dimanche 25 mai 2014

Méchant


Parmi les textes emblématiques de Dostoïevsky, il y a, pour moi, deux petits livres, curieusement peu connus : "L'éternel mari" et " Les carnets du sous-sol".


Ce dernier texte démarre comme ça :

"Je suis un homme malade...Je suis un homme méchant.Je suis un homme déplaisant".

Affirmer la méchanceté essentielle de l'homme, c'est devenu complètement incongru aujourd'hui, à une époque où l'on assiste au triomphe complet de l'Empire du Bien. On est tous vertueux, intègres, écolo-responsables, transparents, pleins de compassion.


Le Mal, ça ne nous concerne pas, ça nous est extérieur.

C'est pour ça, par exemple, que rencontre tant de succès cette figure du pervers narcissique; ou bien de tous ces harceleurs, manipulateurs, violeurs qui nous entoureraient. Ca nous fiche un peu la trouille mais, du moins, ça nous rassure, ça nous permet d'être convaincus de notre propre innocence. Dans un monde de brutes, on ne saurait être que de potentielles victimes.


C'est pour ça aussi qu'on peut ridiculiser, à bon compte, le christianisme et son idée idiote du péché originel qui nous renvoie à notre saloperie essentielle.

Ou bien toutes ces bêtises freudiennes sur la mort, l'interdit, le désir. Heureusement, à rebours de tous ces trucs un peu glauques, un "philosophe solaire du bocage normand" a une vision plus saine, moins tordue, en évoquant la jouissance débarrassée du fardeau de la culpabilité.


L'humanité serait donc, enfin, heureuse,  goûtant un peu de joie et de plaisir dans un monde fraternel. C'est très bien mais, personnellement, je n'y adhère pas du tout.

Moi, je l'avoue avec honte ! Je ne suis pas quelqu'un de bien. La part d'ombre en moi, c'est effrayant ! Je suis méchante.


La nuit, je rêve de crimes, d'incestes. Je couche avec mille types et filles. Je me fais humilier et j'y prends plaisir.


Le jour, je suis affreuse! Je ne supporte pas qu'une fille puisse prétendre être plus belle que moi. J'ai tout de suite envie de la flinguer. Je suis aussi effroyablement orgueilleuse : pas question que quelqu'un puisse me surpasser. Je veux être la seule, l'unique.

Avec les types, c'est épouvantable. Je leur fais sentir, tout de suite, mon pouvoir, ma puissance. 

Je suis très polie, policée mais en réalité, je mens tout le temps.

Je suis quelqu'un de vraiment bizarre : il m'est même arrivé de tomber malade et d'en retirer une sombre satisfaction. 


Finalement, ce qui signe notre humanité, ce n'est pas l'amour du bien et la recherche du plaisir. C'est notre fascination pour le mal et cette étrange aspiration qui nous emporte au-delà de nous-mêmes jusqu'à nous rapprocher de la mort. C'est ce que l'on appelle le désir.



Images du grand affichiste polonais Franciszek STAROWIEJSKY (1930-2009).

Je renvoie par ailleurs au récent et remarquable livre : "La méchanceté ordinaire" de Francis Ancibure et Marivi Galan-Ancibure


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