dimanche 22 août 2010

Le cimetière des cimetières qui n’existent pas


La Pologne d’abord, et Varsovie en particulier…


Evidemment, la Pologne, c’est un drôle de pays.



D’abord, cette langue bizarre. C’est très proche du russe, bien sûr, mais c’est plutôt un chuchotement, un chuintement. Ca ne me pose pas trop de problèmes et j’y arrive bien sûr tant bien que mal mais je crois qu’il est vraiment impossible de prononcer correctement certains sons, ces satanés chi, c’i, j’i, s’i et chtchi, si on ne les a pas entendus dès sa naissance.


Mais cette langue chuchotée, ça fait partie de la culture du pays. Rien qui heurte, qui agresse. Pour moi, la Pologne c’est une société absolument non violente. Tous les rapports humains, les relations sociales sont empreints de douceur et de civilité. La politesse y est extrême. Ce n’est pas l’agressivité de la rue en Russie ou l’indifférence hostile en France.



Du reste, il est impossible d’être seul ou isolé en Pologne. Chaque jour, vous rencontrez une dizaine de personnes qui viennent spontanément vous aider ou vous convier à partager un repas, une fête. C’est enivrant et lassant à la fois.



C’est aussi une société hyper féminine, absolument pas machiste : que de la douceur, que du maternage. Les femmes, en Pologne, sont omniprésentes et éclatantes et elles ont droit à tous les égards. C’est même à un point tel que je conçois qu’on puisse juger ça excessif.


Le contraste est immense avec les deux grands voisins, la Russie et l’Allemagne. En Allemagne, les femmes sont affreuses, des mères de famille consacrées à la cuisine, aux gâteaux et aux enfants. En Russie, elles sont des objets de standing quand elles sont jeunes ; après, elles sont des bonniches.


Le féminisme polonais, ce n’est pas non plus le féminisme à la scandinave où les femmes sont comme des hommes, habillées comme des sacs et totalement transparentes.



Les polonaises ne sont pas non plus comme les françaises, toujours sur la défensive et dans un registre agressif; elles sont avenantes, affirmées. Elles ne craignent pas d’aborder dans la rue un inconnu ou de lui sourire mais il est vrai que ce n’est pas non plus automatiquement perçu comme une invite sexuelle.

C’est drôle, à chaque fois que je reviens en Pologne, en Russie ou en Ukraine, j’ai l’impression que les gens y sont heureux. Il y a une atmosphère paisible et enjouée, on adore faire la fête et on se sent loin de la morosité française. Là-bas, on croit vraiment que tout est possible et on est plein d’optimisme.


Je sais bien que vous avez du mal à me croire tellement vous êtes habitués à ce qu’on vous serine dans les media: là-bas, c’est la misère et le désespoir.


Mais non pour moi, c’est bien ça : la convivialité, la douceur, l’affectivité. J’ajouterai même que, contrairement aux idées reçues, ce sont également des pays très sûrs, surtout pour une femme. La probabilité de s’y faire voler ou agresser est vraiment très faible.

Mais il faut également le reconnaître : il y a certes cette douceur, cette extrême civilité, mais il y aussi son envers.

Il y a ainsi, en Pologne, une hantise très forte de la mort et de la folie. D’abord, on passe une grande partie de son temps au cimetière où l’on se rend aussi naturellement que dans un parc urbain. L’entretien des tombes constitue une longue occupation et est l’occasion d’un dialogue continuel avec les morts.


Et puis, il y a toute la production artistique polonaise, le cinéma, le théâtre, la littérature, la peinture, qui est incroyablement morbide et dérangeante. Ca déplait généralement en France où l’on est habitué à davantage de modération.


« Le théâtre de la mort », c’est ce que l’on écrivait à propos de Tadeusz Cantor. Ca peut aussi s’appliquer à la Pologne toute entière.

L’extrême civilité s’appuie sur la conscience de la mort, elle y trouve sa source.

Près de Gdansk, il y a un cimetière qui porte un nom extraordinaire : "Cmentarz Nieistniejacych Cmentarzy », ce qui peut se traduire par « Le cimetière des cimetières qui n’existent pas ».



Ce qui fait l’histoire, c’est le combat contre la mort. C’est particulièrement vrai pour un peuple maintes fois menacé de destruction au cours des siècles. Varsovie comptait 1,3 million d’habitants en 1939. A sa libération en janvier 1945, il n’y avait qu’un peu plus de 10 000 personnes qui erraient dans les ruines.



Photos de Carmilla Le Golem sur Sigma DP 1 et 2

La vieille ville de Varsovie
Le cimetière juif de Varsovie
Le cimetière Powązki

Oeuvres de Jan Lebenstein

samedi 14 août 2010

Retraite vers l’EST


Pendant quelque temps, Carmilla le Golem va cesser de hanter le parc Monceau et ses abords pour se retirer sur ses terres, bien loin vers l’Est, en un lieu où sûrement personne ne pourra la trouver.


L’Est, évidemment ça bouge beaucoup. Ca devient claquant, clinquant, flashant. Une espèce de gaieté débridée, de joie aérienne. Surtout, les gens y sont étrangement jeunes et beaux.


La grande différence entre l’Est et l’Ouest, c’est maintenant ça : la beauté, la jeunesse. Le spectacle de la rue, c’est : à l’Ouest, des petites souris grises; à l’Est, des bimbos éclatantes.


C’est à ça que je suis sensible : cette vitalité, cette exubérance.


Mais pour moi, l’Est c’est aussi l’envers et l’endroit, le paradoxe permanent : la « légèreté de l’être » d’un côté, l’horreur et l’effroi de l’autre.

Les mentalités sont toujours imprégnées de la longue épouvante qui a suivi la seconde guerre mondiale; le traumatisme peut-être définitif de l’horreur nazie.


Un sentiment d’Apocalypse, d’effondrement, de décomposition. C’est ce que l’on appelle la conscience tragique.


Photos Carmilla le Golem

Andrzej Żuławski pour « Szamanka » et «le Globe d’Argent » (Na srebrnym globie).

samedi 7 août 2010

L’école de Nancy



Il y a quelques semaines, je suis allée à Nancy.

Il y faisait étrangement froid comme si j‘y avais été attendue.
Comme à l'accoutumée, je suis surtout sortie la nuit. Les rayonnements de la lumière sur les magnifiques pavages de la Place Stanislas.




Nancy, ça fait partie des villes de la province française que j’arrive à fréquenter. Il faut que ce soit au Nord, à l’Est ou dans les Alpes.


Au-delà, je me sens mal à l’aise.

Nancy, je m’y retrouve, c’est déjà l’Est. C’est plus piquant, plus dynamique. On y célèbre encore le roi Stanisław Leszczyński. Je suis fière d’être l’une des seules à savoir prononcer son nom correctement : léchtchign’sski en accentuant sur le premier i.
Surtout, Nancy c’est l’une des villes de l’Art Nouveau. Ca m’évoque tout de suite d’autres villes que j’adore : Bruxelles, Riga, Prague et bien sûr Moscou et l’Hôtel Metropol.




L’art nouveau, je ne vais pas vous faire un cours mais c’était quand même la sensualité, la féminité et le trouble. C’est peut-être pour ça qu’il a connu une longue période d’oubli.





Photos Carmilla Le Golem


Emile Gallé

dimanche 1 août 2010

Séduction prédatrice



Cette semaine, j’illustre mon post avec des tableaux d’Eva Kowalewska.

Ewa Kowalewska (je rétablis l’orthographe, qu’elle a francisée, de son prénom), je l’aime bien. Elle a longtemps habité le même quartier que moi à Paris, nous avons une langue commune. Surtout, nous partageons un même imaginaire.



Evidemment, Ewa Kowalewska est sans cesse rattrapée par son passé. Elle a été la copine de Paul-Loup Sulitzer, ce qui suffit à vous déqualifier définitivement dans le Paris intellectuel.


Pourtant, sa peinture montre bien qu’elle vaut beaucoup mieux que son ancien matou.


Ewa Kowalewska, j’aime bien son absence de préjugés. Elle est comme moi…une vampire.
Ce qui compte, c’est l’aventure, la conquête séductrice.


Ca touche évidemment le domaine sexuel. C’est la question centrale du vampirisme.

Ce que nous détestons, c’est le kitsch amoureux, le sentimentalisme bêta.


Quand vous m’écrivez, vous me demandez ainsi si je ne suis pas lesbienne.


Hi-Hi ! Je me suis déjà exprimée là-dessus. Je suis au-delà de cette alternative.



Le lesbianisme est aussi kitsch que l’hétérosexualité, aussi mièvre, aussi sirupeux.

C’est vrai que j’aime bien les femmes mais j’aime aussi déstabiliser, perturber les hommes.

Faire l’amour ne m’intéresse d’ailleurs pas tellement; ce n’est pas mon but exclusif. Ce n’est en fait qu’un aspect, presque secondaire, de la sexualité.

D’ailleurs, je ne crois pas que les femmes aiment tant que ça faire l’amour. C’est excitant les premières fois; après, c’est d’un ennui mortel. Quelle horreur de vivre avec un mec qui ne pense qu’à se soulager et à vous sauter.

Aimer faire l’amour, c’est l’impératif de notre société porno-hygiéniste.

Si vous n’aimez pas ça, dépêchez-vous d’aller consulter un psychiatre, vous dit-on d’un air effrayé.

Moi, je déteste ça. Ce qui m’intéresse, c’est la séduction, le jeu, la réciprocité qui s’instaurent avec celui que j’ai réussi à attirer.

Ne pas avoir froid aux yeux. J’aime bien cette expression française. Elle me correspond, à moi et mes compatriotes slaves qui avons une autre vision des relations entre les sexes.

L’important, c’est de capter l’autre, de le fasciner. L’important, c’est de recueillir la lueur du regard qui se pose sur vous.

Pas de plus grande jouissance pour moi que de sentir que je suis le centre de l’attention. Que des dizaines de regards, dans un lieu public, me scrutent, m’épient, me déshabillent. Sentir que l’on est une énigme, un rêve, ça vaut tous les orgasmes et peu importe qui me regarde, homme, femme, jeune, vieux, monstre ou éphèbe. Je me sens pareillement flattée.


Les féministes dénoncent avec force le harcèlement sexuel. C’est devenu pénalement répréhensible.

Que dire pourtant d’un monde où le harcèlement est prohibé ?

Et puis c’est occulter un autre volet : les femmes ne sont pas seulement des victimes ; elles exercent aussi un extraordinaire pouvoir sur les hommes ; les maîtres du jeu, ce sont souvent elles. Très jeune, j’ai ainsi compris que la presque totalité des hommes étaient prêts à tout, y compris à sombrer dans la folie, pour conquérir une jeune femme : sacrifier leur famille, leur honneur, leur réputation, leur fortune pour pouvoir passer quelques heures en compagnie d’une Lolita condescendante.

Quand on a compris ça, on sait mieux comment fonctionne le monde et comment s’y adapter.



Eva KOWALEWSKA