samedi 17 mai 2008

Le rocher dissimulé












Au Japon, les jardins zen sont des jardins de cailloux et de sable, des jardins secs, sans fleurs, soigneusement ratissés et parsemés de quelques rochers. Le jardin zen se veut néanmoins un hommage à la nature, ce qui déconcertera plus d’un écologiste. Manière de dire que la nature n’existe pas en tant que telle, qu’elle est toujours construite, organisée, pas seulement par notre intervention technique mais par notre perception.

Je ne connais pas grand chose au bouddhisme et au zen mais lorsque je vais au Japon, je consacre obligatoirement une visite au jardin du temple Ryoan ji à Kyoto, tout près du Pavillon d’or. D’un rectangle de sable, dont les plis imitent les rides de l’océan, émergent quinze petits rochers regroupés en cinq groupes. Ce qui rend fascinant ce jardin d’une absolue sobriété, c’est que quelle que soit la position que vous adoptez, même en tordant le cou, même en montant sur un escabeau, il est impossible de voir la totalité des rochers. Il en manque toujours au moins un !

Autrement dit : vous ne parviendrez jamais à tout savoir, tout dominer. Quelque chose s’échappera toujours. Autrement dit : votre existence est frappée d’un manque constitutif.

Ce rocher manquant m’obsède. J’y vois la figure même de la condition humaine : le manque, la faille, la fêlure, la fente…

Ce rocher toujours absent du jardin Ryoan ji fait écho au célèbre tableau d’Holbein, « les Ambassadeurs » et son énigmatique figure de la mort révélant la vanité des choses humaines




Cette affreuse béance de l’être, cette aspiration déchirante qui nous constitue… La société capitaliste prétendrait combler cette fracture et saturer le désir en lui fournissant à profusion des objets d’assouvissement. Mettre fin au désir : bien sûr, il s’agit d’un cauchemar de science-fiction ou d’un fantasme de société totalitaire ; car heureusement, l’objet du désir, tel le rocher du Ryoan ji, se dérobe sans cesse, est définitivement inatteignable. C’est ce qui nous permet d’entretenir notre vouloir vivre.

En bref, n’oubliez pas qu’au cœur de la réalité, au sein même de l’amour, il y a toujours le manque, le désir c'est-à-dire la mort.

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