dimanche 29 janvier 2012

De Frimaire en Nivôse



Voilà les bouquins que j’ai aimés, avec les quels j’ai rêvé, au cours de ces deux derniers mois :


- Laure Murat : « L’Homme qui se prenait pour Napoléon ». Un chef d’œuvre, un grand livre. Ca dépasse les approches divergentes de Foucault et Gauchet. La dimension politique de la folie. La naissance de la psychiatrie en pleine Révolution avec l’instauration de la Terreur et de la guillotine : cette période de l’histoire où l’on « perd la tête » aux deux sens, concret et imagé, de l’expression.


- Mikkel Borch-Jacobsen : « Les patients de Freud – Destins ». Une magnifique surprise. On découvre dans ce petit livre l’identité réelle des patients de Freud et toute l’atmosphère de la Vienne impériale. On peut avoir des réserves sur Mikkel Borch-Jacobsen qui est devenu anti-freudien mais son livre est, paraît-il, bien documenté. C’est sûr que, d’une certaine manière, beaucoup d’analyses de Freud se sont soldées par des échecs mais qu’est-ce que ça signifie être guéri ?




- Marcela Iacub : « Une société de violeurs ? ». C’est un petit essai un peu rapide, un peu décevant mais, comme toujours, Marcela Iacub nous permet d’échapper à la bêtise ambiante.



- Serge Gruzinski : « L’Aigle et le Dragon ». Une réflexion sur deux aventures étonnamment parallèles : en 1520, au moment où Cortès entreprenait la conquête du Mexique pour le compte des Castillans, les Portugais pénétraient en Chine dans l’intention d’y installer une ambassade.



- Alex Bellos : « Alex au pays des Chiffres ». Vous êtes peut-être fâchés avec les chiffres ? Moi, évidemment pas. C’est comme pour les langues, il y a des gens doués pour ça et d’autres pas du tout. C’est sûr que compter et manipuler des chiffres, ce n’est pas évident (d’ailleurs, il y avait certains peuples et civilisations qui ne savaient pas, ou mal, compter). C’est l’énigme de la pensée humaine parce qu’il y a dans les chiffres quelque chose qui, à la fois, dépasse le réel et en est la vérité. Le réel est mathématique, j’en suis convaincue.



- Sarah Caron : « Le Pakistan à vif ». J’ai découvert tardivement ce bouquin qui a déjà un an. Le Pakistan, c’est vraiment l’un des pays clés de la compréhension géopolitique du monde. Sarah Caron en parle de manière très juste et très vivante.



- Dominique Fernandez : « Transsibérien » et Danièle Sallenave : « Sibir ». Deux copies légèrement différentes sur un même sujet : le récit d’un voyage en Transsibérien effectué par un groupe d’écrivains français, en 2010. A peu près tout le monde y est allé ensuite de son livre (Sylvie Germain, Olivier Rolin, Maylis de Kerangal). C’est amusant de comparer. Evidemment, c’est plein de clichés et de fantasmes (pour commencer, aucun Russe ne rêve de faire le Transsibérien) d’autant qu’il s’agit d’un voyage organisé et que personne ne parle russe (et ça, comme le reconnaît d’emblée Dominique Fernandez, c’est rédhibitoire en pleine Sibérie). De la Russie réelle et du Transsibérien, on ne voit donc à peu près rien. Chacun s’en tire en fait à coup d’évocations littéraires, artistiques et historiques. Mais c’est honorable et souvent brillant. Je décernerai mes deux premiers prix à Dominique Fernandez et Olivier Rolin.




- Jean Rolin : « Le ravissement de Britney Spears ». Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Un bouquin consacré à cette crétine ? Moi-même, qui suis admiratrice de Jean Rolin, j’ai eu du mal à me décider à acheter. C’est vraiment déconcertant mais si on aime, comme moi, Los Angeles, David Lynch et Sophia Coppola, on est rapidement conquis. On y parle aussi d’un Kirghizistan fantôme.




- Jean-Claude Carrière : « L’esprit libre ». Jean-Claude Carrière est à peine connu ; pourtant, que seraient le cinéma et le théâtre sans lui ? Il a travaillé avec les plus grands metteurs en scène (Bunuel, Peter Brook, Schlöndorff, Tati) et il a une immense culture cosmopolite (le Mexique, l’Inde, L’Iran entre autres).



- Zakhar Prilepine : « Des chaussures pleines de vodka chaude » - 11 histoires, tragiques et comiques, consacrées aux jeunes «paumés » de la Russie nouvelle. C’est très glauque mais Prilepine est bien l’un des meilleurs représentants de la nouvelle littérature russe.




Voilà ! Je vous ai parlé de mes coups de cœur. De ce que je n’ai pas aimé, normalement, je ne parle pas, parce que j’estime que les opinions négatives, ça n’apporte rien. Je voudrais quand même vous signaler aujourd’hui quelques livres que j’ai franchement détestés. J’en parle parce qu’ils ont été primés et qu’ils traduisent, à mes yeux, certains fantasmes français. Des bouquins de mecs névrosés qui voudraient nous faire adopter leurs radotages.




- Sylvain Tesson : « Dans les forêts de Sibérie » (Prix Médicis de l’essai). Ca figure parmi les meilleures ventes en librairie mais je trouve qu’il faut vraiment être un crétin pour passer 6 mois dans une cabane, non loin du lac Baïkal, sans voir personne, surtout pas des Russes qui ne sont qu’un ramassis d’alcoolos. C’est la pire illustration de la bêtise écolo dont se réclame Sylvain Tesson. Mais la vie, ça n’est pas ça. La vie, c’est d’abord rencontrer des gens et l’expérience de Sylvain Tesson est d’autant plus ridicule qu’à Irkoustk, il y a plein de filles magnifiques mille fois plus intéressantes que les forêts sibériennes.



- Mathieu Lindon : « Ce qu’aimer veut dire » (Prix Médicis). J’aime bien Mathieu Lindon comme critique littéraire dans « Libération » mais là, je ne l’ai pas reconnu et j’ai cru étouffer en lisant son bouquin. Un monde clos, étriqué, oppressant. Le monde tout petit, en béton, de la vie germanopratine, enfermé dans un appartement (celui de Michel Foucault) avec pour seuls horizons l’homosexualité masculine et la drogue. Que c’est triste, que c’est limité !



- Alex Jenni : « L’art français de la guerre » (prix Goncourt). C’est évidemment follement ennuyeux mais c’est surtout malsain. J’ai noté un point intéressant : Alex Jenni confesse qu’il s’est débrouillé pour se faire réformer. Ca lui aurait peut-être évité d’entretenir cette trouble fascination pour l’armée. Dans les anciens pays communistes, on n’a heureusement pas ces illusions et on déteste viscéralement les militaires parce qu’on sait bien qu’ils sont généralement bêtes et méchants. Et c’est sans doute la même chose en Russie et en France. Alex Jenni confond l’armée, composée à mes yeux de pauvres types, et la guerre. La guerre dont, de toute manière, on ne peut parler puisqu’il s’agit d’une expérience humaine indicible.




Pour illustrer ce post, j’ai choisi un ensemble de cartes postales du début du 20 ème siècle. C'est mieux que les horreurs actuelles, n'est-ce pas ?

On reconnaîtra principalement Raphael Kirchner, Philip Boileau, Maillik, Leo Fontan, Karl Jozsa, Harisson Fisher. Ce qui m’effraie, c’est que plus personne ne s’intéresse aujourd'hui à ces graphistes remarquables.


Je signale enfin qu’il faut absolument voir : « Ici-bas » de Jean-Pierre Denis. Personne n’en parle mais c’est, pour moi, le grand film de ce début d’année; ce qu’il y a d’absolu et d’abject dans toute passion amoureuse.

dimanche 22 janvier 2012

Lisière d’Europe : Moldavie


J’ai déjà exprimé mon amour des petits pays européens aux quels personne ne s’intéresse, tellement proches de nous mais que nous zappons négligemment.



Cette semaine, je voudrais vous parler de la Moldavie. Je n’ai vraiment pas l’impression que les charters de touristes s’y précipitent. Du reste, je ne connais qu’un seul guide en français sur le pays.



Pourtant, si on recherche des vacances dépaysantes, faciles et bon marché, la Moldavie, c’est vraiment bien.



C’est sûr que, de prime abord, ça n’est pas très engageant : la Moldavie serait le pays le plus pauvre d’Europe. Et puis les villes, ce n’est vraiment pas terrible : une affreuse architecture soviétique avec heureusement quelques survivances roumaines.



Cependant, comme j’ai toujours pu le constater, c’est dans les villes en apparence les plus tristes et les plus moches qu’on s’amuse le plus et qu’on fait le plus de rencontres. Si vous aimez vous éclater et faire la fête, ce n’est pas à Paris ou à Londres, villes ultra ségrégationnistes, qu’il faut aller, mais c’est à Belgrade, Sofia, Chisinau.


Et puis la campagne, comme celle de la Roumanie voisine, est vraiment merveilleuse, idyllique. Même moi, hyper-urbaine qui n’éprouve aucun attrait pour la nature, je sens vibrer là-bas une fibre écolo en moi.



Alors, tout est-il vraiment bien en Moldavie ? Bien sûr que non.



Il y a d’abord cette extraordinaire situation démographique : il y aurait à peu près 4 millions de Moldaves dont 1 million vivraient en dehors du pays. L’exode est vraiment massif, preuve que la vie est sûrement meilleure ailleurs !


Il y a ensuite la sourde opposition entre russophones (nostalgiques de l’URSS) et partisans du rapprochement avec la Roumanie.

Le symbole le plus évident de cette division, c’est bien sûr l’existence à l’Est de la Moldavie, de l’autre coté du Dniestr, de la République autoproclamée de Transnistrie.


La Transnistrie, c’est quelque chose d’absolument fascinant. C’est un Etat fantôme en plein cœur de l’Europe. Cette bizarrerie existe tout de même depuis plus de 20 ans, mais tout le monde s’en fout.


La Transnistrie, c’est un Etat de facto indépendant mais qui n’est reconnu par absolument personne, pas même par la Russie qui l’aide économiquement et militairement. La Transnistrie a quand même son armée, sa monnaie et une Constitution (d’inspiration fortement soviétique).


A quoi ça peut ressembler, qu’est-ce que ça peut être de vivre là-bas, dans un Etat d’absolu non-droit ? Je trouve ça  passionnant : la Transnistrie, c’est vraiment le pays le plus mystérieux d’Europe. C’est blindé de mafia et de trafiquants (d’armes en particulier) et on peut penser que la vie là-bas n’est sûrement pas banale. Passer quelques jours en Transnistrie, ça vous permet sûrement de recadrer beaucoup de choses.


Je terminerai avec une dernière originalité ethnique en Moldavie. Il s’agit de la région autonome de Gagaouzie. Qui sont les Gagaouzes ? Ce sont des turcophones mais de religion orthodoxe. Etonnant, non ? Ils sont à peu près 150 000 en Moldavie. Ils avaient revendiqué leur indépendance complète dans les années 90 mais se sont depuis beaucoup assagis.



Images de Natalia Ciobanu, jeune photographe (21 ans) moldave.

Je signale aussi que le grand tube 2004 des discothèques : Mai Ya Hi Dragostea Din Tei avait pour origine un groupe moldave, aujourd’hui dissous, de pop-dance : O-Zone.

dimanche 15 janvier 2012

Portrait de Hitler en simple paresseux


C’est une évidence : en Europe Centrale, le traumatisme de la seconde guerre mondiale (qu’on appelle la grande guerre patriotique en Russie) est encore très fort. Même si presque plus personne n’a connu cette guerre, elle continue de façonner les mentalités. Il est vrai que ça a été une période d’épouvante et de souffrance inouïes et que toutes les villes, de Poznan jusqu’aux contreforts du Caucase, sont hantées par la grande catastrophe, la solution finale.


C’est notre conscience tragique, la grande différence avec l’Europe de l’Ouest où l’on a choisi la solution de l’oubli, sans doute du fait du poids trop lourd de la honte et de la culpabilité.



L’une des manières les plus courantes d’évacuer le nazisme et le risque totalitaire, c’est de le considérer comme un accident, une aberration de l’histoire, le coup de folie d’un homme et d’un peuple. C’est d’ailleurs comme ça qu’on vient de déclarer irresponsable Anders Breivik, alors que cette crapule avait minutieusement préparé son attentat en Norvège et qu’il le revendiquait et le justifiait. L’art de détourner le regard, d’escamoter le mal, de le cacher sous le tapis. Anders Breivik est bien un criminel politique et j’aurais aimé que quelques voix s’élèvent pour le rappeler.


C’est pour ça aussi qu’il y a profusion d’analyses psychologiques sur Hitler : monstre pervers, sadique insensible, mégalomane délirant.

La vérité est qu’Hitler était un personnage très médiocre et sinistrement banal. Il n’était ni fou ni pervers et s’il était bien délirant, c’était un délire entièrement rationnel.



Un trait de la personnalité de Hitler m’a personnellement toujours intriguée. C’est Frédéric Pajak qui a attiré mon attention sur ce point. Il s’agit du caractère velléitaire et de l’extrême paresse de celui qui se prétendait leader du parti allemand des travailleurs.


Les historiens du nazisme l’attestent : l’image d’un Hitler, travailleur infatigable entièrement consacré au service de son pays, doté d’une volonté d’acier, est totalement erronée. Hitler était d’abord un effroyable paresseux.


Jeune homme, il était extrêmement apathique et nonchalant, incapable de concentration et d’effort soutenu, incapable même de séduire une jeune fille. Il gaspillait ses journées en mornes rêvasseries, errant infiniment dans les rues et les brasseries.



Il était de plus très médiocre. Il est inouï de penser qu’il était le contemporain de Klimt, Kokoschka, Malher, Musil, Freud etc.. et qu’il a réussi à passer totalement à côté de l’extraordinaire explosion intellectuelle de la Sécession puis de l’expressionisme alors qu’il avait la chance de vivre à Vienne et qu’il avait des ambitions artistiques. Il est vrai qu’il n’avait absolument talent.



Hitler a toujours entretenu une profonde aversion pour le travail et a toujours manqué du minimum de persévérance nécessaire pour faire des études, progresser intellectuellement ou conduire lui-même sa propre existence.




Lui qui réclamait un engagement sans faille de ses compatriotes, qui exaltait la volonté de puissance et le travail et en faisait un mot d’ordre, inscrit même à l’entrée des camps de concentration, n’a jamais exercé aucune activité professionnelle et a toujours préféré végéter dans l’oisiveté plutôt que d’être soumis aux contraintes d’un emploi.



C’est dans la vie militaire qu’il s’est senti le plus heureux, sans doute parce qu’il était intégralement pris en charge et était dégagé de toute préoccupation matérielle.

Après son accession au pouvoir, il répugnait à traiter le moindre dossier et en était d’ailleurs incapable. Il a ainsi laissé se développer une pagaille et un chaos administratifs considérables laissant aux initiatives individuelles le soin de régler les problèmes concrets. L’Allemagne nazie, contrairement à ce qu’on imagine généralement, était un effrayant foutoir où ne régnait que la terreur de l’arbitraire.


Hitler n’avait aucune discipline personnelle. Jusqu’à la fin de son existence, il a eu des horaires extravagants. Levé au plus tôt vers midi, il consacrait ensuite sa journée et la nuit à mettre au supplice ses interlocuteurs en les assommant de ses bavasseries et monologues ininterrompus. Il n’y avait de toute manière chez lui aucun souci d’apprendre. Dans toutes ses activités, il ne cherchait que la confirmation de ses certitudes.

Pourquoi je vous parle de ça ? Evidemment parce que j’ai très peur du populisme et que c’est aujourd’hui une tentation forte qui ne recouvre pas seulement l’extrême droite. Dans ce contexte, le cas de Hitler est exemplaire : il faut démythifier les sombres figures de l’histoire.


Il n’y a pas de génie du mal. Le Mal est un potentiel inscrit en chacun de nous; nous qui sommes si souvent dociles et médiocres, nous qui choisissons si souvent la banalité et l’indolence, nous qui nous laissons emporter par l’aigreur et le ressentiment

Ne pas l’oublier : « le sommeil de la raison engendre les monstres ».


Tableaux de Josef Fenneker et de Christian Schad (1894-1982).

Christian Schad est l’un de mes peintres allemands préférés

dimanche 8 janvier 2012

La rumeur du monde


Finie la période des Fêtes. On pouvait retrouver un peu d’intimité, se soustraire à la pression de l’actualité et de l’extérieur. Mais ça y est, on a tout de suite retrouvé la rumeur du monde; elle a repris, agressive, tonitruante, intrusive. Un déluge, à flots continus, d’informations hétéroclites, de toutes sortes et de tous lieux : la crise financière, les révolutions arabes, la Russie, le blocage du détroit d’Ormuz, le PSG….


On croit souvent qu’on construit son individualité tout seul et seulement juste un peu avec les autres. On est finalement convaincus qu’on a une authentique personnalité qu’on a façonnée soi-même, par son regard critique et sa perspicacité intellectuelle. De notre originalité, de notre idiosyncrasie, on ne doute pas un instant. Mais on oublie qu’on vit dans un monde construit par les autres et que ce sont les autres qui, en réalité, nous façonnent.


Face à l’information, on est submergés, hébétés, mais il nous est interdit d’être passifs. On n’a pas le droit d’être insensibles aux « grands événements ». Pire, il est obligatoire de compatir, de souffrir avec le reste du monde.


La société de l’information, en fait, c’est moins cool et ludique qu’on ne l’imagine. C’est surtout une société de l’injonction. On requiert notre adhésion, on est sommés de prendre part, de s’engager, d’avoir un avis, une opinion.


Et il faut reconnaître qu’on se plie très bien à cette contrainte comme si ça suffisait à évacuer notre mauvaise conscience.

Ce qui m’étonne, c’est que ça ne pose pas de problème à la plupart des gens de s’exprimer, d’avoir un avis. Ca me donne personnellement le vertige, qu’on puisse ainsi se prononcer, de manière définitive et instantanée, sur les sujets les plus techniques et les plus divers : le rachat par la BCE des dettes souveraines (on est pour), la T.V.A. sociale (on est contre), l’abaissement des taux directeurs (on est pour), l’énergie nucléaire (on est contre), la création d’un Etat palestinien (on est pour), la Russie, la Hongrie, l’Iran (on est contre)…


C’est bien sûr dérisoire mais c’est comme ça qu’on construit, pour l’essentiel, son identité sociale. C’est sans doute réconfortant. On a l’impression, d’être des citoyens du monde éclairés, engagés, responsables.

On participe simplement en fait au grand bruissement médiatique, à la grande logique d’aplatissement de la pensée, à son indifférence absolue. Pour que plus rien de nouveau, de subversif ne surgisse.


Le totalitarisme, ça consistait autrefois à réserver la parole à quelques uns, quelques personnes autorisées qui servaient de relais au pouvoir politique. Aujourd’hui, le totalitarisme, ça consiste à solliciter l’expression de tous, à susciter la multiplication infinie des avis. Avec la prolifération des opinions, plus rien n’a d’importance, tout devient équivalent, tout s’effondre dans l’insignifiance. C’est la meilleure garantie que rien ne changera jamais.

C’est pour ça qu’on veut nous faire vivre dans l’émotion, l’immédiateté, le zapping. Pour que l’on soit de bons citoyens, bien sûr au courant de tout mais totalement inoffensifs.


Alors, comment peut-on échapper à cette grande banalisation de la pensée ?

Moi aussi, autrefois, j’avais tendance à être péremptoire et à avoir des avis sur tout. Ce n’est pas trop difficile si on a une grille de lecture un peu simple, marxisto-freudienne par exemple. Là, on trie facilement les bons et les mauvais.


Aujourd’hui, j’ai de moins en moins d’avis, d’opinions. Je suis sans doute très peu brillante en société, tout simplement parce que je ne sais pas, je ne sais plus rien. Je ne suis plus capable de prendre parti. Je refuse de participer au jeu des certitudes.




Il faut peut-être parvenir à échapper à l’émotion, à l’événement, aux sommations du pour et du contre. Essayer de déceler, dans la multiplicité du vécu, ce qui trouve une cohérence générale et fait sens pour moi.




Images de Jun Kumaori, jeune artiste japonais

Ce post m’a été inspiré par Nancy Huston