samedi 14 décembre 2019

"Assommons les pauvres" - De la compassion


Je dois bien l'avouer : la compassion n'est sans doute pas ma qualité première. Je suis plutôt distante, réservée, sans doute égoïste.

C'est d'abord parce que je déteste l'esprit victimaire; et puis je crois à la capacité que l'on porte en soi d'infléchir son destin. Plutôt que de mettre son malheur sur le compte des autres, de Dieu, du Capitalisme, des méchants, des pervers, n'est-il pas plus réaliste de considérer que notre infortune est aussi le fruit de nos fautes et de nos erreurs ? Assumer la responsabilité de ses revers de fortune, c'est aussi se donner les moyens de les corriger.


Me revient ainsi en mémoire le texte scandaleux de Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris (des poèmes en prose, pendants des "Fleurs du Mal") : "Assommons les pauvres". Le narrateur, désabusé et "revenu des promesses" d'une période optimiste, se met tout à coup à rouer de coups un vieux mendiant au lieu de lui faire l'aumône. Surprise ! "L'antique carcasse" se rebelle et rend alors les coups avec une telle énergie que l'agresseur partage alors volontiers sa bourse. Morale baudelairienne de l'histoire : "Celui-là seul est l'égal d'un autre qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté qui sait la conquérir". Assommer donc les pauvres non pas pour s'en débarrasser mais pour leur rendre leur dignité et les sauver.


Évidemment, à une époque de Pikettysation générale des esprits et d'élucubrations sur la solidarité, ce poème en prose apparaît intolérable. Pourtant Baudelaire se montre en l'occurrence un théoricien précurseur : on a démontré depuis que l'assistance et la charité, ça ne faisait pas une bonne économie et ne réduisait nullement la pauvreté. C'est ce qu'on appelle le mécanisme de "l'aide fatale", appliqué par exemple avec obstination dans les pays en voie de développement (Afrique, Afghanistan, etc...), qui engendre une économie de "rente" avec destruction des productions locales, importation massive de biens de consommation et corruption généralisée.


Le développement économique et les bons sentiments, ça ne va pas toujours de pair. La générosité, ça favorise même souvent les comportements prédateurs et ça entretient, en toute bonne conscience, les "fromages" et les "planques dorées". Pourtant, innombrables sont aujourd'hui les "belles âmes" qui, par médias interposés, nous incitent ou plutôt nous font l'injonction de nous montrer généreux et attentifs aux pauvres, de faire des dons à des associations, d'avoir un engagement humanitaire.


On vit à l'heure de la charité, de la compassion, organisées, spectacularisées. Il faut faire étalage de sa fibre sociale, de son implication dans de "nobles causes". On affiche en exemples plein de gens formidables, des artistes, des sportifs, des hommes d'affaires, qui se proclament tous entièrement désintéressés, prêts à se sacrifier pour les autres et le bien commun.On s'interdit bien sûr d'évaluer le fonctionnement et l'efficacité des merveilleuses associations qu'ils parrainent (le mot "parrain" est d'ailleurs adéquat), elles sont, par nature, insoupçonnables.


Ça me donne souvent le vertige. On en viendrait presque à penser que jamais, dans l'histoire de l'humanité, on a autant fait preuve d'altruisme et de compassion.

Pourtant, on sait bien aussi que c'est exactement le contraire et que la société occidentale est plutôt celle des égoïsmes et du narcissisme généralisés.


Personnellement, au rang des personnes que je fuis en premier lieu, il y a toutes celles qui affichent leur altruisme, qui se prétendent généreuses. Leur manque de discrétion et d'humilité m'apparaît tout de suite suspect. Cette pitié programmée, institutionnalisée, n'est qu'un décor et, comme tout décor, elle a un envers.

Ce serait vraiment simple si l'humanité pouvait se séparer entre les bons et les méchants. Mais on se rend vite compte qu'on a du mal à faire le tri entre les bons proclamés et les mauvais désignés.  Le monstre intégral, ça n'existe pas plus que le saint, on est tous cauteleux et pas nets. Il y a plutôt une énorme ambiguïté de la psychologie humaine.


On le sait bien: ceux qui affichent leur altruisme sont souvent aussi des manipulateurs, voire des escrocs ou des menteurs. Comprendre autrui, ça permet, en effet, de le séduire, de le déstabiliser, de le torturer psychologiquement.

Et puis notre altruisme, il ne s'adresse qu'à un cercle très limité, celui de notre proche entourage, de tous ceux qui nous ressemblent ou sont un peu comme nous. On affiche son amour du peuple et des pauvres en France mais on se fiche bien des pauvres ailleurs, des étrangers, des migrants, des SDF, et on ne voudrait, à aucun prix, d'un partage des richesses à l'échelle mondiale. Les racistes sont souvent empathiques, ne craint pas d'affirmer Paul Bloom, chercheur américain en psychologie. Ça met aussi en évidence les dangers d'une "politique émotionnelle" qui génère de nouvelles inégalités et discriminations. La compassion, à l'échelle d'une planète toute entière, ce serait le chaos et la discorde généralisés. Un seul rempart : le Droit qui, heureusement, n'a que faire des passions et émotions.


Mais, allez vous me dire, l'amour désintéressé, ça n'existe pas du tout pour toi !

Peut-être que si quand même. La formule la plus absolue de l'amour, c'est, pour moi, le commandement chrétien d'aimer son prochain comme soi-même. Mais on sait bien que ça touche à l'impossible même.


Plus prosaïquement, je me référerai à mon expérience personnelle. On rencontre ainsi parfois dans sa vie sentimentale des gens qui sont foncièrement gentils. Le malheur, c'est que les gentils, ils ne nous séduisent pas trop, on les trouve trop banals, trop ennuyeux, on leur préfère les méchants qui nous en font voir de toutes les couleurs.

Mais on ne se rend pas compte que les gentils sont souvent capables d'aller décrocher la lune pour nous. A cet égard, ils ne sont pas si banals que ça. Ça m'interroge parce que moi, qui suis égoïste comme les autres, je n'irais décrocher la lune pour personne. Il y a donc bien des gens qui ont des capacités plus étendues que les miennes.

Outre 2 tableaux de René Magritte, images d'une jeune photographe (1991) croato-néerlandaise, Sanja MARUSIC. Elle a notamment réalisé une exposition remarquée: "Friends or Enemies".

Dans le prolongement de ce post, je recommande :

-"Against Empathy" de Paul Bloom
- "L'aide fatale" de Dambisa Moyo qui démontre que l'assistance financière a été pour une grande partie du monde, notamment l'Afrique, un désastre économique.

Au cinéma, j'ai beaucoup aimé :

- "Seules les bêtes" de Dominik MOLL. Un rélisateur français trop rare. Il faut revoir: "Harry, un ami qui vous veut du bien".

- "Lillian" de l'autrichien Andreas Horvath avec Patrycja Planik. Un film  hypnotique. Je me suis totalement identifiée à l'héroïne qui parcourt seule, à pied, le Nord des États-Unis jusqu'au détroit de Bering. Magnifique ! A voir dans une salle pourvue d'un bel écran.

24 commentaires:

Richard a dit…

De la compassion et moins encore...

Bonjour madame Carmilla,

Je comprends que la semaine a été difficile avec toutes ces manifestations et et ces grèves dans les transports. Encore une fois, ça brasse dans en France, c'est devenue vocation.
J'étais en train de lire les pages 618 à 637 du Capital et Idéologie, pendant que vous étiez en train d'écrire votre texte, qui fait le constat des inégalités aux États-Unis. Je trouve que ces pages cadrent parfaitement avec vos propos. C'est lorsque les États-Unis ont imposé des des taux d'imposition à 80 % qu'ils ont connu le plus haut taux de croissance.

« L’égalité éducative, aux origines de la croissance moderne
Précisions enfin que cette stagnation de l'investissement éducatif dans les pays riches depuis les années 1980-1990 peut contribuer à expliquer non seulement la montées des inégalités, mais également le tassement de la croissance. Aux États-Unis, le taux de croissance du revenu national par habitant était de 2.2 % par en en moyenne au cours de la période 1950-1990 avant de s'abaisser à 1.1 % par an en 1990-2020. Dans le même temps, les inégalités augmentaient, et le taux supérieur de l'impôt sur le revenu passait de 72 % en moyenne en 1950-1990 à 35 % en 1990-2020. »
Thomas Piketty
Capital et idéologie
Page -633-

Résultat, les américains ont cessé d'investir dans l'éducation, eux qui étaient les premiers aux XIX siècle et début XX. en éducation. Si tu investies moins en éducation, cela a des conséquences futures sur les taux de croissances.

Piketty ne fait pas dans la compassion, tous les graphiques qu'on retrouve dans ces pages sont véridiques. À ce que je sache, il n'a pas été contesté ou démenti dans aucun médias ou par aucune sommité.

D'autre part, je puis comprendre votre peur, vous qui avez vécu dans des pays très inégalitaires, où rien ne fonctionnait. Qui plus est, avec le climat qui prévaut en France présentement, vous avez des raisons de coller au plafond.

SVP, pourriez-vous lire les pages 471 à 485, où il est question de l'Iran, si ces propos sont véridiques, vu que vous avez vécu et voyagé en Iran.

Malgré tout, bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

Vous touchez là un sujet difficile.

Je ne sais trop que dire de l’assommoir des pauvres de Baudelaire que je n’apprécie pas trop, comme la plupart des mélancoliques défoncés.

La question qui vient est évidemment de savoir ce qu’est un pauvre. S’il s’agit de la pauvreté économique, je partage votre point de vue. Les systèmes de redistribution ne sont pas efficaces parce qu’ils placent systématiquement l’individu dans une posture d’immaturité face à sa propre existence. Ils peuvent même rendre indignes, roublards et surtout frustrés. J’ai pu le constater au Viet Nam où je peux dire, quitte à choquer, que la pauvreté n’y existe pas.

Sur un autre plan, certaines personnes riches, ou très riches, ont une vie misérable, exclusivement tournée vers l’avoir et les discours de bienfaisance, pour ne pas dire de condescendance. Ils ne sont pas généreux.

Or, pour moi, la générosité offre une énergie extraordinaire. Elle est par ailleurs extrêmement efficace dans sa capacité à appeler à soi de belles personnes (et je dis bien pour soi). Bien sûr, elle attire également des fâcheux qui vont venir sucer la moelle de ce qu’il leur manque, mais ce n’est pas l’essentiel. Pour ne pas se perdre, la générosité n’est donc le plus souvent pas affichée. Elle est ici dans la démarche d’un instit qui a chevillé au cœur l’esprit du Service Public, là dans les maillots qu’un coach sportif bénévole lave chaque semaine pour ses gamins. Bref, on la trouve dans de multiples endroits encore et c’est réjouissant je trouve, très loin des appels à la solidarité, à la moraline de l’altruisme bienveillant ou des circuits postmodernes de l’aumône.

Bien à vous

Alban

Richard a dit…

Madame : Elle
Bonsoir madame Carmilla.
Madame Elle habitait une très vieille maison, aux murs noirs en clin de bois, parce qu'ils n'avaient jamais été peinturé. Ce taudis, parce que s'en était un, m'a rappelé ces maisons en bois sombres qui n'ont jamais connu la peinture et encore moins l'entretient en Europe de l'Est.
C'était fin septembre, début octobre, l'école venait de recommencer, le soir tombait. J'étais à l'étable avec mes parents à l'heure de la traite des vaches. Nous étions en train de terminer les besognes. Mon père était en train de vider un seau de lait dans un bidon, lorsqu'il m'a ordonné : Vas au grenier de la shed à bois, prends une boîte de carton, vas dans le verger, et remplis la boîte que tu iras porter chez Madame Elle.
Après avoir cueilli mes pommes pour remplir ma boîte sous mon pommier favori qui produisait des fruits dont je n'ai jamais retrouvé la saveur ailleurs. J'ai traversé les clôtures de barbelé me dirigeant vers la maison noire.
Je suis entré par en arrière en passant par la shed à bois qui était vide. Habituellement, à cette époque de la saison, les sheds à bois du rang débordaient de bois de chauffage, mais là, rien, même pas quelques vieux bouts de piquets pourris. On ne trompe pas un garçon de 12 ans élevé à la campagne, je savais très bien quand il faut récolter et surtout quand entrer le bois.
J'ai déposé ma boîte par terre dans l’écorce humide et j'ai frappé à la porte. J'ai senti que ça bougeait de l'autre côté. Soudain, elle s'est ouverte. Une petite femme de 17 ans ou peut-être 18, se tenait debout devant moi, avec deux marmots à ses basques. Le plus vieux n'avait pas plus de de deux ans, l'autre plus jeune se traînait à quatre pattes, complètement nu. J'ai salué. Lui ai expliqué le but de ma visite, elle qui n'en recevait pas souvent. Elle m'a fait entré. J'ai reconnu le vieux poêle dans la minuscule cuisine. Nous sommes passés au salon qui servait de pièce de séjour, et elle m'a dit de déposer ma boîte sur une vieille table en bois nu. Autour, deux chaises aussi vieilles et branlantes que la table. Le reste de la pièce était vide. Rien, complètement nu. Il n'y avait pas de porte entre cette pièce et la chambre, où trônait par terre un matelas miteux. Un poêle à bois, une table, deux chaises et un matelas, c'était tout ce qu'elle possédait. Ses vêtements usés n'étaient pas à la dernière mode. Elle m'a remercié chaleureusement avec un grand sourire. Je n'avais pas envie de la battre avant de lui donner la boîte de pommes, son voyou de mari le faisait très bien lorsqu'il rentrait SAOUL ! (Lorsqu'il rentrait)

Ce fut une rude prise de conscience de la pauvreté et de la vulnérabilité. Dans mon esprit la solidarité a encore sa place.
Entre votre texte et celui de Piketty, ce souvenir m'est revenu. Je ne l'ai jamais oublié. Dans une société d'abondance comme la nôtre, ces choses-là n'ont pas leur place. Ne détournons pas notre regard...

Bonne nuit Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Madame : Elle -2-
Madame Elle allait s'en sorti après maintes tribulations. Elle a passé son hiver dans son château de clins. Elle allait en franchir bien d'autres dans des circonstance encore plus dures. Elle s'est retrouvée avec une trâlé d'enfants. Les contraceptifs n'existaient pas à cette époque.
J'ai choisi le pronom Elle, parce qu'elle a des descendants dans le village je me devais de respecter un certain anonymat. Elle a finit par se débarrasser de son voyou. Elle a quitté ce taudis, pour se retrouver dans des appartements miteux au village. Elle a fait bien des petits boulots. Elle a élevé ses enfants seule. Au quotidien, cela s'appelle du courage. Mais les hasards de la vie font que des fois, le vent tourne, imaginez, elle a gagné à la loto. Pas un gros montant, mais suffisamment pour se bâtir une modeste maison à l'entrée du village sur un cap de roche parce que personne ne voulait de ce terrain.
La misère, la pauvreté, le manque, m'ont toujours révolté. Lorsque je donne, je donne, je n'attends rien en retour, le don ce n'est pas un investissement.
Cette semaine lorsque, je suis allé voir le film : Sympathie pour le diable qui relate l'histoire du journaliste Paul Marchand à Sarajevo encerclé en 1992, j'ai senti la même révolte, surtout lorsqu'il prenait à bord de sa vieille voiture des blessés pour les amener à l'hôpital. Partout, il décriait l'incurie de l'ONU. Il faut le voir engueuler le commandant français. Pour cet électron libre, nulle gloire, il le faisait pour aider, secourir, réconforter.
Même chose pour Roméo Dallaire (canadien), qui était commandant au Rwanda lors des massacres. Faut lire : (J'ai serré la main du diable). Il a réclamé des renforts en vain de l'ONU. On l'a abandonné sur le terrain impuissant. Cela l'a brisé.
Lorsque je vous dit de ne pas avoir une confiance aveugle en ces instances internationales, je sais de quoi je parle. On peut se bidonner dans le confort de nos demeures douillettes, mais, ce qui est arrivé aux habitants de Sarajevo comme à ceux du Rwanda, pourrait nous arriver un jour. Ceci est dans l'ordre du possible, personne n'est à l'abri.
Ceci explique les raisons pour lesquelles je lis Piketty présentement et que j'ai l'habitude de me farcir plusieurs essais par année de géopolitique. Si on ne comprend pas ce qui nous arrive, si on n'arrive pas à concevoir un monde meilleur, alors nous mériterons ce qui nous arrivera. Comme Paul Marchand, nous n'avons pas le droit de baisser les bras.

Richard St-Laurent

N.B. Trâlé : expression québécoise qui signifie : beaucoup

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La France est un pays parfois surréaliste. En ce moment, c'est un pays qui n'apparaît pas très dynamique où les jeunes ont une mentalité de vieux, préoccupés avant tout par leur retraite comme accomplissement de leur vie. Mais avant d'atteindre cet état de félicité, il faut peut-être d'abord chercher à vivre le temps présent. Il faut aussi préciser que les grévistes sont des fonctionnaires (enseignants et personnels ferroviaires) mais pas des gens du privé.

Sinon, bien sûr que Piketty manipule les données quand il évoque un taux d'imposition sur les revenus allant jusqu'à 80 % aux Etats-Unis jusqu'à la fin des années 80. Si tel avait été le cas, vous pouvez être sûr que les riches américains auraient émigré en masse au Canada ou en Europe.

Il faut cependant préciser qu'il ne s'agit pas d'un taux moyen sur le revenu mais du taux supérieur correspondant à la dernière tranche de revenu imposable. On constate en fait que si les Etats-Unis ont bien connu, sur certaines périodes, des taux marginaux d'imposition très élevés, ils s'appliquaient à des montants tellement élevés qu'ils ne concernaient en fait pratiquement personne (0,1%).

En réalité, le taux moyen d'imposition des plus hauts revenus (1%) oscille aux alentours de 40 % aux Etats-Unis avec une baisse, il est vrai, depuis une vingtaine d'années. Ce n'est pas du tout pareil et ça n'a rien à voir avec les 70 ou 80% de Piketty.

Quant à savoir si les taux d'imposition élevés ont eu un impact sur la croissance économique, c'est éminemment contestable parce que la croissance ne dépend que secondairement de la fiscalité. Surtout, il est facile pour Piketty de se référer à la période d'après guerre qui était une époque de redémarrage économique général. Sa comparaison est franchement abusive.

Carmilla Le Golem a dit…

Par ailleurs, ce qu'a écrit Piketty sur l'Iran m'apparaît assez succinct. Il se gargarise du concept de République théocratique mais ce n'est pas l'essentiel. On n'explique pas l'économie d'un pays avec le seul prisme des inégalités.

Plus simplement, je rappellerai qu'à la fin des années 70, l'Iran avait une richesse économique par habitant proche de celle de l'Europe. La répartition de cette richesse était certes très inégalitaire mais la pauvreté régressait. Après la Révolution, l'Iran a enregistré une chute considérable de son niveau de vie et celui-ci est aujourd'hui bien loin de l'Europe. Cependant, le pays est sans doute plus égalitaire que du temps du Shah mais je ne crois pas que ça satisfasse grand monde.

S'agissant de l'Union Soviétique et de ses satellites, il me semble avoir écrit le contraire de ce que vous me prêtez. Après guerre, le pays était très égalitaire (Piketty confirme d'ailleurs mon propos). Personne n'était riche et tout le monde était pauvre. Mais un pauvre, en faisant un petit trafic, pouvait avoir le sentiment de devenir parfois riche. Surtout, il n'y avait pas de droits de propriété et personne n'ambitionnait donc de gagner mieux sa vie, d'acheter un appartement, une voiture, d'épargner pour un bel objet ou un voyage. Quand Piketty propose de revoir les droits de propriété et de donner un tour de vis égalitaire, j'ai donc beaucoup d'interrogations.

Carmilla Le Golem a dit…

Je ne voudrais pas apparaître comme celle qui méprise les pauvres.

Mais on est en droit de s'interroger, me semble-t-il, sur la politique de générosité et de compassion individuelles que l'on prône dans les médias. C'est un prolongement de la charité chrétienne, sans doute estimable (et qui permet de s'acheter une bonne conscience), mais qui n'est peut-être pas très efficace sur le plan économique.

La vraie générosité d'ailleurs, elle ne s'exhibe pas et les pratiques ostentatoires actuelles m'apparaissent souvent une manière déguisée d'évacuer, à bon compte, le problème et de moins entendre parler de tous ces pauvres qui nous embêtent.

Ce qui est sûr, c'est que la charité et la compassion larmoyante ne sont pas les seules réponses appropriées à la pauvreté. Je déteste ainsi les larmes du Pape et sa dénonciation des méfaits du capitalisme. J'ai l'impression qu'il aime tellement ses pauvres qu'il souhaite surtout qu'ils le demeurent.

On a trop souvent cette attitude: avoir des pauvres auprès de soi est réconfortant parce que ça permet d'avoir l'impression de se sentir bon et généreux.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Je comprends bien que mon post puisse déconcerter.

Je vous apporte déjà un début de réponse dans mon dernier message, ci-dessus, à Richard.

Je critique surtout, en fait, la générosité institutionnalisée, ostentatoire, cette survivance de la charité chrétienne qui se complaît en fait à entretenir les pauvres pour se donner bonne conscience. La pitié n'est pas toujours désintéressée.

La vraie générosité ne s'affiche pas, en économie comme en amour. C'est pour ça que je parle de ceux qui sont capables d'aller décrocher la lune pour les autres, en toute modestie et sans le dire. C'est un défi bien plus important que d'apporter sa contribution annuelle au téléthon (d'ailleurs motivée souvent par de simples considérations fiscales).

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

La France est un pays parfois surréaliste

Bonjour Carmilla et merci pour vos réponses.

Ici en Amérique du nord, nous avons souvent l'impression que la France baigne dans une paralysie récurrente. Je n'ai pas compris que les manifestations ont commencé avant que le projet de loi sur les retraites soit rendu publique. Avant d'émettre un opinion il faut au moins avoir pris connaissance de ce projet. Ce qui donne une image internationale d'un pays archaïque, d'une étrange immaturité qui nous apparaît comme une inefficacité chronique. Je sais que ce n'est pas le cas, si l'on regarde le taux de la productivité du travail 1950-2015, La France se retrouve dans le peloton de tête et brise le mythe que l'Allemagne est plus efficace. (Voir texte et graphiques, Capital et idéologie, page 600-601). Ce qui explique peut-être que vous n'avez pas pris le cheminement de la cogestion adoptée en Allemagne et dans les pays scandinaves. Vous préférez l'affrontement à la négociation, ce qui n'est pas très recommandé pour votre réputation internationale. Des fois, nous nous demandons si vous n'agissez pas comme des enfants gâtés au pays du Concorde qui fut une magnifique réalisation technique, de l'Airbus, vendu partout dans le monde, et des centrales nucléaires fiables. Il faudrait se méfier des représentations branlantes, des mythes foireux, et des images spectaculaires, que vous traînez derrière vous et qui ne vous favorise pas. Certains diront que je devrais me mêler de mes affaires ; je voulais juste vous dire comment nous vous voyons nous en Amérique.
Les Américains comme les Français d'ailleurs ne sont pas très porter à émigrer. C'est lourd de signification. Dans notre monde moderne, il y a d'autres façons de se soustraire à ses obligations fiscales.
Ce que j'ai trouvé étrange dans votre commentaire, c'est que vous n'avez pas mentionné que cette fiscalité touche de plein fouet l’éducation. J'aimerais vous entendre là-dessus, vous qui avez fait les grandes écoles en France au pays de l'étatisation de l'éducation. Est-ce qu'il y a des universités privées en France ?
J'avais bien compris que ce taux d'imposition touchait qu'une mince parcelle des plus riches. Ce qui n'est pas une raison de ne pas les imposer.
Je me souviens qu'un ministre des finances ici au Québec, soutenait qu'on devrait abolir l'impôt sur le revenus et que se fier sur les taxes à la consommation. Résultat, le Premier Ministre a congédié son Ministre des finances. C'est un débat qui est récurrent ici au Canada et encore plus aux États-Unis.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Les taux d'imposition ont une influence, si tu investies moins en éducation cela a et aura des répercutions, même choses pour les infrastructures. On en sait quelque chose ici au Québec et au Canada, alors qu'on a privatisé des tronçons de chemins de fer. J'habite sur les rives d'une rivière, où passe sur l'autre rive des convois composé en grande parti de wagons de produits pétroliers. Lorsque l'accident de Lac Mégantic s'est produit en mai 2013, je me souviens que le lendemain, j'ai sauté dans mon canot pour aller inspecter la voie, l’usure des rails, des connections des voies d'évitements. Je souligne en passant que ce n'est pas même compagnie que celle qui a provoquée l’hécatombe de Lac Mégantic. Je me suis promené pendant la journée à pied sur cette voie après avoir caché mon canot. Je me suis livré à cet exercice parce que je nage dans cette rivière, et que si cela devrait arriver, se serait un désastre. Jadis les papetières rejetaient dans cette rivière leurs résidus de production, il y était impossible de s'y baigner. C'est le gouvernement provinciale qui a imposé le nettoyage de cette rivière, ce n'est pas l'entreprise privée, qui plus est, cela a favorisé ces papetières, en les forçant à adopter des méthodes plus efficaces. Pareil pour les autres infrastructures, s'il avait fallu attendre l’entreprise privées pour construire des ponts et des routes, on se déplacerait encore avec des bœufs. C'est qui, qui finance la science fondamentale, qui finit par profiter aux entreprises privés, c'est encore le gouvernement et le gouvernement, et bien, c'est nous. Je ne dis pas que l’entreprise privées n'a pas sa place ; mais il faudrait des fois arrêter de cacher sur les gouvernement, parce que c'est sur nous que nous crachons.
Les notions de chiite et de sunnite, j'avoue que que c'est très confus en Amériques, mais l'explication de Piketty à la page -472-, même si cette explication est succincte n'en est pas moins éclairante. Les religions sont rarement égalitaires, voire hypocrites : aime ton prochain comme toi même, mais celui qui ne croit pas comme toi, n'est pas ton prochain, alors tu peux l'exterminer si tu ne peux pas le convertir.
Est-ce qu'on peut dénigrer ceux qui font du trafics parce qu'ils veulent améliorer leur sort ? C'est là que je distingue une certaine inégalité et comme tous le monde semblaient être dans la combine, alors tous étaient inégaux. Je n'ai pas encore lu le chapitre sur L'URSS, mais je ne manquerai pas d'y revenir. L’Iran m’apparaît encore bien isolé ce qui explique sans doute qu'elle a trouvé un allier en la Russie.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je dois avouer, qu'à la première lecture de votre texte, je vous ai trouvé méprisante. Certes on est en droit de s'interroger sur l'humiliante charité qui tient plus d'un complexe de supériorité, parce que j'ai toujours considéré qu'il était humiliant de recevoir de la main de l'autre. Nous le savons tous, il y en a des carrières qui se bâtissent dans l'humanitaire. Ce qui est très bien illustré dans le film Sympathie pour le diable. Je me souviens des débats qui eurent lieux lorsqu'il a été question de créer l'assurance chômage et les bien-être sociale, le haut clergé de l'église catholique était contre ces mesures, pendant que le bas clergé qui travaillait sur le terrain était en faveur. La charité ce n'est pas très efficace pour combattre la pauvreté. Est-ce toujours la faute du pauvre, s'il est pauvre ? Je me souviens à l'école primaire que les enfants qui provenaient de famille pauvre étaient plus punis que leurs camarades plus en moyen. J'ai été témoin de séances d'humiliations inacceptables. Je n'étais pas très vieux à l'époque, mais j'étais assez conscient pour comprendre de quoi il en retournait. Les religieuses n'étaient pas toutes des saintes, loin de-là. Effectivement, il y a d'autres moyens, pour soulager la misère. C'est la raison fondamentale de la fondations des régimes sociaux, les fameux filets sociaux, qui font tant défaut aux États-Unis. Comme nous habitons sur la frontières, je me souviens lorsque nous avons pu bénéficier de notre régime d'assurance maladie, des américains qui portaient des noms francophones venaient se faire soigner au Québec en empruntant les cartes de québécois qui leur étaient apparentés. C'est à cette époque qu'on a changé nos cartes d'assurance maladie, et que nos photos y sont apparues. C'est un exemple d'inégalité, pourtant ce n'est pas parce que la nation américaine est pauvre, on fait les choix que l'on fait, au lieu de bâtir des hôpitaux, on préfère bâtir des sous-marins nucléaires. Le Québec, en particulier au Canada, comme en Amérique du Nord, s'est donné les moyens de sa sociale démocratie, ce que nous envie plusieurs de nos voisins. Oui, nous sommes les plus taxés en Amérique du Nord, mais tu ne crains pas d'être ruiné si tu tombes malades. Vous le savez Carmilla, les hasards de la vie peuvent vous plonger dans des affres monstrueux. Et là, vraiment le mépris, n'a pas sa place. Votre commentaire était bienvenue. J'aime débattre avec vous parce que justement vous ne vous cachez pas.

Merci Carmilla et bonne nuit

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il s'agit de mettre en place, en France, un système égalitaire de retraites accordant à tous les mêmes droits au sein d'une caisse unique. Mais bien sûr, ça remet en cause les actuels privilèges et avantages et certains (relevant de la fonction publique)se sentent alors plus égaux que d'autres.

Oui, les Français se glorifient souvent de leur productivité, l'une des plus élevées au monde. Mais c'est un indicateur trompeur et, là encore, Piketty, utilise les données qui l'arrangent.

Pour comprendre la situation française, on peut se rendre par exemple au Japon (dont la productivité serait bien moindre). On est là-bas surpris par la multitude de petits boulots et de petits commerces qui perdurent. En France, il n'y a presque plus que des super-Marchés et les villages sont déserts et peinent à offrir un café.

La productivité française élevée recouvre en fait une triste réalité: le choix d'un chômage massif (inexistant au Japon).

Un autre indicateur est, à mes yeux, plus pertinent et son calcul est incontestable: celui du nombre d'heures travaillées par habitant. Là encore, la France est championne de l'OCDE. Elle est le pays où le nombre d'heures travaillées est le plus faible. Ça s'explique par une durée hebdomadaire du travail courte (35 heures), un âge de départ à la retraite précoce et un taux d'emploi de la population peu élevé.

La productivité élevée de la France n'est donc pas un indicateur glorieux. Elle a pour contrepartie un chômage massif.

On peut en fait se demander comment, en travaillant aussi peu, la France parvient tout de même à offrir un niveau de vie décent à ses citoyens. Mais ça ne fait bien sûr pas du tout partie des réflexions de Piketty qui serait au contraire disposé à réduire encore la durée du travail.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Lorsque je lis ou que je regarde La Russie, je me dis que c'était beaucoup demandé en 1861 lors de l'abolition du servage, pratiquement nille ans derrière le reste de l'Europe. Peut importe le régime, je considère que c'était, c'est et se sera toujours inégalitaire en Russie, pour une fois, je suis en désaccord avec beaucoup de personnes. Sous le régime politique des communistes, il ne faut pas oublier les faveurs qu'une certaine élite du parti se payait, camp de vacances, datchas, soins médicaux spéciaux, et le tout n'était pas monnayé. Pages -681-682-, où il est écrit que le régime structurait ses inégalités par d'autres canaux. Soljénitsyne en parle dans plusieurs de ses ouvrages et il n'est pas le seul. Lorsque la combine se transforme en institution, c'est que c'est très inégalitaire. Donc pour ces gens qui étaient souvent des serfs, illettrés, l'affranchissement à ressemblé à la libération d'esclave. Une chose que j'ai appris dans ce livre ; et vous confirmerez, c'est que les propriétaires de moujiks ont été compensés jusqu'en 1881, pour perte de main-d’œuvre tout comme les propriétaires d'esclaves en Amérique, en Europe, (la France et l’Angleterre ont joué à ce jeux-là). Cette inégalité s'est perpétuée, pas surprenant que les Russes sont arrivés à la Première Guerre mondiale mal préparés. Ludendorf et Hinderburg allaient leur donner toute une leçon sur le champ de bataille (bataille de Tannenbers). On connaît la suite. Les bolcheviste ont pris le pouvoir par un coup d'état. Plusieurs pensaient que ces révolutionnaires allaient promouvoir plus de justice et d'égalité. La déception allait être incommensurable. Je ne peux pas considérer la Russie de cette époque égalitaire, pas plus que celle d'aujourd'hui où c'est encore pire. Staline a joué là-dessus, et, Poutine sous d'autres aspects, continu la partie. Lorsqu'on évoque les pauvres, nous entendons souvent qu'ils sont égalitaires parce qu'ils sont tous pauvres. Il y a des degrés dans la pauvreté comme dans la richesse.

« À la mort de Staline en 1953, plus de 5 % de la population adulte soviétique est en prison, dont plus de la moité pour des vols ( de propriété socialiste) et autres petits larcins permettant d’améliorer l'ordinaire. »
Thomas Piketty
Capital et idéologie
page -677-
Si tu es obligé de te livrer à de tel combines, c'est qu'il n'y a pas d'égalité nulle part.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Il y a probablement un sujet qu'aborde Piketty où nous allons êtres tous d'accord. La Dette !
Lu dans le journal : La Presse d'hier :
Japon : 237 % du PIB.
Étrangement cela n'a pas l'air de les inquiéter les japonais.
Je sais, nous en avons déjà parlé dans nos échanges. Cependant, cela vaut la peine d'y revenir, parce que c'est une situation fragile. Vous l'avez déjà reconnu.
Et, Piketty devant cette situation, comment se comporte-t-il ?
Piketty est le meilleur allier de L'Union Européenne. Mieux, c'est un mondialiste, parce qu'il souligne l'importance des échanges internationaux. En d'autres mots c'est un bon capitaliste. Le problème, c'est qu'il ne se prive pas de critiquer tout le monde, et ça, ça dérange. En voilà un qui désire dépasser le clivage gauche/droite. Par contre, comme c'est souvent le cas pour les intellectuels ; ce n'est pas un politicien. Je ne pense pas le voir sur les rangs comme candidat, mais les gouvernements vont continuer à lui demander des opinions, des rapports, des études. D'autre part, il ne doit pas avoir de difficulté à se faire publier dans le journal : Le Monde.
La dette est insoutenable. J'ai toujours trouvé que c'est une forme d'esclavage et qu'il faudra, tôt ou tard en sortir ; mais comment ? Là est toute la question. Vous avez quelque chose à proposer Carmilla ?

Nous gérons les états comme des entreprises privées : CE QUE ILS NE SONT PAS. À ce chapitre j'ai trouvé très intéressant lorsqu'il évoque La Chine dans (Des limites de la tolérances chinoise pour l'inégalité), alors que je venais de franchir la cogestion en Allemagne et dans les pays Scandinaves. Ce que vous n'avez jamais fait en France. Je n'invente rien, c'est écrit. Au final, ce qui signifie, qu'on ne peut pas tout nationalisé, ni laisser la bride sur le dos du libre marché. Il faut un équilibre. Les Chinois pensent l'avoir trouvé : 30 % d'étatique contre 70 % de libre marché. À l'exemple de la Russie, c'était et c'est encore un pays très inégalitaire. L'impôt progressif ils n'ont pas l'air de connaître. Il y a tout un chapitre intéressant qui s'intitule : La Chine, entre communisme et ploutocratie. Je puis comprendre, que les chinois ne veulent pas entrer avec leur armée à Hong Kong et tout démolir, car ces îles est une plaque tournante pour leur négociations commerciales. Nous n'en sommes plus à Tianamem.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Il y a un sujet que Piketty n'aborde passez assez dans son ouvrage : les paradis fiscaux. Je suis rendu vers les pages 800 et je demeure encore sur ma faim. Ce qui est probant, c'est que celui qui ne paie pas ses taxes et ses impôts, non seulement c'est illégale, mais aussi criminel. Est-ce bien de se soustraire aux lois du pays, qui vous à mis au monde, vous a soigné et éduqué ? Carmilla vous qui connaissez cet univers de la finance, pourriez vous me dire, à combien s'élève le montant d'argent qui passent par ses paradis ? Juste une estimation comme cela en passant pour nous donner une petite idée.
Il en reste, que c'est un facteur d'inégalité. Comment, pourrions-nous le voir autrement ?
« Si l'Europe n'a rien d'autres à offrir que des relations de marché, il n'est pas sûr que l'ensemble tienne éternellement. »
Tomas Piketty
Capital et idéologie
  Page -750
C'est étrange, je n'ai pas lu de réactions ni de critiques à propos de cet énoncé .
Venons-en maintenant, au juteux et éclatant Boris Johnson. Les Britanniques viennent de parler, et ils ont parlé fort. Ce que je veux souligner, ce n'est pas tellement sa victoire électorale, mais de quelle façon les votes se sont répartis au travers du pays. En définitive lorsqu'on consulte la carte électorale, se sont les campagnes qui ont voté contre les villes, le vieux fond conservateur contre les les progressistes, les nationalistes contre les européistes. Pendant ce temps, les dirigeants européens sont demeurés silencieux, pour ne pas dire l'arme au pieds. Dans tous les cas, Boris a eu l'appui du gros blondinet de Washington, et il avait l'air de se payer une pinte de bon temps en compagnie de Trudeau et Macron. L'Angleterre demeure un pays capitaliste et va le demeurer. Les travaillistes viennent d'en manger un bonne. Pendant que certains cherchent des solutions internationales, ailleurs on règle des comptes. Ce qui est intéressant, ce n'est pas seulement le cas du Royaume-Uni, parce que c'est la même situation qu'aux États-Unis, c'est la campagne contre la ville, le travailleur manuel contre l'intellectuel. Pareil pour le Québec, où le dernier Gouvernement élu en est un populiste, ce fut la campagne contre Montréal. Je ne puis pas dire que la situation économique est mauvaise au Québec présentement, loin-delà. Imaginez, s'il fallait que la situation se détériore.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Piketty l'a bien mentionné dans son introduction :
« Je veux aussi ajouter, à l'intention de ceux qui se lamentent de la montée des inégalités et des dérives identitaires, et aussi de ceux qui craignent que je me lamente à mon tour, que ce livre n'est en aucune façon un livre de lamentations. Je suis plutôt d'un naturel optimiste, mon premier objectif est de contribuer à trouver des solutions aux problème qui se posent. »
Thomas Piketty
Capital et idéologie
Page -26-

Voilà qui devrait plaire à tous ceux qui n'aiment pas les (plaignards).

Note en bas de page -541-
L'histoire contrefactuelle(...)
Niall Ferguson imagine un monde meilleur (selon lui) où les diplomates anglais auraient laissé l'Allemagne écraser la France et la Russie en 1914 , et où la planète aurait été dominée au XXe siècle par l'Empire Britannique et allemand à la place des Empires étatsunien et russe. Voir Q. Deluermoz, P. Singaravélou , Pour une histoire des possibles op.cit. p. 22-37

J'ignorais que Niall Ferguson avait eu ce genre de pensée. Je ne suis pas d'accord avec cet énoncé. Ce qui ne m'empêchera pas de lire et relire Ferguson, tout comme Pinker. Je ne concilie pas, je compare. J'explore tous les horizons possibles. Ce qui est intéressant entre Pinker et Piketty, c'est qu'ils possèdent le même genre de formation, leurs manières de travailler se ressemblent, leurs méthodologies sont semblables, il y a autant, si non plus de graphiques dans La Part de l'Ange de Pinker que dans Piketty. Par contre Pinker m'apparaît plus échevelé que Piketty. J'abonde dans votre sens lorsque vous écrivez que Pinker est trop optimisme. Je dirais que Pinker c'est l'effervescence et Piketty la froideur. Qu'à cela ne tienne, un jour je me suis bouché le nez, et j'ai lu Mein Kampf d'Hitler, j'ai pensé que malgré mes réticences je devais passer par-là. Pas question de baisser les bras, ni de fermer les yeux, tout fait partie de la connaissance. Je veux comprendre pourquoi l'homme se doit de passer souvent, au cours de son évolution, par l'insoutenable. Un État de Droit sans connaissance et sans débats, c'est un État d'aveuglement.

Bonne nuit, dormez bien !

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'essaierai, bien sûr, de répondre à vos questions, qui relèvent tout de même de mon domaine de compétence, mais comme je ne dispose que d'un peu de temps, le matin, avant de me rendre à mon travail, je vous demanderai de patienter un peu.

Sur l'éducation tout d'abord. Le système universitaire français est public de même que les grandes écoles. Le coût d'accès (droit d'inscription) est modeste. Quant aux grandes écoles, quand on a la chance d'y accéder (à l'issue d'un concours et après une formation universitaire), on est même rémunérés pendant la formation. Il existe certes des formation privées mais pour des activités spécifiques (gestion notamment). Je ne crois donc pas qu'il y ait une véritable sélection par l'argent en France.

Bien sûr qu'il est important de consacrer de l'argent à l'éducation mais le problème est celui de l'efficacité de la dépense engagée : des programmes, de leur contenu, de leur répartition, de la qualité des enseignants. Il semble que le système français soit aujourd'hui moins performant en dépit de budget conséquents.

De ce point de vue, je ne me hasarderai pas trop à critiquer les États-Unis. Ils continuent de produire à la pelle des prix Nobel et des médailles Fields et leurs universités attirent le monde entier. Surtout, ils sont aujourd'hui à la pointe des savoirs et des nouvelles technologies de l'information. Alors qu'on les croyait en perte de vitesse, ils ont, au cours de ces dernières décennies,largement distancé l'Europe et le Japon, encombrés de leur vieilles industries (machines-outils, automobile, électronique).

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

L'URSS, égalitaire ? Je me souviens du très bon livre de Michael Voslensky, "La nomenklatura". En appliquant les outils mêmes du marxisme à l'analyse de la société et de l'économie soviétiques, il en déduit que c'est un système inégalitaire. Un Parti-Etat détient à la fois le pouvoir et la propriété des moyens de production. Une caste, auto-reproduite, mais aussi prélevée au sein du prolétariat et des techniciens, jouit d'un pouvoir, d'un confort matériel, d'avantages, sans commune mesure avec le reste de la population.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages et Richard qui m'avez tous les deux interrogée sur l'URSS égalitaire,

J'ai autrefois parcouru le livre de Voslensky qui a créé ce concept de "nomemklatura" et répandu cette idée, en Occident, que l'URSS et ses satellites étaient très inégalitaires.

Sans défendre le système, j'ai jugé ça très excessif. Je ne peux bien sûr me référer qu'à ma propre expérience mais tout de même...Mes parents et moi avons connu de nombreux cadres du Parti et je puis vous assurer que leur niveau de vie aurait fait sourire n'importe quel cadre moyen à l'Ouest.

Certes, ils avaient quelques privilèges: un appartement un peu plus grand (dont ils n'étaient même pas propriétaires) et une voiture (une Lada ou une Jigouli). Et puis, il y avait l'accès à des magasins réservés pour certains approvisionnements. Mais au total, ça n'allait pas bien loin et il n'était pas question de voyages luxueux au bout du monde.

Les gens riches, dans le monde communiste, c'étaient les trafiquants, ceux qui faisaient du marché noir. Mais les salariés ne l'étaient pas du tout et on n'attachait d'ailleurs pas une grande importance au salaire et à l'argent parce qu'il n'y avait, de toute manière, pas grand chose à acheter.

Quant à l'échelle des salaires, elle était très resserrée et un travailleur manuel, un ouvrier, gagnait effectivement mieux sa vie qu'un cadre ou un intellectuel.

Surtout, la propriété était quasi inexistante et personne n'avait donc l'idée d'investir ou d'épargner. Même les logements, on était simples locataires. Quant à posséder la propriété des moyens de production, absolument pas...

Ce n'est bien sûr que mon point de vue mais je pense quand même que l'URSS a crevé non pas de trop d'inégalité mais de trop d'égalité. Il n'y avait aucune perspective d'avenir, de progrès, d'amélioration. Rien que la stagnation au sein d'un monde clos.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Richard,

Je poursuis sur la question de l'impôt.

Il est tout de même étonnant que Piketty, tout au long de son monstrueux pavé de 1 200 pages, ne pose jamais la question de l'objet et de la finalité de l'impôt.

Ou plutôt, les choses sont d'une évidence aveuglante pour lui: l'impôt sert à corriger les inégalités. Ce serait sa fonction première, d'où son plaidoyer en faveur d'un impôt fortement progressif.

C'est oublier l'histoire de l'impôt qui avait d'abord pour objet de financer seulement les fonctions régaliennes de l’État : l'armée, la police, la justice, les établissements de bienfaisance, l'éducation. Ce n'est que récemment que l'on a octroyé à l'impôt une fonction redistributive.

Est-ce bien son rôle ? N'est-ce pas complétement abusif, un détournement complet ? Ce qui est sûr, c'est qu'il n'existe plus aujourd'hui aucune lisibilité de l'impôt et que plus personne ne sait ce qu'il finance exactement. Ça donne toute liberté à l’État pour donner libre cours à son impécuniosité et placer sous tutelle ses citoyens.

Il n'est donc pas illégitime de chercher à circonscrire le champ de l'impôt et de le limiter aux fonctions régaliennes de l’État. Dans cette perspective, a été mis en place, dans de nombreux pays européens (Pays Baltes, Tchéquie, Roumanie, Russie), ce que l'on appelle la "Flat Tax", c'est à dire un impôt proportionnel (entre 10 et 20 %) applicable à l'ensemble des revenus et bénéfices. Ce système est simple, efficace et parfaitement clair. Il n'est pas sûr qu'il soit plus injuste que l'impôt progressif.

J'ajouterai que l'on peut effectivement envisager de supprimer l'impôt sur le revenu. Celui-ci ne représente qu'une faible partie (notamment en France) des ressources de l’État (surtout constituées des taxes sur la consommation et de l'impôt sur les entreprises).

Bien sûr, cela ferait hurler Piketty mais s'il était honnête, il pourrait au moins évoquer les autres réflexions et expériences en cours. Mais la critique n'est pas son fort : il est trop démagogue et convaincu d'avoir raison.

Bien à vous

Carmilla

Nuages a dit…

Vos derniers paragraphes me font penser, quand même, à la pensée libertarienne.
La flat tax, la suppression de l'impôt sur le revenu, la limitation de l'impôt aux fonctions régaliennes...

Comment vous situez-vous par rapport à ce courant de pensée ?

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Ne nous méprenons pas. Je mentionne ces analyses mais ça ne signifie pas que j'y adhère. Je ne suis pas "libertarienne" ni de "l'école de Chicago".

Je ne crois pas, à vrai dire, que la fiscalité soit la question essentielle en économie. Piketty se concentre abusivement, à mes yeux, sur cette question. Ce n'est pas en abaissant ou en augmentant les impôts qu'on résout les problèmes d'une société et la rend plus ou moins juste. Ce serait trop simple.

J'observe toutefois que la "Flat Tax" en Russie (13 %) et en Ukraine (15 %) sont efficaces: elles ont permis d'améliorer considérablement les rentrées fiscales de l’État dans des pays où la fraude était massive et où personne ne voulait payer.

Mes économistes de référence sont plutôt David Ricardo et des Français: Paul Fabra, Philippe Simonnot, Jacques Rueff, Jean Tirolle. Vous pouvez trouver trouver en poche: "Nouvelles leçons d'économie contemporaine" de Philippe Simonnot.

Je n'approuve pas du tout, à vrai dire, la politique économique actuelle de l'Europe et des Etats-Unis avec un forçage de la consommation et un détournement de l'épargne. On vit dans des sociétés de "Capitalisme sans Capital" alimentées par l'endettement et la spéculation. Mes vrais sujets de réflexion portent donc plutôt sur l'augmentation de l'épargne, des investissements et du capital. Ce sont les conditions d'une société prospère et équitable. Mais il faut reconnaître que ça n'intéresse pas grand monde.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

Je poursuis avec vous et vos nombreuses questions.

Sur l'endettement du Japon et des pays occidentaux. Bien sûr que c'est inquiétant. Mais ce n'est pas seulement le problème de la capacité à rembourser cette dette dans l'hypothèse d'une remontée des taux d'intérêt. C'est surtout le fait que l'épargne souvent abondante de ces pays (à l'exception des pays anglo-saxons) est intégralement absorbée par les titres de la dette publique (obligations d'Etat). Il y a aujourd'hui un véritable hold-up, non dit, de l'Etat sur l'épargne des particuliers. C'est ce qui explique principalement la stagnation économique et le sacrifice de 'investissement au profit de la consommation et du court terme. Quant à sortir du cercle vicieux de l'endettement de l'Etat, je ne vois malgré tout pas d'autre solution que de rééquilibrer ses budgets. Ça passe notamment par une réflexion sur la durée du travail (hebdomadaire, annuelle et sur l'ensemble d'une carrière) de la population active.

Je ne suis pas aussi pessimiste que vous concernant la Russie. Elle a malgré tout un fort potentiel en raison notamment de la bonne qualité de son enseignement. Il faut bien reconnaître cependant qu'en 30 ans, la Russie n'a réussi à mettre en place aucune industrie compétitive. La raison principale en est que la Russie est victime de ce que l'on appelle la "malédiction des matières premières", c'est-à-dire de la dépendance excessive du pays au pétrole et au gaz. Ça provoque une surévaluation du rouble et une inflation des prix et des salaires, accompagnées d'un corruption à grande échelle. Si vous allez à Moscou, vous serez ainsi surpris de constater qu'il y a davantage de boutiques de luxe et de berlines haut de gamme qu'à Paris. La Russie est en fait une "économie de rente" comme les pays pétroliers du Moyen-Orient. On y consomme à plein mais ça ne garantit pas un véritable développement.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Dernier point Richard,

Sur la taxation des hauts revenus.

Bien sûr qu'il est tentant de les imposer lourdement. Mais il faut compter avec une évasion fiscale massive. Quel est son montant ? Personne n'en sait rien à vrai dire puisqu'elle est largement illégale et dissimulée. La France en fait l'expérience avec de nombreux exilés en Belgique et en Suisse. Il n'est qu'à se promener à Bruxelles ou sur les rives du Lac Léman. En d'autres termes, l'augmentation des impôts en France augmente surtout la richesse des Belges et des Suisses.

L'Irlande, à peine plus riche, il n'y a pas si longtemps, qu'un pays d'Europe Centrale, est ainsi devenue l'un des pays les plus riches du monde en dopant sa fiscalité.

Bien à vous,

Carmilla