samedi 12 décembre 2015

Noël littéraire



Bientôt les fêtes ! Alors, je choisis, aujourd'hui, de vous prodiguer quelques conseils de cadeaux littéraires. C'est sans prétention, injonction, c'est simplement ce qui m'a alimentée ces dernières semaines. La dernière fois, je vous avais dit tout le bien que je pensais de "La petite femelle" de Philippe Jaenada et de "Boussole" de Mathias Enard. J'ajoute aujourd'hui:

- Eirikur ÖRN NORDDAHL: "ILLSKA, Le Mal". Un livre d'une singularité totale. Son auteur, d'abord, est Islandais. Les Islandais, ce sont les plus grands lecteurs au monde (avec les Finnois) et ils produisent, même s'ils sont très peu nombreux (300 000 habitants), une littérature incomparable. C'est pour ça que je suis allée, récemment, à Helsinki et que je crève, aujourd'hui, d'envie d'aller à Reykjavik. "ILLSKA" parle de l'Holocauste et d'amour, d'Islande et de Lituanie, d'Agnès qui aime Omar mais aussi, scandale incompréhensible, un néonazi, Arnor. "Illska" interroge l'amour, ses ambiguïtés, le fascisme et ses avatars contemporains. Un bouquin incroyable. Dans la foulée, j'ai entamé la lecture d'autres auteurs islandais, je vous en parlerai, probablement, prochainement, bientôt.


- Didier BLONDE: "Leïla Mahi, 1932" (Prix Interallié de l'Essai 2015). Aimez-vous Modiano ou "Nadja" d'André Breton ? Alors, ce livre vous enchantera. L'image obsédante d'une morte mystérieuse, très belle et séduisante, dont on essaie de partir à la recherche. Mais rechercher quelqu'un, c'est aussi entreprendre une réflexion sur soi-même, sur la façon dont on s'est progressivement construit.

- Agata TUSZYNSKA: "La fiancée de Bruno Schulz". Bruno Schulz, peintre (j'ai posté beaucoup de ses œuvres et quelques photos personnelles) et écrivain de génie est l'un des représentants majeurs de la littérature polonaise d'avant guerre (aux côtés de Witkiewicz et Gombrowicz). Il a été assassiné, en 1942, dans sa ville de Drohobycz (aujourd'hui en Ukraine, un bled que je connais par cœur). Il était incroyablement tourmenté, torturé, mais j'ai appris, dans ce bouquin, qu'il avait eu une compagne et une muse. Un livre sur lequel tous les "Schulziens" (ils sont plus nombreux qu'on ne le pense et, notamment, en France) se précipiteront. Je précise, par ailleurs, que l'auteur, Agata Tuszynska, est l'un des grands noms de la littérature polonaise contemporaine.


- Romain SLOCOMBE: "Un été au Kansaï". Romain Slocombe est connu comme auteur de romans policiers (je recommande "Averse d'automne"). Il est passé par la BD, l'illustration, la photo. Son territoire de prédilection, c'est le Japon qu'il connaît à merveille. "Un été au Kansaï" s'arrête brutalement avec l'attaque atomique sur Hiroshima en 1945. C'est un échange épistolaire, étonnant, entre un diplomate allemand à Tokyo et sa sœur restée à Berlin. C'est admirablement documenté sur une période tragique, occultée: le Japon durant la guerre. Tous les amoureux du Japon doivent lire ce livre ainsi que tous les autres bouquins de Romain Slocombe.

- André MARKOWICZ: "Partages". André Markowicz est le grand traducteur de Dostoïevsky (aux éditions Actes Sud). Avant Markowicz, il faut bien le dire, les lecteurs français avaient une vision fausse de l'écrivain Dostoïevsky: une écriture classique, policée, proche de celle du roman français du 19 ème. Or, la véritable écriture de Dostoïevsky, en russe, est presque célinienne: très incorrecte, rédigée au fil de la pensée, sans préoccupation de beau style. Dans ce livre, composé de recueils d'articles, André Markowicz évoque le trouble du pluri-culturalisme, la difficulté et la richesse d'être traversé par plusieurs langues. Ceux qui sont bilingues, ou plus, comprendront.


- Christophe BOLTANSKI: "La cache" (Prix Femina 2015). Une prestigieuse famille. Christophe, journaliste, est le neveu de l'artiste (mondialement célèbre) et du linguiste et le fils du sociologue. Mais le livre ne coïncide pas du tout avec autant de gloire. C'est même, aussi, lamentable, minable, ridicule. Une extraordinaire galerie de portraits organisée autour d'un hôtel particulier de la rue de Grenelle. Des personnages déconcertants, comiques et tragiques (des clochards ou des êtres éthérés ?), dont le destin épouse celui de l'histoire.

- Agnès DESARTHE : "Ce cœur changeant" (Prix littéraire du Monde 2015). Un vrai roman d'aventures à la Alexandre Dumas. J'ai trouvé d'une tristesse poignante le destin de l'héroïne ballotée, au début du 20 ème siècle, entre le Danemark, l'Afrique, Paris. Une terrible cruauté. C'est aussi un roman philosophique (évoquant Spinoza) et un roman d'apprentissage au féminin.


- Alice ZENITER: "Juste avant l'oubli". J'avais beaucoup aimé le premier livre d'Alice Zeniter ("Sombre dimanche" qui parlait de la Hongrie). En regard, "Juste avant l'oubli" est un peu décevant mais c'est, tout de même, très curieux. Tout se passe sur une île perdue des Hébrides écossaises (ça m'a, tout de suite, donné l'envie d'aller là-bas) Est évoqué un écrivain fictif disparu brutalement qui s'immisce, néanmoins, dans la vie d'un couple. L'intrigue générale scrute la fin progressive d'un amour. Etrange, étrange...


- David GRAEBER: "Bureaucratie". David Graeber est, dit-on, un éminent économiste et anthropologue britannique. Il se présente lui-même, non sans vantardise, comme anarchiste. Son précédent bouquin ("Dette: 5 000 ans d'histoire") ne manquait, effectivement, pas de qualités. Le thème, aujourd'hui abordé, me passionne: l'effroyable bureaucratisation de nos sociétés qui en vient à modeler nos vies et nos mentalités. Il y a là, effectivement, une terrible oppression silencieuse. Malheureusement, Graeber, il est à peu près aussi subtil que Bourdieu ou Mélenchon. Il ne sait penser qu'à la hache. Raconter que la bureaucratie, c'est un instrument du capitalisme, financier notamment,  ça ne nous avance pas beaucoup et ça fait même presque rigoler. Graeber, Piketty, D'Orlean, même combat! Dommage! Peuvent mieux faire.


- Michel de M'UZAN: "L'inquiétude permanente". Les livres de psychanalyse, c'est souvent ennuyeux à périr: des textes purement théoriques, une écriture de plomb, ultra-codée. Le livre de Michel de M'UZAN  (qui a accompagné presque toute l'histoire de la psychanalyse en France) échappe à ce défaut. Il relate quelques histoires fascinantes: une jeune femme cancéreuse, un matador, l'étrangeté, le dédoublement, les états-limites. A lire, absolument, par tous ceux qui aiment la psychanalyse...

Tableaux de Sonia DELAUNAY (1885-1979), évidemment.

3 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonsoir CARMILLA

Quel talent, vous êtes intarissable et bonne critique, comment trouvez-vous le temps?

Je suis d'accord pour BOURDIEU et MELENCHON, celui-la devrait investir chez un bon dentiste, c'est doublement disgracieux quand... il ouvre la bouche...

Bien à vous

JEFF

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Jeff,

J'espère simplement ne pas être "bavarde" car je ne pense pas être une grande critique. Je recense simplement ce que j'ai lu.

Quant au temps, il est vrai que je lis vite mais ça n'est jamais, non plus, un problème quand on a une passion.

Carmilla

KOGAN a dit…


Bonsoir CARMILLA

Non, vous êtes seulement "bavarde" en écriture, mais cela n'est pas gênant et instructif, et c'est silencieux... (humour à la GUILLON).

Un article qui vous vous séduira,et qui touche inévitablement l'économie.

JEFF


http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=2078&ID_dossier=220