Dans mes lectures, j'ai des périodes de "tocades".
En ce moment, j'avale des bouquins sur la chute de Rome.
Je me plonge là-dedans parce que, pour moi, c'est très lié à "l'ambiance" politique mondiale, à l'effet Trump et à la nouvelle coalition des trois empires facho-réacs (Etats-Unis, Russie, Chine) qui prétendent, maintenant, se partager le monde.
Leur point commun à tous les trois: une même détestation de l'Europe et de sa démocratie. Et ils ont deux abominations principales :
- l'Etat de Droit qui n'est pour eux qu'une bureaucratie absurde et paralysante;
- une nouvelle bien-pensance, le "wokisme", qui promeut, paradoxalement, une immoralité générale (l'effacement de la différence des sexes et le "métissage" ethnique et culturel).
A leurs yeux, l'Europe, c'est fini, elle est condamnée à la relégation dans le grand concert des nations. Paralysée par ses réglementations ubuesques et ayant perdu son âme à force de se vautrer dans la débauche.
Et le parallèle est tout de suite établi avec la Chute de Rome, cette chute qui est sans doute l'événement le plus important de l'histoire universelle. Comment l'incroyable, l'impossible, a-t-il pu se produire ?
Et aujourd'hui, l'opinion la plus commune, c'est que la décadence a emporté Rome. Et à Moscou comme à Washington, on ne se prive pas de marteler cette analyse en l'appliquant à l'Europe. Il est vraiment dommage, à ce propos, qu'on ne rediffuse pas les informations russes sur l'Europe. Leur mépris est vraiment édifiant.
Quant à Rome, la décadence y aurait été avant tout morale avec une sexualité débridée incarnée par des personnages comme Héliogabale, Messaline, Néron etc... Et à force de ne plus songer qu'au plaisir, tout le reste, les affaires courantes, la justice, l'activité économique, l'armée, tout cela se serait progressivement délité et parti à vau l'eau jusqu'à la chute finale en 476 (destitution du dernier Empereur romain d'Occident).
Rome est donc brandi comme exemple: voilà ce qui arrive quand on ne cherche qu'à jouir et à se mélanger. On a tous en tête le titre du bouquin de l'historien anglais Edward Gibbon: "Histoire de la décadence de l'Empire romain".
Et c'est vrai qu'on trouve aujourd'hui une énorme littérature sur la question avec une foultitude d'approches et de théories. Mais cette multiplication des théories, depuis deux siècles, sur la fin de l'Empire d'Occident reflète surtout l'angoisse des peuples face à leur propre disparition.
Et puis ces analyses sont biaisées parce qu'elles reflètent, généralement, les préoccupations de l'époque au cours de laquelle elles ont été élaborées.
* Tordons d'abord le cou à à l'idée reçue de la grande débauche romaine qui aurait entraîné la chute. C'est un peu "Le Satyricon" de Fellini. Mais les Romains, dans l'ensemble de la population, étaient tout sauf des jouisseurs. Loin de l'érotisme débridé des Grecs, ils portaient plutôt sur la sexualité un regard angoissé, puritain. C'était le sexe et l'effroi, la naissance de cette culpabilité qui continue de nous ronger. La "bagatelle", ça n'était pas l'obsession première.
* Quant aux autres analyses, on a d'abord dit que l'avènement du Christianisme aurait scellé la fin de Rome (Voltaire, Gibbon, Renan). C'est oublier que l'église s'est d'emblée fortement structurée, institutionnalisée, en reprenant l'architecture administrative romaine. Et du reste, Byzance a survécu plus d'un millénaire.
* On a également développé, "dans l'air du temps", une approche écologique, celle du Britannique Kyle Harper. Un petit âge glaciaire et les épidémies de peste auraient précipité la Chute de Rome. C'est tellement réducteur que c'est anodin.
* Ou alors, il n'y aurait tout simplement pas eu de "grande catastrophe" avec une fin brutale de la "romanitude". Le Moyen-Age n'en aurait été qu'un prolongement avec des barbares romanisés et un maintien des principales institutions romaines (Peter Brown).Un point de vue intéressant mais, sans doute, idéologique: il est fait, cette fois ci, l'éloge du multi-culturalisme avec la volonté de proclamer l'équivalence des cultures et les bienfaits qu'apporteraient les Barbares aux "civilisés" grâce à un fructueux métissage.
Toutes ces visions "modernes" de "la Chute" reposant sur un grand facteur explicatif ne sont finalement que des approches biaisées, détournées. On préférer s'empêtrer et s'embrouiller dans les théories et on a du mal à considérer la réalité brute des choses.
C'est peut-être trop simple, mais la réalité, la vérité, c'est que l'Empire d'Occident a été, brutalement, vaincu militairement par les Barbares. Et ces Barbares, c'étaient les peuples germaniques et plus encore les Huns qui venaient de révolutionner l'Art de la Guerre avec leur extrême mobilité face à des légions statiques. Il est venu un moment (en 410 avec le sac de Rome) où l'Empire a été submergé et n'a plus été en mesure de défendre ses frontières. La pression était devenue trop forte et l'assimilation des Barbares impossible.
Et c'est vrai que la Chute de Rome était inéluctable. Parce que, comme le souligne bien l'historien Michel de Jaeghere, "il est illusoire de prétendre faire subsister une zone de civilisation entourée d'une périphérie livrée à l'anarchie et à la misère. Parce que la prospérité attirera toujours irrésistiblement vers elle les populations qui en ont connaissance". Et puis, il y a aussi la séduction exercée par le mode de vie des femmes.
Les Barbares veulent alors "s'emparer des richesses produites par la civilisation, faute d'avoir été capables d'adopter les disciplines qui en avaient permis la production". Et il ne faut pas enjoliver les choses, ne pas se détourner des faits parce qu'il y a effectivement eu, après la chute de Rome, un véritable effondrement politique économique, culturel: disparition des villes, de l'agriculture, des arts, de la culture littéraire, de la Paix et de la sécurité. On réhabilite aujourd'hui le Moyen-Age, ça n'était effectivement pas la grande obscurité mais il faut aussi relativiser.
La chute de Rome, ça a bien été, quelles que soient les théories développées, un véritable drame dans l'Histoire de l'humanité. Il y a tout de même bien, en effet, des degrés d'avancement dans la civilisation (tant pis si vous trouvez mes propos d'esprit colonialiste). On prétend aujourd'hui que toutes les civilisations se valent. Oui ! Mais il y a des nuances à apporter. L'Europe, c'est peut-être, en effet, comme le voient les Russes et les Américains, une Rome décadente. Mais ils oublient qu'ils sont, en l'occurrence, les Barbares, ceux qui n'ont pas d'autre argument que la haine généralisée et la menace des armes.
L'Europe, la culture et la démocratie européennes, contre les barbaries russe et américaine. Ca a aussi une implication sexuelle parce qu'il s'agit aussi d'un combat du féminisme contre le virilisme et le machisme.
Les premières images sont des peintres pompiers, très prisé à la fin du 19ème siècle, Jean-Noël Sylvestre et Jean-Léon Gerome.
Je recommande:
- Peter HEATHER: "Rome et les Barbares". J'ai été passionnée et convaincue par ce gros bouquin (800 pages). Il m'a surtout permis de découvrir qui étaient "les Barbares". C'était très confus pour moi. Sa publication en Grande-Bretagne remonte à 2005 mais il n'est sorti que récemment en France, en septembre 2024.
- Michel de JAEGHERE: "Les derniers jours, la fin de l'Empire romain d'Occident". Un livre très intelligent dans le prolongement de Peter Heather.
Et puis, il y a tous les livres de Paul Veyne (notamment "Sexe et pouvoir à Rome") et tous ceux de Lucien Jerphagnon.