dimanche 12 octobre 2008

Cendrillon



















Christian Louboutin


Je me souviens. J’étais à Tokyo, l’an dernier ; un typhon s’était abattu sur la ville m’empêchant de sortir et je lisais l’excellent « Cendrillon » d’Eric Reinhardt. L’histoire folle d’un jeune trader spéculant à la baisse sur des valeurs Internet et accroissant ses positions de manière insensée, à chaque échéance, dans l’espoir de se refaire.

Croisement de l’économie et de la psychologie individuelle : Cendrillon et la réversibilité possible du destin (l’ascension mais aussi la chute), Cendrillon et le triomphe de l’enfant et de l’adulte sur ceux qui l’ont humilié.

Ce qui se passe aujourd’hui sur les marchés financiers s’est déjà produit, il y a près de 20 ans au Japon sans que l’on en tire les leçons. Le Japon a déjà connu l’exubérance financière, les délices de l’inflation boursière et immobilière sous l’effet d’une politique de crédit extrêmement accommodante. Dans les années 80, ce n’était pas de la Chine que l’on parlait mais du Japon qui allait conquérir le monde. Symbole fort : le Rockefeller Center à New-York avait été acheté par Mitsubishi Estate.

Tous les indicateurs économiques semblaient au vert lorsque la bourse de Tokyo atteignit, en décembre 1989, le sommet de sa folle ascension en approchant le niveau des 40 000 points. On payait certes 50 à 60 fois les bénéfices des entreprises. Dans le même temps, la valorisation du seul patrimoine immobilier du centre de Tokyo dépassait la richesse totale de l’Etat de Californie. Les japonais de leur côté ne parvenaient plus à acheter de logement et s’endettaient sur plusieurs générations. Mais tout cela semblait parfaitement normal.

Et puis, après la première guerre du Golfe, le Japon s’est plongé dans l’ère morose et indéfinie de la déflation lente. Avec la remontée des taux, plusieurs établissements bancaires se sont écroulés sous le poids de leurs créances douteuses. L’indice Niikkei est passé en quelques années sous les 10 000 points et n’en a toujours pas décollé. Panne complète de l’activité économique, baisse générale des prix et de la consommation. La situation économique est devenue presque absurde : d’un côté l’Etat qui, pour relancer la machine économique, a massivement emprunté au point que la dette publique japonaise atteint un niveau effrayant, près de deux années de richesse nationale ; de l’autre, les particuliers qui ne consomment pas, qui n’investissent pas mais se contentent de placer leurs revenus en bons du trésor américains, Les particuliers japonais sont ainsi les premiers créanciers des Etats Unis, finançant leur endettement et entretenant leur frénésie de consommation. La déflation a quand même eu des effets positifs pour la classe moyenne japonaise: un appartement à Tokyo ne coûte maintenant pas plus cher qu’à Paris et en plus le crédit est presque gratuit. L’image du système japonais, tout à coup perçu comme rigide et peu efficace, s’est complètement dégradée. Aujourd’hui, plus personne ne parle du Japon. Probablement à tort car les 118 millions de japonais continent de produire une richesse trois fois supérieure à celle de 1 milliard 400 millions de chinois.













Ce qui s’est passé au Japon va maintenant se produire en Europe avec un décrochage plus ou moins brutal et sur une durée indéterminée : une baisse généralisée des prix, de la production, de la consommation et de l’immobilier. Avec l’effondrement des banques, l’argent autrefois surabondant va devenir un bien rare et précieux.

Je suis passionnée par la finance et j’en ai fait mon métier même si je ne suis pas une broker londonienne. Je l’avoue, j’aime la spéculation car j’ai l’esprit de Cendrillon. Je n’admets pas que mon destin soit tracé définitivement. Je veux croire à sa réversibilité toujours possible, l’extrême richesse ou la pauvreté soudaines.

Mais je juge effrayants les commentaires sur la crise financière. C’est l’unanimité de la bêtise, de l’esprit de vengeance et du populisme. On parle comme le Maréchal, il faut revenir à l’économie réelle, moraliser le capitalisme ( ?), renforcer les contrôles ( ?). On a trouvé un bouc émissaire : les banquiers et quelques jeunes traders qui auraient pris des risques démesurés.

Quelle analyse mensongère ! S’il n’est pas contestable que certaines techniques (la titrisation, les options, les put, les call) ont pu accroître les positions spéculatives, les vrais responsables de la crise sont les gouvernements qui ont choisi la politique du déficit en ouvrant les vannes du crédit et en inondant les marchés de liquidités pour entretenir une croissance artificiellement dopée par la consommation. Les spéculateurs, ce sont les Etats eux-mêmes et nous avons tous aimé l’euphorie de la consommation et de l’inflation.

Plutôt que la stabilité, nous aimons tous l’inflation, l’illusion des signes, la satisfaction de l’enrichissement déconnecté du travail.

Il faut évoquer un effrayant précédent. Il faut lire Götz ALY : « Comment Hitler a acheté les Allemands ». L’explication de l’adhésion des Allemands au nazisme est moins idéologique qu’économique. Contrairement à ce que l’on pense généralement, Adolphe Hitler a rencontré un large consensus en conduisant une politique économique résolument « populaire » et dirigée contre les possédants ; un véritable Etat Providence que ne désavoueraient pas nombre de partis aujourd’hui, et pas seulement Besancenot et Le Pen. Hitler a fait fonctionner à plein les machines de l’endettement et du déficit en réprimant de manière impitoyable l’inflation.

Le populisme et l’inflation monétaire par surendettement voilà ce qui gangrène la démocratie et le capitalisme aujourd’hui. J’ai parfois le sentiment d’être à nouveau en Union Soviétique, à une époque où on ne savait pas quel était le prix réel d’un bien. Quelle est la valeur d’une action, d’une entreprise, d’un service, d’un bien immobilier, de matières premières ?

Le rapport de proportion d’un prix, mis en évidence par Ricardo, avec la quantité de travail incorporée a aujourd’hui disparu.

Ne subsiste plus que « le désert du réel ».

3 commentaires:

KOGAN a dit…

"Le désert du réel"......(Serait un beau titre de livre en 2015)Nous sommes en plein dedans depuis au moins 10ans...
Nous vivons une époque formidable où les gens ne travaillent plus que pour allez chercher leur paye...comme des automates.
Le TRAVAIL a été dévalorisé.Lorsque j'ai fini le mien chaque jour, je me pose la question: l'ai-je bien fait?

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Kogan pour votre message.

C'est vrai qu'on a un rapport de plus en plus indifférent au travail. Mais c'est vrai aussi que la sujétion est de plus en plus forte même si c'est pratiqué sous des dehors aimables.

Carmilla

KOGAN a dit…

Le travail, c'est aussi une mesure de construction de la conscience et de l'imagination ...il faut toujours travailler, afin d'éviter le tragique de l'inconscient.

Jeff