samedi 16 novembre 2013

Du nationalisme

En ce moment, il y a deux matchs de foot importants entre la France et l’Ukraine.

Evidemment, je suis à fond pour l’Ukraine.


C’est vraiment idiot et j’en ai presque honte : parce que je n’y connais rien, que les joueurs de foot, ça ne me fait vraiment pas rêver et qu’enfin l’Ukraine, j’ai bien du mal à m’identifier à ce pays dont il est difficile de repérer l’histoire et la culture propres.


Pourtant je crois que presque tout le monde réagit comme moi. Personne n’échappe à l’émergence irrationnelle de ce vieux fond nationaliste même si le nationalisme, ça fait vraiment partie des passions mauvaises et si c’est quelque chose de finalement très récent (le début du 19 ème siècle avec l’émergence des Etats nations).


D’ailleurs, le foot, sous certains aspects, je trouve quand même ça très bien. Les intellos ont beau jeu de dire que c’est un sport de crétins mais pour les mecs, le foot, c’est une soupape de sécurité, c’est la possibilité de s’affranchir, temporairement, des contraintes de la socialité; avoir le droit, pendant quelques heures, de faire tout ce qui est réprimé par la société : se bagarrer, s’insulter, se défoncer, se déguiser, être raciste, machiste, vulgaire… Retrouver sa bêtise primitive, c’est important dans une société de plus en plus infantilisante et castratrice et je trouve ridicules toutes les mesures répressives prises pour que joueurs et supporters deviennent des personnalités exemplaires. On aime justement bien les joueurs de foot parce qu’ils sont affreux, bêtes, méchants, iniquement riches, bref tout ce qu’on aimerait bien être soi-même en toute impunité. C’est vraiment dommage qu’il n’y ait pas, pour les femmes, de semblable exutoire. On n’a que Nabilla, Britney Spears et Paris Hilton, universellement moquées et détestées mais secrètement adorées, comme porte-paroles de notre droit à la connerie.


Mais le foot, ça véhicule aussi et surtout le nationalisme et le chauvinisme les plus sinistres. C’est devenu l’une de ces grandes messes collectives aujourd’hui si prisées, comme les méga-teufs et les marches des fiertés. C’est curieux d’ailleurs ce besoin de se rassembler, de faire masse à notre époque de narcissisme effréné.


Dans le nationalisme, il y a quelque chose de trouble qui se joue. On dit communément que ce fantasme d’unité, de toute puissance collective, ça relève d’un instinct grégaire qui serait étranger à notre psychologie individuelle : pris dans un groupe, on ne serait plus les mêmes.


Freud a écrit un bouquin, « Psychologie des foules et analyse du moi» (1921) qui infirme cette analyse : il n’y a pas de différence essentielle entre la psychologie individuelle et la psychologie collective. Au sein d’une foule, on continue de jouer nos conflits intimes. Il y a même une charge érotique, une puissance libidinale très fortes dans une foule. On y rejoue la demande éperdue d’amour de notre enfance. Et cette demande éperdue, elle n’est pas belle parce qu’on est prêts à tout pour ça. Pour l’enfant puis l’adulte, l’autre n’est jamais un ami, un frère, une sœur, un collègue mais toujours un rival, un ennemi,  vis-à-vis du quel on entretient une jalousie primitive.


L’hostilité, la haine, ce sont les pulsions premières de l’homme, tel est le message, incroyablement pessimiste, de Freud. Curieusement, c’est un aspect essentiel de sa pensée qui est généralement occulté au profit de recherches largement formelles.


Mais on ne peut heureusement pas donner libre cours à notre agressivité fondamentale, parce qu’il y va de notre survie propre. On est obligés de pactiser, de composer avec le principe de réalité. C’est pour ça qu’on s’associe. On met alors en avant un strict principe d’égalité qui n’est que l’envers de notre hostilité primitive. On peut même dire que la revendication égalitariste est d’autant plus forte que la haine est vive.


Mais c’est comme ça qu’on parvient à aimer la foule, la collectivité, la nation. On a l’impression qu’on peut y être aimés en toute impunité.



George GROSZ (1893-1959), évidemment, qui mieux que nul autre a su peindre l’horreur du totalitarisme.

2 commentaires:

nuages a dit…

Dans tous les matches de foot internationaux ou nationaux, je me moque éperdument de qui gagne et qui perd. Ça me semble lamentable et sans intérêt, à part l'intérêt sociologique, ou même anthropologique.

Belle série d'oeuvres de George Grosz, j'ai eu l'occasion d'en voir des dizaines récemment au Musée Félicien Rops à Namur (consacrées à la guerre de 14 et au militarisme), c'est vraiment fort et décapant.

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Nuages,

Je vous croyais fervent supporter d'Anderlecht.

Sinon, je pense que le foot a quand même un rôle de regulation sociale. Imaginons qu'un gouvernement totalitaire decide d'interdire les matchs de foot. Ça aurait des conséquences psychologiques et sociales incalculables.

Carmilla