dimanche 3 avril 2016

Eclosions littéraires


Voilà les bouquins que j'ai aimés ces dernières semaines. D'abord, de la littérature scandinave:

Jens Christian Grondhal: "Les portes de fer". Par le célèbre écrivain danois; Trois moments de la vie d'un homme: les jeunes années, l'âge de raison, la soixantaine. A chaque fois, la présence de femmes à l'origine de basculements. Les Portes de fer parlent d'amour, de solitude et de désenchantement.


Erika FATLAND: "Sovietistan - Un voyage en Asie Centrale". Par une anthropologue norvégienne. C'est le meilleur bouquin, et le plus juste, que j'ai lu sur ces pays un peu mystérieux et qui font rêver: le Turkménistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et l'Ouzbékistan. Des pays malheureusement presque tous gouvernés par des Pères UBU, féroces et mégalomanes. Il ne s'agit pas d'un simple récit de voyage. L'anecdote, le vécu (avec des situations souvent cocasses), sont sans cesse confrontés à l'histoire, la politique. C'est la grande force de ce livre passionnant. 


Sigrid RAUSING: "Tout est merveilleux - Souvenirs d'une ferme collective en Estonie". Par une anthropologue suédoise. Une ferme collective en Estonie, a priori, ça n'inspire pas beaucoup et on n'a vraiment pas envie d'acheter ce bouquin. Pourtant, il est effectivement merveilleux. C'est le récit d'un séjour d'un an, entre 1993 et 1994, dans un bled situé sur une péninsule de l'Ouest de l'Estonie où réside une petite communauté suédoise. Il décrit très bien ce qu'était l'Union Soviétique ainsi que le désarroi créé par sa chute. Une vie lamentable et sordide, hors du temps et de l'histoire. Mais aussi des instants de beauté et de convivialité. C'est très bien écrit et Sigrid Rausing mêle l'histoire, l'étude politique (les relations difficiles entre Estoniens et Russes), le récit de voyage.


Jean-Paul KAUFFMANN: "Outre-Terre". Le moins qu'on puisse dire, c'est que Jean-Paul Kauffmann ne craint pas de dérouter ses lecteurs. Parler de l'enclave de Kaliningrad, de la bataille d'Eylau et du colonel Chabert de Balzac, ce n'est vraiment pas très actuel et il faut oser. J'ai adoré ce bouquin. Certes, les lieux me sont familiers et ils sont intelligemment décrits mais ce livre parle aussi de la mémoire, de l'histoire, de la transmission.


Jean ROLIN: "Peleliu". Encore plus singulier que Kauffmann. Peleliu, je dois avouer, à ma grande honte, que je ne connaissais pas. Pourtant, cette île minuscule du Pacifique a été le théâtre d'une effroyable bataille entre Américains et Japonais à l'automne 1944. Une bataille totalement inutile. Jean Rolin s'est rendu là-bas et il décrit, dans une prose magnifique, avec une précision maniaque, ces lieux hantés, anodins et terrifiants. Du très bon Jean Rolin.


Emmanuelle RICHARD: "Pour la peau". Rien de plus difficile que le genre érotique, sensuel. On s'égare généralement dans les clichés."Pour la peau" évacue tous les stéréotypes. La qualité et la beauté de son écriture de son écriture font de ce livre une révélation. Magnifique.


Emmanuel CARRERE: "Il est avantageux d'avoir où aller". Un Emmanuel Carrère, c'est toujours bien. J'ai quand même été un peu déçue par ce gros bouquin qui est un recueil d'articles. Ce livre n'apporte en fait pas grand chose quand on a lu, par ailleurs, les romans d'Emmanuel Carrère. Ça apparaît beaucoup plus anodin, moins évocateur.


Catherine MILLOT: "La vie avec Lacan". Un petit bouquin, très bien écrit (couronné par le prix André Gide). Catherine Millot a partagé la vie de Lacan durant les années 70. Elle en dresse un portrait étonnant, évidemment pittoresque et plein d'humour. Ce qui est intéressant, c'est que ces anecdotes éclairent un peu la pensée de Lacan (à laquelle, je dois l'avouer, je ne comprends pas grand chose).

Elisabeth BARILLE: "L'oreille d'or". Je considère Elisabeth Barillé comme l'un des très bons écrivains français contemporains. Elle révèle ici qu'elle est devenue, dans son enfance, accidentellement sourde d'une oreille. Un handicap mais dont elle ne s'apitoie pas. Ça a peut-être même été une chance. Une réflexion sur la création et la nécessaire protection des injonctions du monde extérieur.


Tableaux d'Odilon REDON (1840-1916), l'un de mes peintres préférés.

9 commentaires:

nuages a dit…

Vous avez toujours de très bons conseils de lecture. Et tous ces livres, vous les conservez ? Si oui, vous devez avoir une bibliothèque gigantesque.

J'ai aussi beaucoup aimé "Sovietistan", un de ces livres que l'on termine à regret.

Pour ce qui est des fermes collectives, je serais intéressé de lire des bouquins qui me diraient ce qu'elles sont devenues. Qu'est l'agriculture russe aujourd'hui ? En ex-RDA, les grands fermes collectives, d'après ce que j'ai lu, n'ont pas été morcelées mais sont devenues des sociétés privées.

Le dernier livre de Jean Rolin, c'est vraiment mieux que les précédents ? J'avais été déçu par "Ormuz" et "Les événements", beaucoup trop désincarnés pour moi.

Enfin, en ce qui concerne l'enclave de Kaliningrad, je vous recommande encore une fois le film de Volker Koepp, "Kalte Heimat" (Froide patrie), regroupé avec trois autres films dans le coffret "Elégie de la Sarmatie". Je sais que vous préférez voir les films en salle, mais là ça vaut vraiment la peine.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,
Merci Nuages,

Oui, j'ai de grandes bibliothèques mais, malgré tout, je suis obligée de faire régulièrement une sélection et de jeter des livres même si je déteste ça.

Oui! le livre de Jean Rolin, c'est mieux que les précédents. Je n'avais pas non plus aimé "Ormuz" et j'avais à peine feuilleté "Les événements".

Sur l'agriculture russe, vous me prenez un peu au dépourvu. Je sais simplement que ce n'est pas brillant et que la Russie est grande importatrice alimentaire. C'est surtout parce que le rouble est très surévalué et que les produits russes ne sont pas compétitifs; mais c'est quand même étonnant pour un pays aussi vaste.

Je vais en effet rechercher le film de Volker Koepp.

Je vous conseillerais bien aussi de visiter Kaliningrad mais ça demeure compliqué d'obtenir un visa russe pour un voyage individuel.

Bien à vous

Carmilla

nuages a dit…

Vous pourriez donner ces livres à des bibliothèques, ce serait sans doute une bonne idée.

Ici à Bruxelles, dans mon quartier, il y a quelques "boîtes à livres" publiques, on y met les livres dont on ne veut plus, et ça fait le bonheur de certains passants.

Carmilla Le Golem a dit…

Vous avez entièrement raison, Nuages !

Mes réticences tiennent au fait que je me débarrasse des livres que je n'ai pas aimés. Et ce que l'on n'a pas aimé, j'estime que ça ne se donne pas.

Ensuite, il faut bien l'avouer, je suis paresseuse et j'ai souvent tendance à penser que je n'ai pas le temps.

Enfin, je ne sais pas si les bibliothèques, en France, reçoivent les dons.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILLA

Merci pour votre guidage littéraire.

Je vais choisir "Les Portes de Fer"

"Les femmes sont omniprésentes dans la vie du narrateur, à chaque "basculement" dont elles sont souvent à l’origine..."

Ce n'est pas moi qui le dit...

Je vais quérir cet ouvrage car étant en plein dans la dernière tranche d'âge...je vais pouvoir vérifier...

Mais ma devise depuis un bon moment est:

Tu m'aimes...C'est très bien.
Tu ne m'aimes pas... c'est très bien aussi.

C'est toujours de l'humour...et surtout sans amertume...
que chacun choisisse son degré.

Bien à vous
JEFF

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Jeff,

"Les portes de fer", c'est un très bon choix.

Grondhal, c'est un écrivain très intéressant et qu'on a toujours grand plaisir à lire.

Sinon, vous semblez considérer les choses avec distance (ce n'est pas une critique).

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILLA

Cela a été avec une réelle émotion, et un plaisir télépathique certain, en empruntant les yeux du narrateur Jens Christian GRØNDAHL de retrouver dans ce triptyque de vie, la complexité de nos propres vies, comme celle des autres…

J’ai ressenti dans récit, une mélancolie gaie, comme si cet oxymore pouvait correspondre…

Etant pratiquement de la génération du narrateur, cela m’a d’abord rappelé deux souvenirs tragiques : la mort du père, les deux cancers de ma mère, et leur rémission à 82 ans, et plus joyeusement , un voyage étudiant de fins d’études à BERLIN (des deux côtés), et la rencontre d’une jeune fille, elle s’appelait MARINA, et habitait BERLIN EST, mais je n’ai pas eu la même histoire (ERIKA dans le livre), ni eu cette amusante réflexion « on dirait un oisillon tombé du nid »… car étant trop timide à l’époque…

Pour en revenir à ce roman traduit avec finesse par le talentueux Alain Gnaedig
J’ai instinctivement deviné la fin du livre dès le début du dernier chapitre et de cette « rencontre à retardement » avec la jeune femme photographe…avec un léger picotement aux yeux, et en vue « des colonnes rongées par le temps. »

Comme le disait si justement Marco Vargas Llosa

« Une poignée de personnages littéraires ont marqué ma vie de façon plus durable qu’une bonne partie des êtres en chair et en os que j’ai connus. »

Tzvetan Todorov ne rappelle-t-il pas également que« la littérature est la première des sciences humaines.

Faudrait-il alors, ne vivre que par les littéraires pour se sentir bien dans nos existences? Je le crois…oui, comme un complément bienfaisant.

Le roman ne reste-il pas aussi une forme de thérapie solitaire plus bénéfique… qu’une analyse freudienne dont on sort tardivement?

« Ou bien naître à 30ans » comme le dit JC GRØNDAHL.

Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je déduis de la rapidité avec laquelle vous avez lu ce livre que vous l'avez sans doute beaucoup aimé.

C'est vrai que je l'ai moi-même lu d'un trait.

Connaître une Allemande l'Est, c'était autrefois très difficile, voire impossible car ça l'exposait à beaucoup d'ennuis.

Je partage enfin le point de vue de Todorov et l'idée d'un effet thérapeutique des romans.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Quand on aime quelque chose on est hors du temps, je l'ai lu d'un trait également.

Finalement et par la suite je suis resté prudemment à l'OUEST, et pour cause comme vous le dites...nous avons échangé quelques lettres, j'ai reçu un jour, en retour d'un foulard envoyé derrière le rideau de fer, des dessous de verre en métal jaune, frappés de l'ours berlinois...seul souvenir.

Triste réalité cachée de cette époque que ce mur.

Bien à vous
Jeff