dimanche 19 octobre 2008

" Autoportrait au Loup "



Nathalie SHAU

Vous m’interrogez : on ne voit pas bien ce que tu as d’une vampire ; le jour, tu ne dors pas dans un cercueil, tu sembles même travailler comme nous; et la nuit, on ne sait pas ce que tu fais mais on n’a pas l’impression que tu passes ton temps à boire des pintes de sang.


C’est bien simple : les temps changent et le folklore guignolesque du vampire a disparu. Je n’ai donc pas de grandes canines et je n’ai du reste pas beaucoup de goût pour les relations physiques et sexuelles. Mais il m’arrive parfois quand même d’ «aspirer » un/une amante à petites goulées, tout doucement, presque distraitement. Sur le coup, il/elle ne se rend d’ailleurs compte de rien.

En fait, je suis avant tout une « vampire psychique » qui absorbe à distance la puissance de ses victimes et je ne suis donc pas moins dangereuse que les monstres de Transylvanie.

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J’ai tout de même quelques attributs véritables des anciens vampires. D’abord, je suis censée être immortelle mais il est vrai que ça n’a jamais été démontré. Beaucoup de mes collègues ont en fait brutalement disparu et si je pense à ce qui est arrivé à mon ancêtre Carmilla, affreusement décapitée, j’ai de quoi m’inquiéter sérieusement. Dans ma boîte aux lettres, hier, quelqu’un avait gentiment déposé la douille d’une balle. Brrr !!!

Le fait est cependant que mon apparence physique, celle d’une jeune femme, n’a absolument pas bougé depuis quelques années. Simplement peut-être un teint un peu plus clair, plus diaphane, comme si je me dématérialisais peu à peu. Je regrette profondément de ne pas avoir le côté absolument sombre de la vraie Carmilla : une immense chevelure noire et des yeux noirs. Moi, j’hésite entre la dureté ciselée d’une femme de Cranach et l’évanescence délavée d’une Préraphéraélite.



















Rançon de mon immortalité, je suis évidemment stérile et je n’ai pas de règles. Mais cela c’est vraiment agréable et puis j’ai affreusement peur des enfants. Je ne comprends pas que les femmes, qui rêvent d’être enceintes, ne perçoivent pas ce qui relève pour moi de l’évidence : l’enfant est une figure du double, le double de ses géniteurs, et donc de la mort. L’enfant criminel, l’enfant sadique, destructeur et malfaisant, ce n’est pas seulement un personnage de contes de fées.


Quant à ma vie quotidienne, je n’ai en effet pas de préférence particulière pour la vie nocturne mais il est vrai que je redoute la lumière et le soleil. Vous pouvez être sûrs de ne jamais me rencontrer sur une plage de la Méditerranée. Je suis heureuse quand vient l’automne, ma saison préférée, quand une chape de grisaille et de mélancolie enveloppe les villes.

Je terminerai en évoquant deux traits marquants de mon caractère : le narcissisme et l’orgueil.


- Le narcissisme : en tant que vampire, l’amour m’est refusé ; c’est l’impossible même. Je puis fasciner mais pas aimer ou être aimée. Alors c’est moi-même que j’aime. Etre une vampire, c’est d’abord jouir du bonheur, sous sa forme extrême, d’être une femme, le bonheur, totalement incompréhensible, de l’apparence et de la séduction. Je suis donc terriblement préoccupée par mon apparence. D’abord corporelle, d’où l’attention portée à ma silhouette, d’où ma folie du sport, la course à pied et la natation. Je ne mange presque rien, juste des poissons fumés arrosés d’un peu de bière ; je revendique fièrement mon anorexie maîtrisée, je suis légère, aérienne, rapide, inépuisable, presque incorporelle. Et puis, c’est la folie de l’habillement, l’hésitation infinie pour endosser une nouvelle peau, une nouvelle identité. Je suis capable de consacrer toute une journée à l’achat d’une petite culotte et d’un soutien-gorge  mais quand j’ai enfin trouvé l’objet de mes rêves, je me sens tout à coup vidée d’une folle tension, libérée d’une angoisse. Je trouve bien sûr magnifiques les jeunes filles qui arborent un look gothique mais je ne peux plus et ce serait bien sûr trop évident. Alors pour moi, c’est le style hyper classique sophistiqué, tailleur-escarpins, comme pour mieux faire ressortir ma duplicité. Quant au style casual, il évoque trop pour moi le fondamentalisme et la cuculterie écologistes : le naturel et la simplicité, ce n’est pas mon genre. Ni celui de la presque totalité des femmes, qui sont en fait dévorées, je n’ose dire vampirisées, par l’image d’une femme idéale, l’ « autre femme », modèle sans cesse fuyant, à jamais inatteignable.



















- L’orgueil : je n’ai peut-être pas une opinion très élevée de moi-même, mais ce que je refuse de toutes mes forces, c’est le sort commun ; je me suis toujours sentie complètement différente ; j’ai la conviction de ne pas appartenir au même monde et je ne veux donc surtout pas être comme les autres, soumise aux mêmes lois. Je suis surtout une rebelle, je refuse la sujétion, celle du corps et celle liée à l’ignorance intellectuelle. D’où ma volonté de puissance : épuiser les corps, les savoirs. On n’a rien fait si on n’a pas tout fait. Il en va de même dans la vie professionnelle : tout faire pour sortir de la masse des « Humiliés et Offensés ».

J'achève en précisant que j’ai parsemé mon texte d’images de Nathalie Shau, une jeune artiste lituanienne. J’adore Vilnius, une extraordinaire ville baroque. En Lituanie, on est fasciné par la figure du diable et Nathalie a facilement trouvé d’infinies sources d’inspiration dans les très nombreuses et magnifiques jeunes filles gothiques qui arpentent les ruelles de Vilnius. Savez-vous enfin que la langue lituanienne est une langue absolument mystérieuse ? Perdue au milieu de langues slaves avec lesquelles elle n’a aucun lien, elle serait, avec le letton, la langue indo-européenne la plus proche du sanskrit. Je n’ai pas vérifié.


1 commentaire:

Princesseneige a dit…

Elle est superbe, cette image!