De retour d'un séjour en Pologne et plus précisément en Galicie, sa partie Sud-Est qui côtoie l'Ukraine.
D'abord pour étudier le miracle économique polonais. Et le terme de miracle n'est pas trop fort.
Le passage à l'économie de marché a été vraiment radical, sans gants. Il s'est effectué sous la conduite d'un grand économiste, Leszek Balcerowicz, qui aurait largement mérité le Prix Nobel d'Economie.
Il s'inspire curieusement non seulement de Marx mais aussi de Nietzsche.
La force motrice de l'économie, ce qui fait sa croissance, c'est l'innovation. Aucune situation, aucune rente, n'est donc jamais acquise: les stars d'aujourd'hui verront bientôt leur étoile pâlir, voire s'éteindre.
Faire table rase du passé, ça peut aussi être salutaire. C'est ce qui a réussi à la Pologne. Et la Destruction Créatrice, ce bel oxymore, on peut dire que ça a vraiment caractérisé l'Histoire de la Pologne. Un pays maintes fois rayé de la carte, asservi, ravagé, qui finit, malgré tout par renaître de ses cendres. Comme s'il y avait une revanche finale de l'Histoire.Mais la Pologne, ça n'est quand même pas que ça, l'avenir via la destruction créatrice. On n'efface jamais complétement le passé. Subsiste toujours le souvenir de l'angoisse et de l'horreur subies.C'est aussi un pays baigné dans une froide épouvante. Surtout dans la Galicie où j'étais, hanté, peuplé de fantômes.Ceux notamment de la très importante communauté juive qui y était établie.Des Juifs, il n'y en a plus évidemment. Mais il subsiste, tout de même, une architecture urbaine, des quartiers, des cafés, des synagogues, des cimetières. Une mélancolie terrifiée, angoissée, qui parcourt tout cet espace de l'Europe Centrale.
Et puis, la Galicie, c'est pour moi une région éminemment littéraire.
On y croise d'abord Honoré de Balzac qui s'est rendu, à deux reprises, à Berditchev (en Ukraine) et y a tout de même passé plus de 2 années. C'était à la fin des années 40 au 19ème siècle. Il s'est d'abord rendu en train jusqu'à Cracovie et a ensuite effectué en simple malle-poste les reste du voyage.
Il est vrai qu'il commençait à être malade mais le plus étonnant, c'est que, durant ce long séjour, lui qui était extraordinairement prolifique, n'a quasiment rien écrit.
Pourtant, il vivait dans une région absolument extraordinaire (que je connais bien). Berditchev, c'est tout de même le foyer de naissance du Hassidisme. Il aurait été intéressant de savoir comment Balzac, qui partageait les préjugés de son époque envers les Juifs (Gobseck, le baron de Nucingen), percevait ces Juifs ultra-orthodoxes.
Mais la Galicie, ça n'est pas que Balzac, c'est aussi Isaac Bashevis Singer, George Trakl, Bruno Schulz, Sacher Masoch, le père et la mère de Sigmund Freud, Joseph Roth ("La marche de Radetzky"), Samuel-Joseph Agnon, Stanislaw Lem, Joseph Conrad et même, encore plus à l'Est, Paul Celan.
La Pologne et l'Ukraine, ce sont deux pays extrêmement proches. Il est vrai qu'on ne sait généralement pas, à l'Ouest, que l'Ukraine a plus longtemps été sous domination polonaise que russe.
Mais combien de temps, encore, les Polonais vont-ils continuer d'accueillir ce flot énorme d'Ukrainiens et s'en sentir solidaires ?
Mes petites photos de Pologne, plus précisément de Cracovie, Tarnow et Przemysl. De l'Ouest de la Galicie, en fait. Tarnow, c'était une ville abritant une communauté juive très importante. Przemysl, c'est la ville frontière avec l'Ukraine, et aussi une ancienne place forte Austro-Hongroise face à la Russie tsariste. C'est ici que le poète George Trakl a été envoyé au début de la 1ère Guerre Mondiale et a succombé à l'épouvante.
Cracovie fait évidemment partie de ces villes européennes qu'il faut avoir visitées. Mais attention ! Il faut absolument éviter les périodes touristiques. Sinon, on arpentera les rues comme dans les couloirs du métro parisien.
Je recommande:
- Philippe Aghion: "Le pouvoir de la destruction créatrice". Certes, c'est un bouquin d'économie mais il me semble accessible à des non-initiés. Et puis, il soulève plein de réflexions philosophiques sur l'Histoire du monde: le progrès n'est pas dans la continuité de l'ancien monde, il passe plutôt par une rupture, un effacement/dépassement.
- Andrzej Stasiuk: "Le passage". J'ai déjà évoqué ce bouquin qui se situe précisément à l'Est de la Pologne. Vous me maudirez, peut-être, de vous l'avoir conseillé parce qu'il est difficile, déconcertant, sinistre de chez sinistre. Et surtout, absolument déprimant, abominable. Mais il traduit bien cette déglingue générale de l'âme que l'on éprouve là-bas. Rien ne tient vraiment debout, ni les choses, ni les lieux, ni l'éthique. Tout s'effondre, tout est pourri, corrompu, tout fiche le camp. Survivre dans ce bourbier, c'est la principale préoccupation.
- Michal Lozinski: "Stramer". L'histoire d'une famille juive de Tarnow jusqu'à la 2nde guerre mondiale. Un très bon bouquin qui évoque irrésistiblement Isaac Bashevis Singer.
- Olga Tokarczuk: "E.E.". C'est un des premiers (1995) romans d'Olga Tokarczuk qui vient d'être édité. Ca se passe à Wroclaw (Breslau) et ça traite du spiritisme et de la naissance de la psychiatrie moderne.









































