dimanche 16 septembre 2012

« Terres de sang »




Je poste ici, en introduction, trois photos de l’un des lieux les plus sinistres de l’histoire de l'humanité: Babi-Yar.


Là, au mois de septembre 1941, presque au centre de Kiev, dans ce qui est maintenant un grand parc, les Allemands ont assassiné, en une journée, 35 000 juifs dont les cadavres ont été déversés dans le petit ravin ici photographié. C’était le début de la Shoah par balles.


Babi-Yar, je me suis rendue compte que presque personne ne connaissait à l’Ouest. Et même, plus généralement, que presque tout le monde ignorait ce qui s’était passé en Europe Centrale entre 1930 et 1950.


C’est sûr qu’en Europe Centrale, le poids de l’histoire demeure infiniment lourd. Comment d’ailleurs ne pas être hanté par les fantômes de l’horreur quand on se trouve en Ukraine, en Pologne ou en Biélorussie ?


Mais c’est extraordinaire aussi à quel point les récits historiques diffèrent selon les pays.
J’ai par exemple été très choquée par le musée-mémorial de la seconde guerre mondiale de Caen ou par le film « Shoah » de Claude Lanzmann. C’est incroyablement partiel et partial.


Ici, le symbole et le modèle de la barbarie humaine, c’est Auschwitz. Quand les soldats américains et britanniques libérèrent les camps allemands, ils crurent avoir découvert les sommets de l’horreur. Mais « ils étaient loin de la vérité. Le pire était dans les ruines de Varsovie, dans les champs de Treblinka, les marais de la Biélorussie ou les fosses de Babi-Yar. »


Et il ne faut d’ailleurs pas seulement incriminer les Allemands dans la perpétration des meurtres politiques de masse. Il faut y ajouter, à partir de 1930, l’imposition du joug stalinien.


« Les tueries de masse commencèrent par une famine organisée par ­Staline en Ukraine qui fit trois millions de victimes. On vit des mères supplier leurs enfants de les manger pour qu'ils ne succombent pas à leur tour, tout cela sous les yeux impassibles des commissaires soviétiques affamant sciemment les Ukrainiens.


L'effroyable se poursuivit, côté soviétique, avec la Grande Terreur, qui coûta la vie à 700 000 personnes. Puis, avec le pacte germano-soviétique, les deux pires dictatures d'Europe coopérèrent à la destruction de 200 000 Polonais entre 1939 et 1941. 






Lorsque Hitler envahit la Russie, l'horreur changea de camp. Les Allemands tuèrent plus de quatre millions de Soviétiques, en les affamant, soit lors du siège de Leningrad, soit dans les camps de prisonniers. Puis, voyant qu'ils ne parviendraient pas à gagner la guerre rapidement, les nazis passèrent à la «solution finale» de la question juive, tuant et gazant dans ces «terres de sang», en Ukraine, en Pologne et dans les pays Baltes, 5,4 millions de Juifs. 




«Allemands et Soviétiques s'incitèrent mutuellement à des crimes toujours plus grands», comme à Varsovie, où les Allemands tuèrent près d'un demi-million de civils grâce à la complicité tacite de l'Armée rouge. »


«L'époque des tueries massives en Europe a été surthéorisée et mal comprise.» C’est vrai que le rideau de fer et la martyrologie soviétique ont totalement opacifié les choses.


Aujourd’hui,heureusement, les archives s’ouvrent et il devient possible de revisiter l’histoire.


L’extraordinaire livre de Jonathan Littell : « Les Bienveillantes » a ouvert une première brèche.

Il faut maintenant absolument lire : «Terres de sang – L’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy SNYDER (Gallimard). L’historien américain, qui est un grand polyglotte, revoit entièrement le récit et les interprétations des événements qui ont conduit au massacre de quatorze millions d'êtres humains dans les «terres de sang», c'est-à-dire ces terres de l'est de l'Europe, entre la Pologne, la Biélorussie et l'Ukraine, où se sont concentrées, entre 1933 et 1945, les principales tueries soviétiques et nazies.


Un livre qui remet en cause pas mal d'idées reçues mais tout de même…. : 14 millions de mort en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie et les Pays Baltes, c’est 13 millions de plus que « le nombre de victimes américaines et britanniques réunies de la Seconde Guerre Mondiale ».


Photos de Carmilla Le Golem à Babi-Yar puis dans les cimetières juifs de Berditchev et Sharhorod. Le shtetl de Sharhorod, le mieux conservé d’Ukraine. Cimetières polonais et ukrainiens de Zhitomir.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous êtes le plus finement cultivé
de tous les vampires que je fréquente ; votre dernière com. est excellente ; je cherche dans mes malles l'anthologie de la poésie russe publiée par la "grandissime"
Katia Granoff ,née en Ukraine...
J'ai lu ,jadis, un peu le russe ,très défraîchi ,hélas ; m'y replonger ( des muscles froissés en voyage me retienne clouée)d'autres photos ,mille grazie ,Lola

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Lola !

Je suis toujours un peu gênée par les compliments surtout que pour moi, je le répète, mon blog n'est qu'une distraction.

Et puis..., une vampire qui serait inculte, est-ce que ça ne serait pas une faute de goût ?

Ca fait aussi partie de la séduction et des jeux de pouvoir.

Sinon ... apprendre le russe..., ce n'est sûrement pas plus difficile qu'une autre langue mais j'imagine mal qu'on puisse y arriver sans vivre dans le pays.

Cependant, si vous lisez le cyrillique, c'est très bien et vous connaissez l'essentiel pour envisager un voyage là-bas.

Carmilla

nuages a dit…

Un billet intéressant et prenant à la fois. Sur le sujet, je conseillerais le film "Shoah par balles", de Romain Icard, sur le travail de mémoire effectué par le père Desbois.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

J'avoue ne pas avoir vu ce film.
Je vais donc le rechercher.

Carmilla