dimanche 24 mai 2009

L’Holocauste comme culture



Je tiens « les Bienveillantes » de Jonathan Littell pour l’un des grands livres de ces dernières décennies.


Etrangement, je connais très bien tous les lieux évoqués dans ce roman. Evidemment l’Ukraine : Lvov (Львів), Kiev (Київ), Kharkov (Харкiв) et la Crimée ; la Russie et la percée sur le Caucase, Piatigorsk (Пятигорск ou « Cinq montagnes ») et Kislovodsk (Кисловодск ou les « eaux aigres »), et enfin l’encerclement à Stalingrad ; la Pologne, Lublin, Oświęcim, Kraków ; l’Allemagne enfin, Berlin et les environs de la Baltique de Szczecin à Kołobrzeg .

C’est une espèce de voyage initiatique de l’horreur. Ce qui est troublant, c’est qu’hormis Stalingrad, tous ces lieux sont magnifiques et ont donc la puissance d’attraction du rêve et du cauchemar. A Kiev, il existe ainsi, en plein centre-ville, un grand parc dont l’allée centrale, très large, ouverte sur les nuages, se clôt brutalement sur un balcon surplombant un effroyable ravin. C’est Babi Yar (Бабин яр)….


De même, Oświęcim (Auschwitz) se situe, on l’a rarement dit, au cœur d’une région admirable, au pied des Tatras polonaises.
Jonathan Littell a débuté son livre hanté par la photographie d’une jeune ukrainienne massacrée sur la grande place de Kharkov.




















« Les Bienveillantes » viennent d’être traduites aux Etats-Unis après l’avoir été, l’an dernier, en Allemagne. Il y a beaucoup de critiques acerbes, c’est intéressant. On reproche au livre son « kitsch » sexuel et le manque de crédibilité du personnage principal.


- Le « kitsch » sexuel : on voudrait que l’histoire ne soit que l’histoire de la raison. Pourtant, il est clair que chaque système politique et religieux modèle profondément la vie libidinale individuelle. Je suis ainsi persuadée qu’à l’origine de l’antisémitisme il y a le fait que les juifs ont inventé le monothéisme. Le monothéisme, c’est admirable, c’est l’avènement de la conscience individuelle et responsable, c’est la naissance de l’esprit critique; mais c’est effroyable aussi parce que c’est une exigence formidable et l’assujettissement du désir à l’interdit. Cela fait ricaner tout le monde aujourd’hui de parler d’interdit et la haine des juifs a ainsi souvent un soubassement sexuel; on se veut proches de la nature, voire polythéistes mais nous ne nous rendons pas compte que nous sommes devenus « kitsch » car nous avons évacué le désir et rendue impossible la rencontre de l’autre. La sexualité incestueuse, narcissique, solipsiste, des « Bienveillantes », c’est aussi étrangement la nôtre.


- Le portrait de Max Aue, un SS fin et cultivé, n’est effectivement pas crédible du moins sur le plan historique. Tout le monde sait en effet que les nazis étaient, dans leur immense majorité et à commencer par Hitler lui-même, des gens très médiocres intellectuellement, des petits bourgeois frustrés et pleins de rancœur. Mais le « héros » de Jonathan Littell a une vérité psychologique et révèle au mieux ce que l’on appelle « la banalité du mal ». Le mal, ce n’est pas une entité abstraite ou hétérogène, une alternative, mais une potentialité inscrite en chacun de nous. Ce sont d’excellents citoyens, bons pères de famille, qui, en toute bonne conscience, accomplissent le mal.















Le Mal, c’est en fait l’obéissance. C’est pourquoi, il peut surgir à tout moment et que l’on peut parler, comme Kertesz, de « l’Holocauste comme culture ».


Il y a aujourd’hui, surtout dans la vieille Europe, une volonté de banaliser l’holocauste et d’en faire un événement parmi d’autres de l’histoire. On souhaite évidemment passer à autre chose et se déclarer innocents. La vérité, c’est que la culpabilité est universelle. Les coupables, ce ne sont pas seulement les allemands ou quelques individus en particulier mais c’est nous tous, vous, moi. Personne n’est innocent car le mal se niche en chacun de nous. La grandeur de la condition humaine, c’est de savoir reconnaître et assumer sa culpabilité ( Dostoïevsky).



BEKSINSKI - WALKUSKI

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