samedi 29 août 2020

"La terre promise": les Khazars, la Républiques des Deux Nations et le Birobidjan


Depuis la destruction en l'an 70, par les Romains, du second temple de Jérusalem, les Juifs attendent le retour vers une "Terre promise" qui les réunira et leur permettra de vivre en sécurité. C'est le point de départ du projet d'un "Etat juif" que l'on peut certes critiquer (peut-on fusionner le religieux et le politique ?) mais dont la motivation s'impose comme une évidence.


Les vicissitudes du projet, on les connaît dans le malheur aujourd'hui et il faut bien reconnaître que, depuis des siècles, l'antisémitisme n'a pas régressé d'un poil.  Les tensions sont même exacerbées et il vaut mieux éviter d'aborder le sujet "Palestine". On est tout de suite prêts à s'assassiner.


Mais on oublie souvent aussi qu'Israël (Jérusalem étant inaccessible, faisant partie de l'Empire ottoman),  ne s'est pas toujours confondu avec la Palestine.


Il y a d'abord eu des projets plus ou moins farfelus : notamment celui du père du sionisme Teodor HERZL qui envisage, en 1903 à Bâle, l'implantation d'un État juif en Ouganda. Ou bien, celui carrément sinistre des nazis souhaitant chasser tous les Juifs d'Allemagne et les "expédier" à Madagascar (le coût du transport les fera renoncer mais c'eût peut-être été un moindre mal). Il y a eu aussi un bizarre projet japonais (1938) en Mandchourie et antérieurement, à la fin du 19 ème siècle, l'implantation de colonies agricoles en Argentine.


Mais il a surtout existé, dans l'Histoire, d'authentiques États juifs ou pays d'accueil. Ces États, on les a étrangement oubliés aujourd'hui. Ils sont pourtant porteurs de leçons. J'en retiens, ci-dessous, trois :


1/ l'Empire Khazar du VII éme au XI ème siècle. Une des grandes énigmes de l'Histoire, celle d'un peuple qui, pendant près de 5 siècles, s'est étendu de la mer Caspienne (en persan, on continue de désigner la Caspienne par le nom de mer des Khazars) à la mer Noire au pied des chaînes du Caucase. Un peuple installé au croisement des routes commerciales et des grandes zones spirituelles (Islam, Christianisme et Judaïsme). Et surtout, un peuple d'origine turco-mongole qui s'est converti, à la fin du 8 ème siècle, au judaïsme (même si celui-ci n'est pas favorable au prosélytisme). Un peuple qui, finalement, a créé le premier État juif au monde. Un État puissant qui disparut mystérieusement, probablement du fait de dissensions religieuses. La thèse (très controversée) a été développée (Artur KOESTLER : "La treizième tribu") selon la quelle tous les Juifs Ashkénazes (Juifs d'Europe Centrale) descendraient des Khazars convertis au judaïsme.


2/ l'Union Polono-Lituanienne ou la République des Deux Nations de 1569 à 1795. L'une des grandes puissances de l'Europe durant 3 siècles. Un territoire immense, l'un des plus grands États européens, s'étendant de la Baltique à la Mer Noire. Un pays archi-cosmopolite où on  parlait le latin, le polonais, le lituanien, le ruthène (biélorusse, ukrainien), le letton, l'arménien, le yiddish. Un État à l'époque plus démocratique que les autres puisqu'il était pourvu de l'une des premières constitutions au monde (avec un législation et un Parlement) et qu'il s'agissait d'une monarchie élective (des étrangers, notamment français, ont ainsi été élus "roi de Pologne). Surtout, la République des Deux Nations garantissait une complète liberté religieuse ce qui fait que les Juifs s'y sont massivement installés car ils pouvaient y pratiquer librement leur religion et y exercer une activité économique. L'Union Polono-Lituanienne n'a donc pas été un État juif mais elle est bien devenue le pays refuge, le pays d'élection des Juifs.


De la République des Deux Nations, tout le monde se fiche aujourd'hui. Elle est complétement oubliée même si elle n'est pas si ancienne que ça: elle était encore contemporaine de Louis XVI. Pourtant sa disparition en 1795, partagée entre la Russie, l'Autriche et la Prusse, a sans doute été un grand malheur pour l'Europe. Elle a en effet initié l'antisémitisme d’État avec des mesures restrictives et de ségrégation prises à l'encontre des populations juives.


Quand les Russes se sont en effet emparés des territoires polonais, ils ont tout à coup découvert, au début du 19 ème siècle, une importante population juive qu'ils ne connaissaient pas (les Juifs étaient alors très peu nombreux en Russie). Ils ont alors tout de suite imposé des restrictions sévères et Catherine la Grande a alors décidé que les Juifs qui ne se convertiraient pas au christianisme ne pourraient vivre que dans leur territoire d'origine. Pas question pour un Juif, jusqu'à la Révolution bolchévique, de s'installer à Moscou ou Saint-Pétersbourg; Pas question non plus de fréquenter les écoles russes, ni d'exercer nombre de professions, ni de posséder des terres. Cet antisémitisme d’État, initié par les Russes, a durablement façonné les mentalités européennes.


- le Birobidjan depuis 1934. A l'exception d'Israël, c'est aujourd'hui le seul territoire administrativement juif avec le yiddish comme langue officielle. Situé en Extrême-Orient Russe, cet "oblast" a été créé par Staline pour "traiter" le problème des Juifs de Pologne, Ukraine, Biélorussie situés à l'Ouest de l'URSS. Bien peu de Juifs se sont en fait installés au Birobidjan : au grand maximum, 50 000 à la fin des années 1940. Aujourd'hui, ils seraient au nombre de 2 000 (sur une population totale d'environ 150 000 habitants). L'échec du projet se comprend aisément : difficile de trouver un territoire plus isolé, au climat plus hostile, aux terres plus improductives et à ce point dépourvu d'infrastructures. Comme pays de cocagne, il y a vraiment mieux. Encore un bel exemple du cynisme russe.

Images de Joann SFAR.. Grand auteur de bandes dessinées né en 1971. J'aime bien le côté magique et merveilleux qu'il fait ressortir de la culture juive. On évoque trop peu cet aspect.

Sur les Khazars, on pourra se reporter au livre d'Artur Koestler: "la treizième tribu" ainsi qu'à un numéro de la revue Autrement (mars 2005) : "L'Empire Khazar". Personnellement, c'est en Iran que j'ai entendu parler des Khazars.

Sur la République des Deux Nations, il faut lire l'extraordinaire bouquin d'Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018 : "Les livres de Jakob". Ce livre restitue parfaitement les mentalités du pays au 18 ème siècle et son extraordinaire cosmopolitisme.

Sur le Birobidjan, je ne connais rien de notable.

samedi 22 août 2020

Le pays d'Ubu roi


Depuis plusieurs années, c'est la grande plaisanterie qui court en Biélorussie. L'un des plus proches collaborateurs du Président Loukachenko s'adresse à lui, la mine contrite : "Monsieur le Président, j'ai deux nouvelles pour vous, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c'est que personne n'a voté pour vous aux élections présidentielles; la bonne, c'est que vous êtes réélu avec plus de 80 % des voix".


80 %, c'est presque comique mais c'est le taux invariablement retenu par les services de propagande à chaque élection présidentielle : en 2001, en 2006, en 2010, en 2015 et évidemment en 2020. A quoi bon finasser ? Ça suscite bien sûr un rire jaune, celui de la rage impuissante d'un peuple qui n'en peut plus de supporter, depuis 26 ans, un dictateur grotesque et paranoïaque.


Un type médiocre, presque un demeuré, qui ne sait que chanter les louanges de son Paradis; celui-ci serait tellement envié dans le monde que les Occidentaux comploteraient sans cesse pour le renverser. On ne sait d'ailleurs pas très bien de quoi vit la Biélorussie, hormis d'agriculture et d'aides financières extérieures, notamment de Russie. C'est du moins un pays idéal pour un écolo : la campagne est vraiment bucolique, on est partout submergés de verdure. Les villes en revanche, Minsk en particulier, sont d'une désolante laideur. Mais un tel trésor vert, il faut à tout prix le préserver et pour ça Loukachenko a heureusement la solution : il entend désigner comme successeur son fils, Nikolaï, aujourd'hui âgé de 16 ans, un grand nigaud qu'il a eu avec sa maîtresse.

Le pays a le charme de l'ancienne Union Soviétique (correctement approvisionnée néanmoins), administré par des armées de fonctionnaires incompétents et corrompus. Les services de sécurité continuent même de s'y appeler "KGB" et la police la "milice". Face à ces apparatchiks, quand on est confrontés à leurs fréquentes manifestations de mauvaise humeur, il faut toutefois demeurer stoïque : passé l'orage, tout peut s'arranger moyennant quelques billets discrètement transmis.


Inutile de dire que c'est le grand développement économique et social. Disons que c'est la grande égalité dans la pauvreté et l'isolement. La mesure la plus ahurissante, c'est d'avoir instauré, en 2017, une taxation des chômeurs pour inactivité ("Taxe sur les parasites"). Des manifestations ont néanmoins réussi à faire plier le pouvoir.


Les Biélorusses se sentent aujourd'hui humiliés par Loukachenko et c'est pourquoi ils réclament son départ immédiat. Le mouvement a une résonance complétement nouvelle, il ne se réclame d'aucune idéologie ni même de la Russie ou du modèle occidental. Il s'agit avant tout d'un mouvement de dignité civique, du besoin exprimé de ne plus être traités comme des gens "immatures" mais reconnus comme de véritables citoyens.


La revendication première, c'est simplement d'organiser d'abord des élections libres. Cette grande aspiration démocratique est enthousiasmante mais on ne peut également s'empêcher d'éprouver de multiples inquiétudes. Sur quoi peut-elle déboucher réellement ?


On peut d'abord rappeler que la Biélorussie, c'est un drôle de pays. Y a-t-il vraiment, en fait, une identité nationale biélorusse ? Historiquement, il n'y a jamais eu d’État indépendant biélorusse (hormis une courte période d'indépendance en 1918). Jusqu'au troisième partage en 1795, le territoire se situait au sein de l'Union Polono-Lituanienne et est même redevenu polonais, pour toute sa partie Ouest entre la 1 ère et la seconde guerre mondiale. Sinon, il a été sous domination russe puis soviétique. Il a subi deux grandes catastrophes dans son histoire : la 2 nde guerre avec l'extermination du tiers de sa population civile puis l'"accident" de Tchernobyl en 1986 qui a submergé le pays de la plupart des radiations nucléaires.


La Biélorussie est donc issue d'une histoire tragique et elle est l'héritière d'un beau mélange culturel, à l'exact croisement d'influences antagonistes. Quant à la langue biélorusse, il faut bien dire que c'est encore pire que l'ukrainien, on ne l'entend vraiment parler que dans les campagnes. Le biélorusse, c'est un fort mélange de polonais et de russe mais, au total, la population est avant tout russophone.


Alors sur quoi peut bien déboucher le mouvement de révolte actuel ? Il est sûr qu'il ne s'éteindra pas et que, tôt ou tard, le régime s'effondrera. Loukachenko n'aura sûrement plus l'occasion de briguer un nouveau mandat. Le problème immédiat, c'est de trouver une solution pour "l'exfiltrer".


Mais on vient de rentrer dans un "grand jeu" tactique entre l'Union Européenne et la Russie. Pas question en effet pour cette dernière de laisser filer la Biélorussie à l'Ouest, de voir l'U.E. et l'OTAN se rapprocher de Moscou.

Poutine a toujours le projet d'une "Union" entre la Russie et la Biélorussie, union "progressive" devant conduire, à terme, à une fusion. Il s'agit en fait de transformer la Biélorussie en une "petite province russe" sur le modèle de la Crimée.

Pour emporter le morceau, il peut se livrer à une manipulation facile. Si la Russie se mêle des affaires intérieures de la Biélorussie, voire intervient directement, personne, pas même une instance internationale,  ne dira rien. On le voit bien en Ukraine.

En revanche, si les Occidentaux apportent un soutien trop marqué à la contestation biélorusse, voir décident de sanctions, il sera facile de hurler "au grand complot américain et international" et de dénoncer une inadmissible ingérence dans les affaires intérieures d'un pays. Les sanctions risquent, malheureusement, de se révéler contre-productives.

La Russie sera, dans tous les cas, gagnante parce qu'elle peut être sûre que l'Europe et les États-Unis ne vont pas trop se démener pour la Biélorussie. La solution vraisemblable est donc celle d'un scénario "à l'Arménienne".  La Russie acceptera la formation, en Biélorussie, d'un nouveau gouvernement sous réserve que ce dernier, en contrepartie d'une intégration financière et économique accrue, n'exprime pas de velléités d'indépendance vis-à-vis du "grand frère". Il pourra compter sur la lâcheté européenne dont la servilité est telle qu'elle vient de confier un rôle de médiation à la Russie (alors que Poutine vient, selon toute vraisemblance, d'empoisonner tranquillement son principal opposant Navalny).

Tableaux  de Marc CHAGALL (1887-1985) et Chaïm SOUTINE (1893-1943). Ils sont les deux grands peintres nés, à la même époque, sur un territoire qui allait devenir la Biélorussie (mais à cette date, c'était simplement la Russie). C'est bien connu pour Chagall né à Vitebsk où où l'on peut visiter sa maison natale et un intéressant musée. Ça l'est beaucoup moins pour Soutine pour des raisons qui m'échappent.

Autre célébrité biélorusse : la Prix Nobel 2015 de littérature Svetlana Alexievitch. Je conseille en particulier: "La supplication", un livre terrifiant décrivant les ravages de Tchernobyl en Biélorussie (où ses livres demeurent interdits).

samedi 15 août 2020

La Mongolie : Guillaume de Rubrouck et le Baron Ungern Sternberg


Dans ma boîte, outre les finances, je m'occupe aussi des relations internationales, même si c'est de manière un peu distante, il faut bien l'avouer. Je fais surtout de la représentation en fait. Curieusement, on entretient des relations avec la Mongolie et je reçois donc régulièrement des Mongols (c'est évidemment terminé depuis le Covid) qui viennent effectuer des stages et faire aussi un peu de tourisme. On s'entend très bien, d'abord parce qu'on a une langue commune (le russe) et puis parce que j'apprécie leur absolue modestie et leur soif d'apprendre. De leurs récits, je retiens que les Mongols sont aujourd'hui un peuple paisible et peu enclin à la violence. Être agressé en Mongolie, c'est, paraît-il, peu probable. C'est presque étrange au regard du passé.


Il faut dire que la Mongolie m'a toujours fascinée.

En grande partie parce qu'on ne peut comprendre, dit-on, la mentalité russe sans l'empreinte qu'y aurait imprimée, durant plusieurs siècles, le joug mongol. Ce joug qui s'est exercé depuis Gengis Khan, vers 1223, jusqu'en 1480, lorsque lorsque le Grand-Duché de Moscou cessa de payer l'impôt aux Mongols et que la Horde d'Or fut battue par l'armée d'Ivan III. L'âme russe porterait donc, aujourd'hui encore, cette histoire d'une terreur et d'une soumission face aux Mongols.


Je ne crois pas trop à cette thèse mais il est vrai que l'épopée mongole a quelque chose de fascinant : leur absolue cruauté, leur profonde indifférence à la souffrance de leurs victimes, leur manque total de respect pour la culture et la civilisation.


Les Mongols sont une énigme de l'Histoire : que recherchaient-ils véritablement à travers leurs conquête ? Certainement pas à faire œuvre de civilisation mais plutôt, simplement, à semer le pillage et la destruction. Les Mongols ou le nihilisme absolu, celui d'une humanité emportée par le vertige de l'abîme.


Ils ont conquis la Chine et l'Asie Centrale puis le Caucase et l'Europe, Moscou, Vladimir, Tver, Iaroslav, Kiev, sont allés jusqu'en Pologne, Lublin, Cracovie, Legnica. Ils ont enfin menacé Vienne avant de se retirer de l'Europe de l'Ouest, mystérieusement, miraculeusement, en 1242.


Partout, ils n'ont laissé derrière eux que villes brûlées et rivières de sang. Pourtant, la Mongolie moderne ne cesse de rappeler ce glorieux passé en exhibant de multiples signes triviaux à la gloire de Gengis-Khan : statues équestres, billets de banque, vodkas, noms de rues, de places, d'hôtels...Il est vrai qu'en Ouzbekistan, on entretient un culte comparable de Tamerlan. Ça en dit long sur la fascination des peuples pour les grands chefs, les grands mâles, de la horde primitive qu'avait décrite Sigmund Freud.


Que reste-t-il d'ailleurs aujourd'hui des Mongols ? A peu près rien. Lorsqu'on se rend dans les ruines de Karakorum, l'ancienne capitale située au Sud-Ouest d'Oulan-Bator, on a peine à imaginer que les Mongols (un peu plus de 3 millions d'habitants aujourd'hui principalement concentrés dans la capitale sur un territoire 3 fois grand comme la France) ont un jour dominé le monde.


Mais je ne vais pas refaire  dans ce post l'histoire archi-connue des conquêtes mongoles. Quand on était enfants, on a tous été impressionnés par Gengis-Khan.

Je voulais surtout appeler l'attention sur deux autres figures, largement méconnues je crois, de l'histoire de la Mongolie. Deux personnalités exceptionnelles qui continuent de me hanter et qui, tour à tour, me font rêver ou m'emplissent de terreur.


- Guillaume de Rubrouck : probablement né en 1210 dans le comté de Flandre. Franciscain de langue flamande, entretenant un contact étroit avec Saint Louis. C'est justement à la demande de Saint Louis qu'il a entrepris, de 1253 à 1255 (soit 11 ans après le retrait des Mongols de l'Europe de l'Ouest), une mission d'exploration et éventuellement d'évangélisation de l'Empire mongol. Il va jusqu'à Karakorum, la capitale, et y rencontre le Grand Khan, petit fils de Genghis-Khan. Il en rapporte un texte prodigieux , parvenu jusqu'à nous, qui révèle à l'Occident les merveilles de l'ordre mongol. C'est non seulement un fabuleux récit de voyage mais surtout un grand récit d'analyse politique et sociologique d'une remarquable impartialité. Un premier livre d'"Histoire des mœurs" qui est étrangement resté dans la pénombre du récit de Marco Polo pourtant bien postérieur et surtout moins "objectif".


- le baron Ungern-Sternberg (1886-1921), également surnommé le "baron fou" ou le "Dieu de la guerre". Une personnalité shakespearienne, violent et mystique. Très célèbre en Russie. Un baron balte, originaire de Reval (Tallinn) en Estonie (alors sous domination de l'Empire russe). Général de l'armée blanche d'une bravoure folle, l'un des derniers à résister à la Révolution bolchevique mais en poursuivant de tout autres objectifs que le retour de l'ordre ancien et de la vieille Russie. Converti au bouddhisme, "la lumière venait pour lui d'Orient" et son rêve fou était en fait de contrer la décadence occidentale en reconstituant la Horde d'Or de Gengis Khan avec la création d'une Fédération d'Asie Centrale (comprenant la grande Mongolie, le Tibet, le Xinjiang) et associant le Japon et la Chine (avec une restauration de la dynastie des Qing).

 
 A la tête de ce qu'il appelait "la Division Sauvage", il a tout de même réussi à prendre, à l'automne 1920, Ourga (l'ancien nom d'Oulan-Bator) en en chassant les Chinois et en rétablissant le Bouddha vivant de Mongolie. A ce moment, il s'en est fallu de peu que son rêve fou ne prenne forme. Mais sa cruauté, sa violence, son insensibilité totale, ont rapidement suscité la défiance et les troupes bolcheviques ont alors pu renverser la situation. Trahi, fait prisonnier, Ungern-Sternberg a été exécuté en septembre 1921. C'est donc misérablement qu'a pris fin le dernier émissaire de Gengis-Khan dans l'Histoire.


Quelques images "Internet" de la Mongolie  qui montreront peut-être que je ne suis tout de même pas insensible aux paysages.

On peut trouver aisément le livre de Guillaume de Rubrouck : "Voyage dans l'Empire mongol - 1253-1255". Il est en poche (Payot). Un livre étonnant, le premier d'un écrivain-voyageur.

Sur le baron Ungern-Sternberg, on pourra se reporter à Ferdynand Ossendowski : "Bêtes, hommes et dieux", en poche Payot également.

On peut également trouver les mémoires d'un témoin authentique, Dmitri Perchine : "L'épopée du baron Ungern-Sternberg en Mongolie".

Il y a surtout une biographie de référence récemment publiée en français (syrtes-poche) : "Le baron Ungern khan des steppes" de Leonid Youzefovitch (qui est par ailleurs un très bon écrivain russe et dont je recommande également : "Le prince des vents").

Sur la Mongolie contemporaine, je recommande les livres de Michel JAN : "Cruelle est la terre des frontières" et "Le réveil des Tartares, en Mongolie sur les traces de Guillaume de Rubrouck".

samedi 8 août 2020

L'aventurier, le voyageur et le touriste


L'été est déjà avancé et la période des congés largement entamée.

Mais rien à faire. Je suis comme tétanisée. Je n'arrive pas à me décider à partir en vacances.


Le Covid m'a carrément coupé les ailes. Il a mis à bas tous les projets que je caressais pour cette année : l'Iran encore une fois; et puis Bakou en Azerbaïdjan et Tbilissi en Géorgie. Et puis aussi le désir de traverser, comme autrefois par mes propres moyens, la Turquie centrale jusqu'à Dogubayazit.


Où aller maintenant ? Que faire ?

- Des vacances en France ? Ce sera peut-être mal compris, comme une espèce de xénophobie, mais j'ai vraiment besoin, chaque année et durant quelques semaines, de ne plus voir de Français, de ne plus parler français, de ne plus entendre parler de la France et de ses problèmes. Tant pis si je connais finalement assez mal le pays sous ses aspects touristiques.


- Des vacances Nature ? J'hésite aussi à le dire en ces temps écolo,  mais la Nature en elle-même ne me parle pas beaucoup. Je m'y ennuie même assez vite. Les beaux paysages, les grands espaces, c'est bien mais à petite dose. Passée l'émotion initiale, qu'est-ce qu'on en apprend ? Et puis, c'est relatif : le Mont Blanc, c'est beau mais c'est tout de même moins impressionnant que les Monts Ararat ou Demavend. Ou bien, la Mer morte, elle est vraiment morte et le désert, c'est vraiment le désert, c'est à dire rien. Je n'ai pas besoin de faire le vide, il me faut plutôt des villes,  de l'animation, de l'architecture, de l'Histoire.


- Des vacances sport ? Du sport, j'essaie d'en faire toute l'année et tous les jours mais ça devient aussi quelquefois une corvée.  Alors les vacances, c'est plutôt pour moi l'occasion de marquer une petite pause. Et puis, je souffre aussi d'un atavisme. Faire du vélo par exemple, ce sport qui est maintenant tant prisé en Europe de l'Ouest, ça demeure la honte absolue pour une femme russe ou ukrainienne.


En fait, j'ai besoin d'imprévu, d'aventure, de rencontres nées du hasard. Je me fiche à peu près de la renommée ou de la beauté des pays que je vais visiter, j'aime bien même les "pays moches", unanimement dépréciés (style Biélorussie, Kosovo ou Macédoine du Nord). Ce qui compte, c'est ce qu'ils vont m'apprendre, à quel point ils vont ébranler mes certitudes, jusqu'où ils vont me conduire à me remettre en cause. La laideur, la "mocheté", la pauvreté, sont aussi instructives que la beauté et les choses époustouflantes.


Mais l'aventure, l'abandon au flux des rencontres et des événements, c'est largement freiné, voire rendu impossible aujourd'hui, par ce satané virus. Rencontrer l'autre, c'est devenu beaucoup plus difficile et c'est surtout ça qui est déprimant.


"Je hais les voyages et les explorateurs" écrivait Claude Levi-Strauss en introduction à son chef d’œuvre "Tristes Tropiques".  C'était bien sûr une provocation mais il visait surtout les ravages naissants du tourisme de masse. Cette circulation folle dans le monde entier de millions d'individus dont la préoccupation principale est de faire des "collections d'images", de se constituer un palmarès des lieux traversés.



Ils rentrent même en compétition entre eux : c'est à qui pourra exhiber le plus beau "tableau de chasse".  On a vite fait d'être considéré comme un "plouc" par un grand voyageur. Ne pas avoir fait la baie d'Ha Long, le lac Victoria, les chutes d'Iguazu, quelle honte ! Et Bali et Singapour et la Nouvelle-Zélande...On est vite renvoyés à sa propre médiocrité, on est toujours le "beauf" d'un plus grand voyageur que nous.



Je viens de découvrir un chiffre ahurissant. En 2019 (c'est à dire avant le Covid), 1,4 milliard d'individus ont pris l'avion dans le cadre de "voyages organisés". Autrement dit, 1,4 milliard de "touristes". Un chiffre démentiel... Autrement dit encore, les touristes sont en passe de supplanter les découvreurs, les explorateurs, les simples voyageurs.


Certes, il faut se réjouir que presque tout le monde puisse aujourd'hui visiter les grands sites de l'humanité. Ce qui est plus ennuyeux, c'est que le voyage puisse s'effectuer aujourd'hui dans une passivité presque totale. On est intégralement pris en charge, sans avoir à fournir le moindre effort de recherche personnelle, dans le cadre d'un séjour banalisé pour tous. C'est comme ça qu'on parvient à "faire" la Russie ou les Etats-Unis en 15 jours.


Loin de moi le mépris pour ce type de voyage ! C'est tout de même mieux que rien, c'est souvent la réalisation d'un vieux rêve mais il est évident que le tourisme, c'est aussi devenu, sous un couvert "cool" et bienveillant, une gigantesque entreprise de formatage des populations, de "normalisation" de leurs goûts et de leurs perceptions à travers les "beautés imposées" du monde. Le tourisme, c'est la dépossession complète de son autonomie de vie et de destin.


Pour s'en sortir, pour échapper un peu à cette terrible emprise, il est peut-être d'abord urgent de se déprendre de.cette volonté qui habite le touriste de "tout voir".

Chercher à tout voir, c'est finalement ne rien voir.


Qu'est-ce qu'on peut retirer d'un voyage empruntant des sentiers trop balisés ?  Qu'est-ce qu'on peut percevoir au delà d'une collection d'images ?

Peut-être qu'il faut  parvenir soi-même à faire preuve d'un peu de poésie et d'imagination. Peut-être qu'il faut "s'arracher", sortir de sa passivité, retrouver notre liberté d'agir et de penser par nous-mêmes dont nous privent ces satanés voyages "organisés". Cet effort nous permettra peut-être d'énoncer, de balbutier, ce qui fait la réalité du monde que l'on traverse : à savoir l'unicité de l'humanité et la variété des cultures. Saisir un peu de l'esprit d'un peuple, d'une culture, saisir l'instant dans ce qu'il ouvre d'unique et d'universel.


En attendant, je viens quand même de faire réviser complétement ma bagnole, ma belle BM, pour m'élancer bientôt, probablement, vers les autoroutes allemandes et vers le Nord. Un peu de vitesse me calmera au moins les nerfs.


Images de Maia Flore, jeune photographe française dans laquelle je me reconnais largement.

La littérature de voyage m'a évidement beaucoup influencée. Je me contenterai ici de recenser quelques livres, souvent bien connus, qui m'ont vraiment marquée :

- Claude Levi-Strauss : "Tristes Tropiques"
- Nicolas Bouvier : "L'usage du monde"
- Ella Maillart : "La voie cruelle"
- Anne-Marie Schwarzenbach : "Où est la terre des promesses ?", "La mort en Perse",
- Olivier Rolin : "Extérieur monde",
- William Darlymple : "Sur les pas de Marco Polo" et "Dans l'ombre de Byzance",
- Bruce Chatwin : "En Patagonie" et "Qu'est-ce que je fais là ?"
- Paul Theroux : "Railway Bazaar" et "Les colonnes d'Hercule"
- Ryszard Kapuscinski : "Ebène" et "Imperium",
- Andrzej Stasiuk : " Sur la route de Babadag" et "Taksim"
-Olga Tokarczuk : "Les pérégrins",
- Paolo Rumiz : "Aux frontières de l'Europe"
- Emmanuel Ruben : "Sur la route du Danube"
- Erica Fatland : "La frontière" et "Sovietistan"