samedi 13 mars 2010

Le château de glace


J’ai longtemps été hantée par l’anorexie. Physiquement on en échappe un jour, on en meurt rarement. Psychologiquement, on porte en soi, définitivement, les traits de la lutte anorexique : une force absolue, l’orgueil, l’indifférence aux contingences matérielles. Une incapacité à l’amour.

L’anorexie, ça débute, à l’âge de 15-16 ans, avec la découverte du caractère torturant, obsédant de la sexualité, impossible à satisfaire. Misérables apparaissent les petits flirts, les petites amours en regard de l’attrait mortel de la déflagration, du bouleversement complet de l’identité.

La découverte aussi, à l’adolescence, d’un insupportable assujettissement au corps, à la nature, aux lois de la reproduction. Cette horrible idée que la biologie déterminerait notre destin, serait la justification ultime de l’ordre familial. Pas d’autre horizon que le mariage et la maternité.

Ne plus être soumise au corps, à la nature. Tel fut mon rêve.

Je l’ai déjà dit, on ne devient pas anorexique par imitation, pour se conformer à un modèle, pour jouir de la taille filiforme d’un mannequin.

C’est au contraire parce que l’on refuse tous les modèles.



On devient anorexique par révolte : je n’appartiens pas à ce monde, j’en récuse l’horreur, les sujétions, je suis différente… Je suis plus forte que la nature. Orgueil immense qui se paie d’une effroyable culpabilité.


Monde éthéré, monde de pierre, monde de glace, délivré du carcan des corps…

Mais pas monde atone : la brûlure de la glace…



Après, après, … on sort de l’anorexie en empruntant les voies de l’ascèse ou de la débauche.


Mais tout cela est indifférent. On alterne en fait l’une ou l’autre période… peu importe, il n’y a de toute manière jamais d’amour.


J’illustre ce post avec les photos d’une très jeune photographe américaine, d’origine ukrainienne et passionnée par le Japon (!!!), Jessica Walker.


Jessica Walker

7 commentaires:

Princesseneige a dit…

C'est bouleversant, j'ai envie de m'éclater en larmes.

Carmilla Le Golem a dit…

Mais non, Olga !

Rien n'est jamais triste dans la vie.

Il n'y a que des expériences, toutes diverses, toutes également enrichissantes.

Carmilla

Princesseneige a dit…

Non, ce n'est pas triste mais frappant. Tu racontes cette histoire avec les mots tellement forts qu'on a l'impression de vivre cela en vrai.

Marie a dit…

oui , tu as raison,
nous sommes de vraies révoltées, des antigones insoumises, en refusant ce monde qui nous est destiné, nous préférons fuir dans la mort et un autre monde révé. Tentative desespérée de liberté, mais on y croit car nous sommes pure et entière....et vaillantes. anachistes?

tu en penses quoi?
puis-je utiliser un extrait de ton post pour un de mes articles? c'est sur les Tca mais d'un point de vu sociopolitique ( maladie sociétale et en meme temps expression du refus d'un système)

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Marie !

Bien sûr, tu peux reprendre mes textes. Ce qui compte, c'est l'échange, pas le copyright.

Je te signale que j'ai rédigé deux autres posts sur le sujet : le 25 juillet et le 8 août 2008.

Bien à toi

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonjour, je me permets de vous conseiller un livre qui vient de sortir sur l'anorexie, il s'appelle "L'Hote ou l'histoire d'une dépossession" de Marie Lasbleiz... Il explique clairement ce que tu décris, a travers le beau texte que tu as écris. C'est un temoignage entier, l'evolution des pensées, des habitudes, le pourquoi du comment, la guérison, et un gros travail d'auto-analyse qui ressemble a la tienne...
Amicalement.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci pour votre sympathique message et pour la référence à ce livre que je ne connais pas et que je vais m'empresser de lire.

Carmilla