samedi 7 janvier 2017

Lectures pour des temps nouveaux


Je reviens, aujourd'hui, d'un petit voyage (relation à venir), alors je suis fainéante! Je me contente, donc, de vous recenser les bouquins que j'ai aimés ces derniers mois:

Christoph HEIN:  "Le noyau blanc". L'un des grands écrivains allemands contemporains. A vécu en RDA. J'ai adoré ! L'incompréhension et la difficulté à s'adapter à une nouvelle société beaucoup plus compliquée et contraignante qu'on ne l'imaginait, où rien ne peut s'arranger, où tout est encadré par les règles bureaucratiques et l'esprit juridique. Je recommande également, vivement, son précédent bouquin: "Paula T. une femme allemande".


Négar DJAVADI: "Désorientale". Une révélation. Un premier roman, drôle et bouleversant, la saga d'une famille iranienne qui traverse une histoire particulièrement mouvementée. Une réflexion, aussi, sur l'appartenance à deux cultures (iranienne et française). Un livre qui est également musical (je recommande sa bande-son que vous pouvez trouver sur Internet) et cinématographique (c'est la profession de Négar Djavadi).


Andreï IVANOV: "Le voyage de Hanumân". Le récit de l'exil de deux paumés au Danemark et leur vie quotidienne dans un camp de réfugiés. Le sort tragique des immigrants, exilés, réfugiés. C'est aussi une description au vitriol du Danemark, pays censé être celui du bonheur. Qu'est-ce que c'est le bonheur aujourd'hui ? C'est réchauffant, lénifiant, mais c'est aussi écœurant, terrifiant. Andreï Ivanov est né en Estonie mais a choisi d'être apatride et écrit en russe. Un livre féroce, d'une grande actualité.


Benedetta CRAVERI: "Les derniers libertins". Liberté, aristocratie, raison, nouveauté! S'il est un siècle fascinant, c'est bien le 18ème en France où la liberté des mœurs et l'audace de pensée n'ont, sans doute, jamais été aussi grandes. Beaucoup de livres autrefois publiés au 18 ème siècle, pas seulement le Marquis de Sade, seraient aujourd'hui censurés, interdits. Ça interroge sur notre supposée liberté des moeurs actuelle. Un livre merveilleux, très documenté, très érudit, par une Italienne. Le destin de 7 grands libertins (le duc de Lauzun, le vicomte de Ségur, le vicomte de Brissac, le comte de Narbonne, le chevalier de Boufflers, le comte de Vaudreuil, le comte de Ségur) enfants des Lumières et précurseurs de la révolution même s'ils en ont été les victimes;


Kjell WESTO: "Un mirage finlandais". Depuis quelque temps, je m'intéresse à la Finlande. Curieusement, c'est un pays dont presque tout le monde se fiche complètement. On croit que c'est un pays perdu dans les brumes et les glaces (ce qui est faux car le climat est, en fait, assez doux voire relativement chaud en été et même l'hiver, ça n'est pas si terrible). Le poids de l'histoire y est pourtant très fort: qui connaît la guerre civile finlandaise, en 1918, qui continue d'imprégner les mentalités aujourd'hui ? Chaque Finlandais a, aujourd'hui, un rapport complexe avec les Suédois (2ème langue officielle du pays) les Russes et aussi les Allemands. J'ai adoré ce thriller écrit par un Finnois suédophone. Palpitant ! Dépêchez-vous de le lire même si la Finlande ne vous branche pas plus que ça. Vous apprendrez, comme moi, plein de choses.


Timothy SNYDER: "Terre noire. L'holocauste et pourquoi il peut se répéter". Le grand historien américain a bouleversé notre vision de la seconde guerre mondiale. Il faut absolument avoir lu "Terres de sang". Oserais-je le dire ? On ne sait pas, en France ce qu'a été la seconde guerre mondiale: on a, même, été relativement peinards et tant pis si je choque en écrivant ça ! Ce nouveau livre de Timothy SNYDER est ultra-dérangeant: difficile à lire et d'une érudition extrême.Très puissant ! Il retrace toute la genèse de la Shoah et va jusqu'à affirmer, en conclusion, qu'au regard des préoccupations "écologiques" actuelles" un renouvellement des massacres de masse est aujourd'hui possible.


Julia KRISTEVA: "Je me voyage". Kristeva, je trouve ça, dans son ensemble, très pesant. Ça m'assomme et, à vrai dire, je ne comprends pas grand chose à ses essais. Quant à ses quelques romans, c'est, pour moi, une catastrophe! J'ai quand même bien aimé son dernier bouquin où elle parle, un peu, d'elle même et notamment de sa jeunesse en Bulgarie. Ça me l'a rendue plus proche  parce que j'aime bien la Bulgarie. Ce qui m'a sidérée: Sollers n'a jamais foutu les pieds en Bulgarie et ne connaît pas trois mots de la langue !

 

Olivier ROY: "Le djihad et la mort". Et si le but des terroristes était non pas de tuer mais de mourir ? Si le Djihad était pour eux non pas un projet politique mais un prétexte pour se suicider ? Une thèse très iconoclaste, très (violemment) critiquée mais aussi, à mes yeux, très féconde. J'aime bien Olivier Roy, grand orientaliste (d'abord spécialiste de l'Iran et de l'Afghanistan).


Laurence Grenier: "Proust en 500 pages au lieu de 3 000" et Laure Hillerin: "Proust pour rire". "La recherche du temps perdu", il faut des années pour la lire et, quand on a fini, on a oublié le début. Et pourtant "la Recherche" ne peut se comprendre que comme un tout. Il faut, effectivement, avoir lu et relu, dans son entier, "la Recherche" pour la comprendre pleinement mais on n'a pas tous un temps infini devant soi. Voilà 2 bouquins qui ont fait hurler les ayatollahs proustiens mais que je défends absolument! Si vous n'avez jamais lu "La recherche" (ce qui n'a rien d'honteux) ou si vous voulez la relire, vous la remettre en tête, je vous conseille, vraiment, ces deux bouquins. Le premier (que j'ai trouvé très fort), celui de Laurence Grenier, parce qu'il restitue l'intégralité (c'est une très bonne synthèse) de l'esprit et de l'histoire de "La Recherche" (même si le style et ses circonvolutions n'y sont évidemment plus), le second, parce qu'il met bien en évidence que c'est une oeuvre profondément drôle et humoristique. Tant pis si certains considèrent que c'est du "Proust pour les nuls"!


Hélène L'HEUILLET: "Du voisinage - Réflexions sur la coexistence humaine". On croit vivre à une époque de fraternité généralisée! Plus rien ne séparerait, aujourd'hui, les hommes. Nous sommes donc tous voisins. Mais notre voisin est, très rarement, notre ami! Notre voisin (d'immeuble, de palier, de bureau), c'est souvent l'horreur ! Il devient même souvent l'ennemi, il suscite le déchaînement de la plus extrême violence. Comment vivre, alors, et coexister avec son voisin ? Un très bon bouquin de philo original et novateur.


Tableaux de Ida TURSIC et Wilfried MILLE. Ils peignent et travaillent en duo, ce qui est exceptionnel, voire unique. Nés en 1974, elle à Belgrade, lui à Dijon, représentants éminents de la nouvelle école figurative.

6 commentaires:

Unknown a dit…

Le bouquin de Snyder se dévore, mais, sans objectif de comparaison, ce que Kershaw a écrit sur cette même thématique fut davantage à mon goût. Mais les deux ensemble, c'est pas mal.

Et si d'aventure vous n'aviez jamais mis le nez dedans Carmilla, allez renifler du côté de l'âge des extêmes d'Hobsbawm, et des trois "l'ère de...", tant qu'a bien faire.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Raymond,

Oui, oui, je ne suis pas historienne mais j'ai bien lu Kershaw. Quasiment pas Hobshawn, en revanche, dont les présupposés idéologiques ont pu me rebuter.

Mais l'histoire de la seconde guerre mondiale a longtemps été partagée entre un point de vue d'Européens de l'Ouest (les historiens britanniques en particulier) et celui des admirateurs de "la grande guerre patriotique" soviétique.

J'ai toujours eu le sentiment que ça ne collait pas et que chacun s'achetait, à bon compte, une bonne conscience. Je suis ainsi sidérée que le film favori des Français soit "la grande vadrouille" et j'ai été choquée par le Mémorial de Caen.

Mais Snyder déplace et recentre les perspectives: sur l'Europe Centrale en particulier (Pologne, Biélorussie, Ukraine, Etats Baltes) où ont été perpétrés, dès les années 30, des massacres de masse avec un enchevêtrement des interventions nazies et soviétiques.

C'est un point de vue nouveau et dérangeant. Je comprends qu'il déplaise à beaucoup (tous ceux qui ont un point de vue manichéen) mais je le crois beaucoup plus juste.

Bien à vous

Carmilla

Anonyme a dit…

Vous êtes à ce point repoussée par le marxisme théorique ? Un exemplaire du Capital en poche agît donc sur vous comme une gousse d'ail, c'est toujours bon à savoir, hein, qui sait.

Hobsbawm a suffisamment d'intelligence pour ne pas inonder ses écrits de propagande rouge, et pour déployer une vision fort intéressante de notre siècle.

Je suis d'accord avec vous concernant les perspectives Snyderlienes, mais de là a dire que l'idée est neuve, pas vraiment tout de même.

R.L.

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour R.L.

J'ai lu Marx avec attention. S'agissant du Capital, je puis parler en détail du livre 1. J'ai en effet eu une formation un peu sérieuse en économie, gestion. Simplement Marx n'est pour moi qu'un économiste parmi d'autres mais peut-être pas celui qui permet d'analyser le monde contemporain. Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre expression: "c'est toujours bon à savoir". Ça fait un peu "stal". Avoir des réserves sur Marx vous rangerait-il, mécaniquement, dans le camp des oppresseurs ?

Du reste, la question n'est pas là, elle n'est pas celle du marxisme. Hobshawn a tout de même bien considéré comme un désastre la chute de l'Union Soviétique et fait l'apologie de "la grande guerre patriotique" et de ses héros. Snyder dégonfle complètement le mythe de la grande guerre de libération en montrant comment une grande partie de la population soviétique, pas seulement les forces répressives, avait largement participé aux exterminations massives en Europe Centrale et notamment à la Shoah. Ça remet tout de même en cause toutes nos idées reçues. C'est bien une nouvelle vision de l'histoire. Hobshawn doit s'en retourner dans sa tombe.

Bien à vous

Carmilla

Anonyme a dit…

Rah... Le second degré fut rarement utilisé par les "stal". C'était une plaisanterie, qui n'a pas été perçue comme il se devait, tant pis.

J'ai moi-même bien des réserves sur Marx, il ne s'agît pas de concevoir des reliquaires apologues pour qui que ce soit. Et pas non plus pour Hobsbawm. Les socles de marbre sont utiles aux chiens qui lèvent la patte.

Snyder, Kershaw et de nombreux autres historiens -inconnus des rayonnages de librairies et des grands tirages- ont puisé dans les travaux de Hobsbawm, et ne s'en cachent pas. Je crois, moi, qu'Hobsbawm aurait eu bien du plaisir à lire le bouquin de Snyder, et sans faire d'attaque cardiaque post-mortem. Vous qui semblez ne pas être -et c'est heureux- une muse des idées reçues, lisez Hobsbawm. A minima vous gagnerez en pertinence la prochaine fois que vous parlerez de lui.

En passant, voilà un des petits trucs que Snyder a écrit lorsque Hobsbawm a calanché : http://edition.cnn.com/2012/10/01/opinion/hobsbawm-communism/

Pour en revenir à l'ouvrage de Snyder, bien que certains points soient largement critiquables, c'est naturel, il est passionnant. Mais non, je persiste, l'idée n'est pas neuve. Outre qu'elle fut esquissée à de nombreuses reprises ces vingt dernières années (et davantage), d'autres historiens ont travaillé en profondeur sur ce même axe, je ne citerais que cet ouvrage : O. Bartov; Shatterzone of Empires : Coexistence and Violence in the German, Habsburg, Russian and Ottoman Borderlands (qu'on trouve chez Indiana University Press, pour les anglophones curieux).

Bartov a quelques publications universitaires à son actifs ces dix dernières années sur cette thématique, avant la publication définitive de son ouvrage, et il n'est pas le seul. Bon, je vous concède que tout ça n'est pas très grand public.

See you soon,

R.L.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci R.L.,

Je n'avais pas pris non plus votre remarque au sérieux.

Nous sommes bien d'accord en fait. Il ne s'agit que de joutes verbales.

Je vais donc essayer de lire Hobshawm et Bartov (que je ne connaissais pas).

S'agissant de Snyder, il est vrai qu'il est très pro-polonais et pro-ukrainien mais ça change un peu, aussi, de l'historiographie habituelle qui ne rapporte que des horreurs sur ces deux nations et leur supposé antisémitisme naturel. Il est également un polyglotte extraordinaire: il parle mieux le polonais et le russe que moi.

Bien à vous

Carmilla