRIENDT (1955) peintre belge contemporain. Images extraites de séries : Victimes de la passion, The Jerusalem Church Crime, Le chasseur de fétiches,  Le fils du taxidermiste, Le nouveau rituel.


Au cinéma, je conseille « Gold » de Thomas ARSLAN avec Nina Hoss et « La chair de ma chair » de Denis DERCOURT.  Enfin, mercredi prochain, ne manquez pas « Les salauds » de Claire DENIS, au moins pour la bande-son des Tindersticks.