samedi 28 décembre 2019

Bienvenue dans une nouvelle décennie















Le passage à une nouvelle décennie suscite toujours une pointe d'émotion et de nostalgie. Comme s'il s'agissait d'un jour plus important que les autres. Comme si notre décompte du temps et des années était absolument "naturel". Pourtant, il ne s'agit que du choix, arbitraire,  d'une numération décimale, c'est à dire en base dix (à partir, probablement, du nombre de nos doigts).




















La numération décimale, elle nous apparaît aujourd'hui tellement évidente qu'elle semble absolument conforme à l'ordre du monde. Pourtant, il y a eu d'autres civilisations qui pratiquaient d'autres systèmes. Par exemple :

- une base sexagésimale (60) pour les anciennes civilisations de Mésopotamie. La Mésopotamie, ça ne nous dit généralement à peu près rien mais il est fascinant de constater qu'on continue largement de compter un peu à leur manière. Cette base 60 concerne en effet encore l'actuelle mesure du temps (en heures, minutes, secondes et même la semaine de 7 jours) ou les offres commerciales par douzaines. Ça a même concerné le système monétaire lui-même jusqu'à une époque très récente (Grande-Bretagne 1971). On se transforme ainsi un peu en Babyloniens quand on commande une douzaine d'huîtres ou 6 œufs, qu'on demande simplement l'heure, ou qu'on part en week-end un samedi. On est vraiment moins modernes qu'on ne le pense.



- une base 20 qui serait en quelque sorte une numération préhistorique. On la retrouve ensuite dans les civilisations maya et aztèque ainsi que les langues basque et celte. De cette base 20, il reste d'ailleurs une trace en français avec les fameux "quatre-vingts" et "quatre-vingt dix" qui déroutent tant les Belges et les Suisses (pourquoi d'ailleurs leur allergie à la base 20, peut-être ont-ils l'impression qu'on leur demande de compter non seulement avec leurs mains mais aussi avec leurs pieds ?). Il existe aussi, à Paris, le célèbre Hôpital des "Quinze-vingts" (soit 300 lits).


Surtout, la généralisation de la numération décimale est assez récente et elle doit beaucoup à la Révolution Française. C'est bien connu, le premier souci des Révolutionnaires a été d'unifier les poids et les mesures avec le mètre et le kilogramme établis sur une base décimale. On a en revanche oublié qu'avec l'introduction du Franc, on a aussi décimalisé la monnaie (les anciens Louis étaient basés sur la douzaine, survivance mésopotamienne, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne jusqu'en 1971 où 20 shillings représentaient 12 pence).


Cela semblait plus conforme à la "Raison". Cependant, les Révolutionnaires n'ont pu aller jusqu'au bout de la logique décimale et ils ont échoué à rationaliser complétement la mesure du temps : une semaine de 7 jours, ça n'a pourtant pas de sens (encore une survivance babylonienne liée au nombre de planètes recensées à cette époque); pas plus qu'une journée découpée en 24 heures de soixante minutes (base sexagésimale); ou des mois tantôt de 30 jours, tantôt de 31 voire 28.


C'est aujourd'hui complétement oublié mais on a utilisé, de 1792 à 1806, un calendrier révolutionnaire avec des semaines de 10 jours et 12 mois de 30 jours, complétés de 5 ou 6 jours en fin d'année. On a même introduit (mais seulement de 1792 à 1795) une heure révolutionnaire où la journée était découpée en 10 heures (quand il est aujourd'hui midi, il n'était, alors, que 5 heures) divisées en 10 parties elles-mêmes décomposables en 10.


Je trouve ça assez extraordinaire et presque merveilleux. Quel homme politique aurait aujourd'hui l'audace de proposer une semaine de 10 jours (soit 3 week-ends par mois) au nom de la Raison ? Il est vrai que ça pourrait aussi être adopté pour assurer le redressement économique de la France. Combiné en effet à la suppression des fêtes religieuses et à l'adoption de l'heure républicaine, le système pourrait se révéler diablement efficace: les 35 heures hebdomadaires deviendraient 84 heures assyriennes (à effectuer sur 10 jours toutefois). "Français, encore un effort pour être Républicains" proclamait le divin Marquis.


Quel choc de compétitivité. Je vais soumettre ça à Mélenchon et la "France Insoumise" dont les militants sont tous férus de Révolution Française. Et puis, avec l'heure républicaine, on aurait l'impression que le temps passe plus lentement. Une heure républicaine passée avec son amant, c'est tout de même mieux qu'une heure assyrienne. C'est un plaisir multiplié par 2,4.


Tout ça pour dire qu'un changement de décennie, ça n'est finalement pas si important que ça. Ce n'est qu'une découpe, logique mais arbitraire, du temps.

Bonne année à vous. Essayez simplement de  changer votre regard sur le monde, cessez de le considérer de manière négative. Le transformer, ce n'est de toute manière pas vous qui y parviendrez. Essayez d'abord de percevoir sa beauté.

En attendant, le blog de Carmilla vient de rentrer dans sa treizième année. C'est un peu effrayant. C'est un âge crucial, celui d'une bascule de la féminité, de l'enfant à la femme. Alors, que dois-je faire maintenant ?

Images de E.L. Kirchner (1880-1938), Will Barnet (1911-2012),  Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), Julius Olsonn (1864-1942), Arthur Rackham (1867-1939), (John Duncan (1866-1945), Gaston Hoffmann (1883-1977).

J'ai sélectionné quelques images de sirènes en rapport, bien sûr, avec mon goût pour la natation. J'aime bien, en particulier, les 2 premières et la dernière. La différence, c'est que je nage toujours avec un bonnet de bain et des lunettes.

10 commentaires:

Nuages a dit…

Ah ah, un blog de 13 ans ! Faudra-t-il arborer un voile, à présent, comme pour toute fille pubère en Islam ?

Les dizaines, les chiffres ronds, je trouve ça surtout effrayant pour l'âge qu'on a. J'ai toujours trouvé le passage à la dizaine supérieure était une sorte de traumatisme (du genre : "la semaine prochaine, je serai un vieux schnock"). Pour suivre Jeff, je suis sans doute moi aussi aux 3/4 de ma vie (les 2/3 si je vis vraiment vieux), et ça me donne le vertige, c'est même une obsession.

Une petite remarque : en Belgique francophone, si on dit bien "septante" et "nonante" (comme les Suisses romands), en revanche on dit "quatre-vingt" comme en France. Les Suisses romands, pour une large part, disent "huitante" (et non "octante", une Suisse me l'a récemment confirmé).

"Septante", "huitante" et "nonante", c'est finalement très logique, et dans les autres langues latines ("settanta", "ottanta", "novanta" en italien par exemple) on n'a pas ces bizarreries de "soixante-dix", "quatre-vingt" et "quatre-vingt-dix".

Richard a dit…

Temps neutre
Que dois-je faire maintenant ?
J'aime lorsque les humains posent de grandes questions existentielle qui ne trouveront sans doute jamais de réponse, mais qui nous force à avancer, à nous renouveler, à refaire le monde. Ce temps entre le solstice d'hiver, et le premier jour de l'année suivante, je le considère comme un temps neutre. Le temps de fouiller dans mes mots, de consulter quelques pages de mon journal ou bien de quelques autres récits. L'important ce n'est pas la fête, c'est l'esprit de la fête. Allez, on arrête tout autour d'une table bien garnie, ou encore au sommet d'une colline où le regard ne rencontre aucun obstacle, pour constater que nous sommes encore vivants, pour sortir en esprit des conventions et des règles avec l'impression, pour une fois d'arrêter le temps. Une époque pour ne rien faire pour savourer une espèce de liberté que nous perdons de vu trop souvent. Pourquoi nous plaignons-nous ? L'incertitude c'est la vie, la certitude c'est la mort. De quoi aurions-nous à craindre ? Vivons, tout simplement, que chaque jour est une fête, parce que tout simplement nous sommes vivants avec tous nos morceaux. Pour le reste, cela arrivera bien assez rapidement. Nous avons besoin de ce temps neutre, ce temps de rien et de tout, qui habituellement nous glisse entre les doigts, mais là, que nous ne retenons plus, qui plus est, avec un sourire. Flotte dans l'air une certaine saveur de la victoire. Nous avons travaillé. Nous avons fait. Nous avons traversé. Voilà le triomphe. Pourquoi penser, en cette période de félicité, le futur ? Pourquoi s'en faire ? Redressez la tête et soyez fier. Cela soigne l'intérieur de l'être, que dire de l'animal. Arrêtez-vous pour regarder les nuages passer, l'eau couler dans la rivière, grimpez cette montagne devant vous, arpentez les champs, admirez les vieilles clôtures en ruine, tout cela dans l'impératif maîtrisé. Les escales font parties du voyage, elles sont aussi importantes que les déplacements. Pourquoi faudrait-il être toujours en mouvement ? Certaines tribus indiennes en Amérique du Nord avait ont expression : le potlatch, ce qui signifie en gros, arrêt, et surtout remise des dettes, de toutes les dettes afin de calmer l'esprit. Le temps de fumer une bonne pipe de tabac devant un feu de bois, de ne rien attendre, de raconter une histoire ou une légende. De se rappeler le grand lièvre : Filou, qui a créé la terre. Je pense que cela vaut toute les psychiatries modernes. Je vous invite à lire : L'Oeuvre du grand Lièvre Filou, recueille de chroniques par L’anthropologue Serge Bouchard, réflexions d'hier qui touchent le présent. Il s'y trouve de quoi apaiser son esprit.

Bonne année à tous et surtout à vous Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Vous faites bien de corriger mon erreur concernant les Belges. J'étais persuadée qu'ils disaient "octante".

Mais c'est vrai qu'il serait plus logique de dire septante, huitante et nonante. D'autant plus que les termes actuels sont très déroutants pour un étranger qui débute en français. Quand vous entendez quatre-vingt-quatre, vous vous demandez vraiment de quel chiffre on parle.

Mais il semble bien qu'il s'agisse d'une survivance archaïque. Les premières populations humaines, pas seulement européennes, comptaient par paquets de 20 (système vigésimal) et non par paquets de 10 (actuel système décimal). Pourquoi ? Je n'ai rien lu de concluant là-dessus, simplement la référence à l'ensemble des doigts des mains et des pieds. Mais si on en était restés à la base 20, ça n'aurait rien changé pour 2020: on passerait à une nouvelle vingtaine. Ce serait peut-être encore plus déprimant.

Quant à savoir si on est vieux ou jeune, ça n'est vrai ou faux que par rapport à la date de notre mort mais cela, justement, on ne le sait pas.

Quant au port du voile dans l'Islam, c'est effectivement plutôt à compter de la puberté mais dans beaucoup de pays (Iran notamment), c'est à partir de 6 ans.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je prends bonne note du grand lièvre Filou.

Bien sûr qu'on a trop tendance à ruminer son malheur en oubliant la beauté de l'instant, de l'ici et maintenant. Il n'y a tout simplement pas de valeur supérieure à la vie.

La fête, le potlatch, c'est bien sûr le moyen de sortir de sa coquille, de s'arracher à la triste logique des échanges mercantiles.

Bonne année à vous Richard ainsi qu'à tous les Québecois et Canadiens qui font l'effort de me lire.

Carmilla

Nuages a dit…

"Bien sûr qu'on a trop tendance à ruminer son malheur en oubliant la beauté de l'instant, de l'ici et maintenant. Il n'y a tout simplement pas de valeur supérieure à la vie."

J'en suis bien conscient mais je n'arrive pas vraiment à mettre en pratique cette belle phrase.

Carmilla Le Golem a dit…

Vous n'avez sans doute pas tort, Nuages.

Les grandes déclarations, ce n'est souvent que de la fanfaronnade.

La réalité vraie, c'est plutôt la déréliction et l'angoisse de parvenir à sauver sa peau. Pour survivre, on est d'ailleurs prêts à tout et peut-être même à trahir son prochain, à l'envoyer à la potence à sa place.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla.

J'ajoute au lièvre Filou la dernière parution de Serge Bouchard dont le titre est :

L'allume-cigarette de la Chrysler noire.
(Publié chez Boréal)

Voilà un autre recueille de récits dont je viens de terminer la lecture et qui m'a enchanté. Je vous le recommande chaudement.

Lire Serge Bouchard dans le temps neutre c'est stimulant.

Cela vous donnera une autre vision de l'Amérique.

Serge Bouchard est une grand voyageur au propre comme au figuré, sur les routes comme dans l'histoire.

Bonne lecture

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

C'est bien noté, Richard,

Mais j'avoue mal connaître les écrivains et penseurs du Québec et c'est sans doute dommage.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !
Qui peut situer le Québec sur une carte géographique ? Qui sait où cela se trouve en Amérique ? Un jour on a demandé à de habitants de l'Alabama s'ils connaissaient le Québec ? Personne ne savait rien du Québec. Allez donc demander à un Russe ou à un Polonais où même à un français, s'ils connaissent le Québec ? Personne ne sait que nous avons arpenté l'Amérique pendant quatre siècles. Nous ne sommes pas nombreux, mais nous sommes grands. Il fallait être grand et fort pour marcher l'Amérique et si vous commencez à lire Serge Bouchard ce qui sera une bonne entrée en la matière, vous serez peut-être aussi émerveillée que je le suis devant les Polonais, les Ukrainiens, et les Russes. Vous pourriez lire : Ils ont couru l'Amérique par Serge Bouchard. Soignez votre genoux parce que vous allez marcher longtemps. Tout le monde a entendu parler des Norvégiens, des Suédois et des Finlandais, pourtant dans nos nordicités nous nous ressemblons. Nous sommes durs à l'ouvrage, inventifs, imaginatifs, frondeurs, baveux, insolents, et parfois discrets. Quoi que la discrétion ne s'applique pas à moi. Ce qui a donné ce peuple original habitant le nord-est de l'Amérique du Nord, là où nos ancêtres français sont arrivés. Ce fut une longue succession d'époques, où notre destin tenait plus dans la survie et de l'autarcie que dans la facilité. Ce qui a donné des auteurs comme Serge Bouchard, Réjean Ducharme, Victor-Lévi Beaulieu, Michèle Tremblay, Germaine Gèvremont, Gabriel Roy, Hélène Dorion, Yves Thériault, Gilles Vigenault, Félix Leclerc, et bien d'autres. Vous, assoiffée de culture de tous des horizons, vous êtes sur le seuil de grandes découvertes. Allez, laissez-vous tenter. Le Québec c'est un autre univers habité par des habitants très particuliers que le monde a tendance à oublier. Je vous conseille de débuter par Serge Bouchard, parce que non seulement un grand anthropologue, mais que c'est aussi un grand historien, et surtout un merveilleux conteur. Comme le disait Gilles Vigneault : Les gens de mon pays, sont gens de paroles. Avant de savoir écrire, les gens racontaient tout comme les nombreuses nations amérindiennes. Nous avons encore un vieux fond d'oralité, mais on s'est forgé une pensée, puis une écriture. J'ai eu la chance de réaliser un rêve de jeunesse, parce que j'étais fonceur, de parcourir pratiquement tout ce vaste Québec, de l'Abitibi jusqu'au Labrador, de Montréal jusqu'à la Baie d'Ungava, de manger avec des géologues, de partager la misère des foreurs, de fumer avec des indiens sous la tente en attendant que les conditions météorologiques s'améliorent pour m'envoler. Je suis chez moi partout. J'appartiens à ce sol, à cette terre, à ces pierres, à son eau, à son ciel. Lorsque que j'ouvre un livre d'un auteur québécois, je me reconnais, c'est moi devant mon miroir. Et, comme l'a dit René Lévesque un jour : « Nous ne sommes pas un petit peuple ; mais quelque chose comme un grand peuple. »
Il y a de quoi être fier, nous avons résisté.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Mais je crois que vous exagérez un peu.

Tous les Français, je crois, ainsi que tous les francophones, connaissent le Québec et savent le situer. C'est quand même pour eux très évocateur et ça fait partie des destinations touristiques qu'ils privilégient. Les chanteurs québecois, même si ce n'est pas ma spécialité, sont très connus : Charlebois, Garou, Diane Dufresne, Leclerc, Vigneault, Coeur de Pirate, Céline Dion etc...

Les cinéastes Xavier Dolan et Denys Arkan sont très appréciés. L'actrice Carole Laure était très célèbre.

Evidemment, je ne saurais vous garantir que le Québec soit aussi connu en dehors des pays francophones. Mais je ne crois pas quand même que ce soit l'ignorance dont vous faites état.

Bien à vous,

Carmilla