dimanche 27 novembre 2011

« The heart is deceitful above all things »


Comme je l’ai déjà dit, je vis, par choix, absolument seule.

Ca n’est rompu que par quelques amants, amantes mais ça ne dure jamais plus que quelques jours. Je ne suis pas capable de m’encombrer de sentiments et ça suffit à mon hygiène psychologique.



J’ai tout de même une amie très proche, Daria. On se ressemble de manière troublante : elle est comme moi, une vraie vampire tout droit venue d’Europe Centrale. Elle est évidemment foudroyante, « love at first sight », et est encore plus détachée que moi des préoccupations matérielles.



Bien sûr, il nous est arrivé, après avoir un peu bu, de coucher ensemble, histoire d’apaiser notre nostalgie du pays natal, mais ça n’est pas l’objet premier.


Notre grand plaisir, c’est de nous retrouver certains samedis soir pour aller festoyer dans notre restaurant favori, un japonais, le Kifune. On se fait bien sûr magnifiques, maquillées, habillées et c’est un plaisir immense de se sentir épiées, scrutées, déshabillées. Savourer le plaisir de la beauté, de la souffrance qu’elle suscite chez les autres.


Avec Daria, je retrouve avant tout mes cadres, mon imaginaire. D’abord, on peut se parler en mélangeant les langues. Ca peut sembler bizarre mais ça m’énerve toujours un peu quand je dois me limiter au français pour échanger. Je perçois ça comme un appauvrissement.


Alors, de quoi deux nanas slaves se parlent-elles ?


D’abord de choses futiles, insignifiantes : les fringues, le look, le shopping. C’est le plaisir de la légèreté, de la superficialité de la vie, la jouissance aussi à posséder les instruments triviaux de la séduction. Et puis même si ça peut offusquer, il faut bien reconnaître qu’il y a un abîme, pas seulement érotique mais aussi mental, intellectuel, entre une fille qui porte de la lingerie La Perla et une autre avec des sous-vêtements Monoprix.




Ensuite, c’est notre imaginaire géographique, historique. On n’arrête pas de revenir en Russie, en Pologne, en Allemagne. Et puis, ce sont nos projets de voyages, et nos récentes découvertes. Ce qui nous intéresse évidemment, ce n’est pas la Méditerranée mais c’est l’Asie Centrale, le Moyen-Orient, le Japon.




Enfin, on termine avec les choses sérieuses, toutes nos histoires sentimentales, les amants, amantes qu’on a eus récemment. C’est une vraie compétition entre nous : ce n’est pas tellement qu’on soit des serial-killeuses mais c’est vraiment à celle qui aura vécu l’aventure la plus extraordinaire.

C’est vrai qu’on est détachées des grands idéaux amoureux et pour ça on est bien Russes. Ca peut sembler cynique mais je crois qu’il y a vraiment deux manières pour une jeune femme de considérer la vie sentimentale :



- soit brider celle-ci et canaliser son imaginaire en le cristallisant sous la forme du grand amour mais on sait bien que la belle image se fissure rapidement;


- soit considérer le monde émotionnel comme le champ illimité de l’apprentissage et de la découverte de la vie.



C’est évidemment la seconde voie qui rencontre mes faveurs. Je n’ai jamais été préoccupée par la recherche de l’âme sœur, du compagnon idéal. De toute manière, je me sens toujours en décalage et j’ai rarement le sentiment d’un véritable échange possible avec les autres.



En revanche, j’ai toujours été tourmentée par cette interrogation : qu’est-ce que ça peut donner de vivre réellement ça ? Ca : tout ce qui est en dehors de la banalité quotidienne, ce monde brûlant, horrible et sublime, qui revient sous forme de rêves et fantasmes, qui nous obsède et nous dévore. Pour y accéder, il faut faire fi des critères normaux de la séduction et des rapports humains normalisés pour s’ouvrir aux rencontres les plus diverses : hommes, femmes, vieux, jeunes, beaux, moches, puissants, misérables. C’est l’attrait de l’inconnu, du basculement, du jeu avec le feu.



En effet, ce qui est intéressant dans la vie, ce n’est pas ce que vous maitrisez mais c’est ce qui vous échappe, vous fait vaciller.

C’est rarement reluisant mais l’important, c’est que ce soit inattendu, singulier, que ça vous surprenne vous-mêmes. Bien sûr, ça ne doit pas durer, pas plus qu’une soirée, quelques jours. C’est le plaisir trouble de la perte de son identité, de la blessure narcissique. C’est délicieusement humiliant.


Une femme se fait d’autant plus belle, plus inaccessible qu’elle sait qu’elle sombrera tout à coup dans ce qui la submerge, dans l’illimité du désir.


Une femme ne fait pas l’amour avec son copain (de copain, elle n’en a d’ailleurs jamais) mais avec la mort, le vide. Ce sont des sentiments mêlés de déchéance et de triomphe. Ce terrible plaisir de la chute, de l’avilissement, du mal et de la gloire qui s’ensuit.




Des illustrations diverses de la féminité russe perçue par de jeunes photographes : Anka Zhuraleva, Kyril Samurskiy,Rulon Oboev, Ilya Rashap, Micha Pawlikowsky, Sakharanov, Sonya Kozlova.

3 commentaires:

le pbf a dit…

vous dites des choses sans doute tres belles de s'abandonner au vide, de l effroi de la mort, de cet "en dehors de la banalite quotidienne, ce monde brulant...". Cependant n avez vous pas l impression qu en refusant par principe, et a priori, toute relation qui depasserai quelques jours, deja vous vous protegez dans votre forteresse de maitrise et de souverainete. Vous ne "jouez avec le feu" qu en etant sure de pouvoir oter votre main avant la brulure, petits echauffements sans reelle blessure. Dans votre attrait pour "l inconnu" et le "basculement", vous restez cramponee au garde-fou de vos certitudes, celles d une psychologie soumise a l hygiene. Le "vivre reellement", l'"infini du desir" et toutes ces cruautes que vous pretendez connaitre, pour l hygiene, vous ne les touchez qu avec des gants. Le "jamais plus de quelques jours" vous premunit de toute noyade reelle. Du desir vous ne consommez que les images.
(Vous me pardonnerez ce ton "donneur de lecon" - qui est aussi souvent le votre. Sans doute y verrez vous transpirer malgre tout quelqu'attraits.)

Carmilla Le Golem a dit…

Merci, le pbf, pour ces remarques sans doute justes et pertinentes.

N'oubliez pas cependant que je suis une vampire. Ca peut sembler un peu kitsch mais c'est pour moi une position féministe qui conduit à revendiquer une sexualité multiple et plurielle. C'est l'émergence d'un pouvoir nouveau, féminin celui-là.C'est vrai qu'on est loin de l'amour et de la passion mais peut-être qu'on n'a pas encore désacralisé la sexualité.

Donneuse de leçons ? Oui, j'en ai conscience. Je voudrais l'éviter mais je me laisse emporter par mon militantisme et mon allergie au conformisme ambiant...même si je sais que j'adopte aussi, parfois, un autre conformisme.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…
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