vendredi 15 août 2014

Eastern travel


Voilà ! Comme chaque année, à la même époque, votre vampire préférée vous quitte pour se replier sur ses terres d'origine, en Ukraine.


L'Ukraine, à vrai dire, je n'envisageais pas, cette fois-ci,  de m'y rendre mais, compte tenu de la guerre contre la Russie (parce qu'il s'agit de ça et non d'un conflit séparatiste), j'ai pensé qu'il était de mon devoir de m'y rendre.


Je suis impatiente et anxieuse: qu'est ce que je vais y trouver ? Sûrement des gens traumatisés mais aussi la rancœur, la haine. On n'imagine pas les ravages psychologiques causés par une guerre. Tous les anciens liens sont dissous, mon voisin devient mon ennemi. Moi-même, j'ai envie de flinguer tous les pro-russes et je sais qu'il va falloir que je fasse effort, là-bas, pour me contenir.



Je crois qu'il faudra des années pour surmonter tout ça. Et puis, ça risque de durer très longtemps tout simplement parce qu'il y a maintenant tous ces miliciens qui se baladent partout avec leurs belles armes russes. Ce sont généralement des pauvres types, des bandits, des voyous mais qui ont pu goûter au plaisir de la guerre. Les événements actuels sont une période extraordinaire pour eux : ils peuvent tuer, voler, violer en toute impunité, en s'auréolant même du titre de défenseur de la Russie. Quand on a eu un "boulot" comme ça, comment peut-on atterrir, ensuite, dans un monde normal ? 


Enfin...je vais quand même essayer d'être cool là-bas. Je vais passer par la frontière la plus facile: par le train depuis Cracovie. Ensuite, je prendrai ma voiture et je sillonnerai la campagne. J'adore ça, c'est mon grand plaisir: me balader dans les petites villes, les villages ukrainiens. C'est encore le monde magique de Gogol avec ses couleurs, sa nature exubérante, ses animaux, ses marchés, ses vieilles femmes. On fait tout de suite connaissance, on noue conversation. Evidemment, je ne raconte pas que je viens de Paris parce qu'on me prendrait pour une folle.


Et puis l'Ukraine, c'est aussi plein d'autres choses pour moi. Comme l'a bien résumé le grand écrivain Andreï Kourkov, l'Ukraine a apporté deux choses à l'Europe: l'anarchie (Makhno) et le masochisme.


L'anarchie, pas besoin de développer. On est en plein dedans et depuis fort longtemps.



Quant au masochisme, ça a, bien sûr, pour territoire d'éclosion ma ville de Lviv mais je crois que ça continue de structurer fortement les relations entre les sexes. Sans aucun doute, l'un des aspects les plus frappants de la vie en Ukraine, pour un touriste occidental, est la place accordée aux  femmes. C'est bien différent de la France: les cafés, les restaurants, les boulevards sont envahis de jeunes femmes, seules ou en groupe, qui s'exhibent en toute liberté. Les femmes n'ont vraiment pas peur d'afficher leur séduction, d'autant plus que personne ne viendra les harceler. Pour moi, c'est un signe important de liberté et ça pose même la question essentielle: quelle place, dans chaque pays, est consentie aux femmes au sein de l'espace public? A cet égard, je n'ai pas l'impression que ce soit si formidable que ça en France et j'ai tendance à penser que l'introduction d'un peu de culture masochiste y aurait, peut-être, un effet positif sur l'état des mœurs: un peu plus de liberté et de considération pour les femmes.


Je m'absente durant trois semaines et mettrai mon blog en sommeil durant cette période. Mais je suis moderne, je suis joignable à tout moment et en tous lieux et on peut donc continuer de m'écrire.

J'ai rassemblé ici quelques images évoquant Carmilla. La première image est une photo que j'ai réalisée récemment. C'est tout près de chez moi: le musée Henner. Ce tableau de Henner est, pour moi, presque une image culte, c'est donc une espèce d'auto-portrait même s'il n'est pas physiquement ressemblant.

samedi 9 août 2014

Paradis littéraires















A lire pendant vos vacances :

William DARLYMPLE: "Le retour d'un Roi - La bataille d'Afghanistan". Si on s'intéresse à l'Orient, il faut absolument avoir lu tout Darlymple : "In Xanadu", "Dans l'ombre de Byzance", "L'âge de Kali", "Le Moghol blanc". Il s'agit ici de l'un des épisodes du "grand jeu" avec l'envahissement, en 1839, de l'Afghanistan par les Anglais. Ce fut une terrible boucherie et l'armée britannique, flamboyante et toute puissante, va être massacrée. Un livre majeur, passionnant et très bien documenté, qui se lit comme un merveilleux roman.



Vincent ROBIN-GAZSITY: "L'art d'user ses babouches". La route de la soie, ça fait partie de mes rêves. Je n'en ai fait qu'un morceau mais j'espère bien arriver, un jour, à tout faire. Le chemin se fait ici d'Est en Ouest, de la Chine à la Turquie. Un livre très intelligent, très pertinent par un auteur cultivé.


Tezer Özlü : "La vie hors du temps". Le voyage à travers l'Europe d'une jeune femme turque décédée prématurément (1942-1986). Un récit, écrit en allemand, sur les traces de Kafka, Svevo, Pavese. Très beau, très poétique. Je ne la connaissais pas mais il paraît qu'on la place au côté de Sylvia Plath.


Jean-Pierre MINAUDIER: "Poésie du gérondif -vagabondages linguistiques d'un passionné de peuples et de mots". Un livre étonnant qui parvient à nous rendre passionnants ces livres rébarbatifs que sont les grammaires. Jean-Pierre Minaudier en possède 1 200 chez lui. Il est surtout doté d'un humour ravageur. A lire absolument par tous ceux qui s'intéressent aux langues étrangères. Une langue, c'est une vision du monde. Et puis un conseil personnel: si vous voulez apprendre une langue, ne vous polarisez pas sur le vocabulaire. Commencez par assimiler la grammaire, la syntaxe. Le reste viendra tout seul après.


Peter SLOTERDIJK: "Les lignes et les jours Notes 2008 - 2011". Jusqu'alors, je n'avais jamais réussi à lire un bouquin du célèbre philosophe allemand. Je trouvais que c'était du sous Deleuze, un recyclage "fashion" des idées en cours avec plein de tics de langage et de pensée. Là, il s'agit d'un recueil de ses notes quotidiennes, une espèce de journal. Ca se picore avec plaisir et c'est très vivant. Ca apprend plein de choses sur la culture et la pensée allemande. A lire absolument quand on est germaniste.


Krisztina TOTH : "Code-barres". Quinze petits récits, quinze moments décisifs dans la vie de 15 femmes: l'humiliation, la trahison, le deuil, l'intrusion des autres...C'est à chaque fois très troublant. Krisztina Toth (1967), écrivain hongrois, est par ailleurs reconnue comme grande poète.


Christine ANGOT: "La petite foule". Christine Angot, je la connais très mal, les médias l'ont dévorée. Mais j'ai bien aimé cette galerie de portraits qui m'ont, certes, plus ou moins accrochée mais qui sont toujours incisifs. On s'y retrouve tous, on y reconnaît, tous, plusieurs personnages de son entourage.


Zakhar PRILEPINE: "Je viens de Russie". L'un des gourous de la jeunesse russe, hyper connu depuis son roman San'kia. La caricature de la bêtise et du génie russes. Un Edouard Nabe qui aurait du talent. Un recueil de ses chroniques de 2000 à aujourd'hui. Ca se veut radical, il faut dire que Prilepine est fortement engagé dans le mouvement national-bolchevique de Limonov. C'est sûr que ça ne manque pas de punch et d'acidité. Mais moi, j'en ai complètement marre de toute cette littérature russe qui n'arrête pas de radoter sa nostalgie de l'URSS. C'est le fascisme qui se pare des atours de l'anti-fascisme. Ce qui me rend dingue, c'est que ça se vend à l'Ouest. Il est peut-être temps que les Russes cessent de se considérer comme des innocents, voire des victimes. Rien que le titre me fait gerber : vous venez de Russie et alors..., retournez-y, je vous en prie ! L'âme russe, on s'en fout ! Ca n'intéresse que vous et d'ailleurs, ça n'existe pas !


Vladimir LORTCHENKOV : "Des mille et une façons de quitter la Moldavie". La Moldavie, ça fait partie de ces pays mystérieux dont je vous recommande la visite. Dépaysement et émerveillement garantis. Dans ce bouquin hilarant, on se croit plongés dans un film de Kusturica.



Katia CHAPOUTIER: "Les vies secrètes de Paris". J'avais beaucoup aimé le livre de Katia Chapoutier sur Jérusalem, tellement hors des partis-pris et des sentiers battus. Tous les Parisiens adoreront son livre sur Paris avec plein de lieux inconnus et mystérieux à découvrir.


Tableaux de David HOCKNEY (1937). J'ai ici sélectionné des oeuvres de sa dernière période (2000-2010). Ca change des villas hollywoodiennes de ses débuts, magnifiques mais tellement connues. Cependant, il faut bien le reconnaître, un tableau de David Hockney sur Internet, ça n'évoque pas grand chose. Il faut absolument voir les originaux.

samedi 2 août 2014

L'avenir de l'Europe


L'actualité politique française m'étonne toujours un peu. Alors qu'en général, on ne s'intéresse pas trop aux affaires internationales, on se déclare, aujourd'hui, pleins de compassion pour le peuple palestinien. C'est estimable mais il ne faudrait pas que cet amour ne soit qu'un voile inavouable : celui de la haine portée à Israël et aux Juifs. Pour faire scandale dans un dîner parisien, il suffit, mais c'est très dangereux, de déclarer qu'on est également sensible aux souffrances de la population d'Israël. Et puis, j'aimerais bien que tous ces grands démocrates pro-Hamas, style Besancenot, Soral, Mélenchon, soient également prêts à manifester pour la paix en Syrie ou contre l'extermination des Chrétiens en Irak.

Quant à l'Ukraine, c'est maintenant le silence radio. Je me doute bien, évidemment, qu'il n'y aura jamais une seule manifestation en France en faveur de la démocratie ukrainienne. C'est peut-être normal tellement l'Est, c'est, culturellement, éloigné de la France mais je trouve que c'est quand même dommage : ce qui se joue là-bas, ce n'est pas la destinée d'un pays en particulier mais c'est la considération apportée à certaines valeurs et grands principes démocratiques. Je sais bien que ça fait complétement ringard, aujourd'hui, de parler de valeurs mais c'est quand même bien ça qui a fondé l'Europe. Pour conforter mon propos, je me permets de reproduire ci-dessous l'article d'un grand journaliste polonais, Adam Michnik, avec le quel je me sens totalement en accord. 

Comme le souligne fort justement Masha Gessen, ce n'est pas contre l'Ukraine que Poutine est en guerre, c'est contre l'Occident ! Le choc des civilisations, Poutine, il y croit dur comme fer. Et il est aussi convaincu que cette bêtise de la spiritualité russe va nous sauver de la décadence. 


" En Ukraine se joue l'avenir de toute l'Union européenne

L'hypocrisie, la bêtise et le silence de l'élite intellectuelle, des artistes, des scientifiques et des médias face à l'avancée des régimes totalitaires nazi et stalinien resteront à jamais dans nos mémoires, resteront à jamais l'un des tristes souvenirs du XXe siècle.Avoir fermé les yeux sur l'annexion de l'Autriche, sur celle de la Tchécoslovaquie, et sur celle des pays baltes sera toujours un motif de honte pour l'Europe. Personne ne parla avec autant d'éloquence qu'Hitler et Staline de la paix et du droit international, et personne ne commit autant de crimes que ces dictateurs.


Aujourd'hui, l'Europe garde le silence devant la politique impérialiste agressive de Vladimir Poutine, le président de la Fédération de Russie. L'Occident tolère en silence sa politique agressive, qui viole explicitement la souveraineté d'autres Etats : celle de la Moldavie, celle de la Lettonie, celle de la Géorgie, et – surtout – celle de l'Ukraine.

L'Union européenne se comporte comme une version grand format de la très neutre Suisse. Cela est tout particulièrement vrai de ses élites politiques et de ses milieux d'affaires. Mais l'Europe n'est pas la Suisse. Elle a été le théâtre de deux guerres mondiales sanglantes.
En conséquence, nous – intellectuels, journalistes, scientifiques – avons le devoir d'être vigilants, et d'alerter l'opinion publique. Nous devons être les oies du Capitole de notre temps. Nous ne devons pas succomber aux vieilles illusions, nous devons refuser notre conformisme confortable. Notre devoir est désormais de parler clairement, et aujourd'hui avec énergie.
Nous ne devons pas identifier M.Poutine à la nation russe, exactement comme nous avions refusé d'identifier Brejnev à la nation russe lorsqu'il a entrepris sa guerre en Afghanistan. La véritable et authentique voix de la Russie était alors Andreï Sakharov, ce grand dissident, honnête et courageux. Sakharov, quelques années plus tard, au Parlement russe, désigna cette guerre en Afghanistan comme la ''guerre de la honte''.
Le conflit actuellement en cours avec l'Ukraine, qui a débuté avec l'annexion de la Crimée, et les provocations permanentes menées dans l'est de ce pays sont honteux, tragiques, et dangereuses. Elles s'accompagnent en Russie de violations permanentes des libertés démocratiques, décidées par le gouvernement de M. Poutine.

FRANCHIR LES LIGNES ROUGES
Une politique de conciliation ne mènera à rien ici. Vladimir Poutine n'est pas un homme politique à l'européenne. M. Poutine ne pratique que l'aventurisme permanent. Comme en témoignent des signes inquiétants, il a déjà ouvert la boîte de Pandore. Des aventuriers chauvins et nationalistes, amateurs de conquêtes sanglantes font le voyage de la Russie vers l'Ukraine. Armer ces bandits, les approvisionner en équipements militaires de pointe est un crime.
Nous appelons les dirigeants et responsables des pays de l'Union européenne à mettre un terme à la politique agressive du président Poutine. L'expérience nous a enseigné que dialoguer avec le président Poutine, c'est perdre son temps. M. Poutine ne recule que lorsqu'il a en face de lui unité et fermeté. M. Poutine se moque des adversaires faibles et mous. Sa perception des pays de l'Union européenne est manifestement la suivante : ils parlent, ne font que parler. Et pendant ce temps-là, le Kremlin ne cesse de franchir toujours plus de lignes rouges.
Vladimir Poutine continue de fournir l'est de l'Ukraine en armes et en mercenaires. Il continue de masser ses troupes le long de la frontière ukrainienne. Mais l'Ukraine a le droit de choisir de rejoindre les démocraties européennes. Et les Ukrainiens ont le droit de vivre dans un Etat se comportant avec honnêteté. Il est bien possible que l'avenir de l'Union européenne se joue aujourd'hui dans l'est de l'Ukraine.

Les Vingt-Huit feraient bien d'utiliser tous les moyens de pression dont ils disposent. Ils feraient bien de cesser de fournir la Russie en matériels militaires, et d'adopter à son endroit des sanctions économiques et politiques. La véritable réponse à la crise ukrainienne, c'est la solidarité contre Vladimir Poutine".


Adam MICHNIK
Tableaux de Marianne Von Werefkin (1860-1938). Une de mes peintres préférées. Née en Russie à Ekaterinburg. Décédée en exil en Suisse. A accompagné Alexi Von Jawlensky, autre grand peintre. A contribué à la création du groupe "Der Blaue Reiter" (Le cheval bleu).