dimanche 16 mai 2010

« J’irai cracher sur vos hanches »


Ca y est ! Depuis quelques mois, vous êtes de plus en plus nombreux à m’écrire. Pour les commentaires en revanche, vous êtes toujours aussi timides, je ne sais pas pourquoi.

Vous m’écrivez d’abord d’un peu partout, pas seulement de France mais aussi d’Europe Centrale, d’Allemagne, d’Autriche, de Pologne, de Russie. Vous me donnez un gros travail pour vous répondre parce que mon polyglottisme a tout de même des limites.

Ce qui me fait plaisir, c’est que vos lettres sont généralement intelligentes, curieuses, pas trop rebutées par ma dinguerie. Surtout, et c’est pour moi le plus bel hommage, presque personne ne semble mettre en doute que je sois une véritable vampire. Et vous avez bien raison…

Certaines lettres ont même des qualités littéraires. Je me permets d’en poster une aujourd’hui, avec le consentement de son auteur, bien sûr.

Celui-ci se présente comme « le petit bourgeois français » et reconnaît que ses propos « illustrent bien la mièvrerie de l'homme quand il essaye de parler aux femmes ».

« Serais-je en train de dépérir, faisant votre nourriture ? Oui, probablement....oui, j'ai pêché par orgueil, pensant pouvoir vampiriser le vampire....Oui, il s'agissait d'un piège, magnifiquement tendu par vous...

De vous je n'ai connu que des mots et parfois quelques images sélectionnées... de vous je n'ai que la distance, que bribes de distance...et d'une distance féminine, qui donnerait envie de creuser, telle sans doute la pieuvre que vous mentionnez... ce qui me pousse à vous lire, et à vous regarder, est sans doute de l'ordre du désir...sans avoir d'autre de vous que des pixels qui heurtent mon œil affable...bien pauvre est le petit bourgeois français qui tirerait vos nattes...vos attirances et vos dédains... dans les cimetières et les halls de gares...bien sombre le petit bourgeois quand il sentait la terre, et qu'il creusait le trou...dans les allées enneigées et les films d'auteurs...de vous je n'ai que le sans odeur, le stérile et le propre...et le noir n'est qu'une couverture...dans les voyages et les horizons, j'aurais pris votre main pour la mordre, pour la suivre, pour la faire, et pour mon appétit...à travers le vampire et la soif...le désir assouvi, la peau entre les dents... et de votre corps je n'ai pas même l'image, j'ai le désir sans l'image, ni le parfum......."parmi les objets, les corps de femmes sont sans doute les plus beaux", ainsi pourrait raisonner le petit bourgeois français quand il sent monter le sang...quand ses mâchoires se serrent et que ses mains s'agitent...si vous aimez le mal, c'est pour moi comme de penser votre bouche...et si vous louez la douleur, je m'y enfonce et je m'y perds...consentant volontaire et horrifié....de votre laideur, je ne retiendrai rien, de votre beauté, j'ai le sentiment....beauté inutile puisqu'il faudra la souiller...et d'autant plus belle qu'elle est inutile...et d'autant plus belle qu'elle est souillée.....toute puissance féminine, dans les formes qu'elle prend pour parcourir mon sexe....de la pointe à la hanche, tendre et fendue, par extrémités et sillages...autant de prises et de feuillages à l'orée de ce que bientôt, je ne pourrais plus tenir...dans l'entremise de tes humeurs et l'ambiguïté de ton ombre, j'irai mordre et jouir le peu de pudeur que nos vies méritent.



Il est bien seul le petit bourgeois français quand il faudra qu'il explique le sang, le cadavre et la mort, alors même qu'il n'a plus de pantalon, ni de bite.


Bien sûr...il faudra que les retours se hérissent...et que ce soit de plus en plus dur...bien sûr l’anticipation sera inutile...et les bornes cèderont sous le trop plein permanent...toujours happé par les lignes, les troubles et l’obsession.... signe de vos heures...quelques restes sur la table...de l’or, de l’argent et du soufre... bien sûr, il faudra l’extrémité du langage, sans voix ni trahison... sans génie, sans étoile..et tout ce qui brille dans vos mèches...loin des hasards et des ignorances...bien sûr il n y aura ni après, ni avant...il n’y aura rien...rien que je ne puisse ni voir ni sentir...du bout de mes cannes, j’irai chancelant...et il n’y aura pas de répit ...ni de jour après la nuit...ni de toutes ces choses qui s’enchaînent les unes aux autres pour ne pas finir...coulant de pièce en pièce, rien ne pourra être construit…seul, élancé parmi les sages et les idiots...seul solitaire acculé au reste et aux émois, il n’osera pas même dire son nom...étranger parmi les choses...agrippé à tout ce qui tourne et qui s’éloigne...dans une obscure saison, ... et de tout ce qui parviendra encore à briller, il ne restera rien..., comme d’un regard qui n’aurait pas eu lieu.




Tout cela pour vous dire que votre piège de vampire est diablement efficace, et que, ne vous en déplaise, il est bon d'y être pris. Je vous soupçonne de m'avoir administré via internet le baiser de la mort (et j'en savoure encore la douleur). Je vous soupçonne de faire de nombreuses victimes.

Sans rancune. »



C’est bien, n’est-ce pas ? C'est intitulé : "j'irai cracher sur vos hanches". « Le petit bourgeois français » a bien compris la terreur vampirique qui n’est que la forme achevée de la séduction féminine.

« Le monde appartient aux femmes.
C'est-à-dire à la mort.
Là-dessus, tout le monde ment. »

Philippe Sollers « Femmes ».

Je prolonge ce post en l’illustrant de tableaux de Jacek Malczewski (prononcer Mal’tchéfski en accentuant le é). Malczewski, c’est le symbolisme polonais. C’est dément et douloureux. C’est bien l’illustration de la toute puissance féminine.




Jacek MALCZEWSKI

4 commentaires:

sylviaaa a dit…

Ces quelques lignes sont en effet assez belles, sensuelles, presque érotiques parfois. Vous avez bien de la chance d'avoir de tels prétendants..et qu'un homme se roule ainsi dans la boue, rien que pour vous plaire, vous devez en être heureuse. Je suis admirative de cette manière que vous avez de provoquer le désir, de le créer, sans pour autant vous livrer. En vous lisant, je me dis que je suis d'accord avec vous, le féminin est bien tout puissant sur la terre (et tant mieux pour nous!). Mais cette toute puissance n'aurait pas de sens s'il n'y avait pas des hommes miséreux sur lesquels elle puisse marcher (et en ce sens, le "petit bourgeois français" fait bien son travail). Le vampirisme n'a pas de sens sans la souffrance de l'homme et son expression.
Merci encore pour votre blog magnifique (aussi bien les textes que les images, bravo). Chaque semaine, j'attends impatiemment le prochain post. Continuez !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Sylvia pour ce message sympathique et pertinent.

Le vampirisme,c'est effectivement d'abord une esthétique.

C'est aussi un féminisme, mais un féminisme sulfureux avec une nouvelle vision du désir.

Vous posez enfin une question importante : celle de la souffrance de l'homme. C'est vrai que la puissance de la femme génère une angoisse et une frustration accrues chez l'homme. C'est à prendre en compte !

Carmilla

Julie a dit…

Ha ha, j'aimerais bien connaître votre réponse à cette délicieuse lettre privée. Gros sourire.
Hors sujet... Les mots ensorcellent, la preuve :)
Mais comment peut-on s'enticher de quelq'un sans savoir à quoi il/elle ressemble ?
Pffff... 😀

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Votre commentaire me ramène plus de 12 ans en arrière. Je crois que je n'écrivais pas de la même manière à cette époque.

Ce qui est sûr, c'est que pas mal de gens intéressants m'écrivaient alors: des étudiants assez nombreux, des profs, des artistes et même des écrivains.

Aujourd'hui, ça s'est largement tari.

Quant aux lettres passionnées que je recevais, j'essayais toujours d'être polie sans donner, bien sûr, d'espoir. Je n'aime pas faire de peine à ceux qui ont le courage et font l'effort de m'écrire. Surtout, j'attache du prix à marquer du respect à mes lecteurs même si je ne me sens pas en accord avec eux.

Je dois quand même également préciser qu'il m'arrive aussi de recevoir des lettres ou des commentaires d'insulte. Mais je ne les publie pas, je ne veux pas donner ce plaisir à ceux qui me détestent.

Bien à vous,

Carmilla