samedi 11 mars 2017

Lettres printanières


Le Printemps arrive ! Pour moi, qui n'aime que le froid, l'obscurité et la neige, qui ai en horreur la lumière et la chaleur, c'est très triste. Tant pis! Il va falloir, maintenant, que je tienne 7 à 8 mois. Je vais essayer de m'adapter, essayer d'attendre jusqu'au 1er novembre..

En attendant, je récapitule, ci-dessous, les bouquins que j'ai aimés durant cet hiver. Bizarrement,il s'agit surtout d'essais, presque pas de romans. Des romans, j'en ai jetés plein (Serge Joncour, Luc Lang, Cédric Gras), incapable de les lire jusqu'au bout. Ils étaient peut-être bien mais vraiment pas dans mon univers. Mais ça n'a aucune importance !

Donc, un peu de lumière, un peu de gaieté !


Luc BOLTANSKI, Arnaud ESQUERRE: "Enrichissement, une critique de la marchandise". Depuis une trentaine d'années, le capitalisme subit une profonde mutation à peine remarquée. La production de masse n'est plus la finalité première des "pays développés". S'y substitue une économie de l'enrichissement, encore plus discriminante et inégalitaire. Elle ne produit à peu près rien, elle transforme, métamorphose, la valeur des biens en réhabilitant surtout le passé. La richesse devient patrimoniale, elle croise les arts, la culture, les musées, le tourisme, l'industrie du luxe. La connivence de l'Art et de la culture avec l'argent, la finance, ça peut, bien sûr, choquer mais le point de vue de Boltanski et Esquerre est totalement novateur et fécond. Un livre qui, sûrement, fera date.


Florence BURGAT: "L'humanité carnivore". Un autre livre appelé à faire date. Quoi qu'on en pense, quoiqu'on en dise, on mange de plus en plus de viande, les végétariens sont ultra-minoritaires. Et il y a le tabou de l'incroyable violence exercée envers les animaux. C'est renforcé par l'abstraction accrue de la viande: comment reconnaître un bœuf, un porc dans un burger ? Mais en fait, nous n'ignorons rien de cette violence et rien ne justifie que notre alimentation soit carnée. Et d'ailleurs, à l'heure du triomphe de la pensée écologiste, la mesure de sauvegarde de la planète la plus efficace, la plus urgente, serait que nous devenions végétariens. Alors pourquoi mangeons-nous des animaux ? Florence Burgat répond que c'est quasiment métaphysique, identitaire, que ça répond à un désir très profond de l'humanité. C'est une manière d'affirmer une coupure radicale entre l'humain et le non-humain. C'est à rapprocher du cannibalisme et de son horreur: l'anéantissement complet d'autrui. Un livre très puissant et même bouleversant.


Gillen D'Arcy Wood: "L'année sans été Tambor, 1816 Le volcan qui a changé le cours de l'histoire". Un livre fascinant qui relit l'histoire du monde à la lumière d'un bouleversement climatologique aujourd'hui oublié. En 1815, au lendemain de la chute de Napoléon, une éruption volcanique monstrueuse, celle du Tambora en Indonésie, a provoqué une chute des températures de 2 à 3 degrés sur l'ensemble de la planète durant une période de trois ans. S'en sont suivis des phénomènes météorologiques extrêmes avec famines, mouvements politiques, maladies (le choléra). Cela a même eu une incidence littéraire: "Frankenstein" et "le dernier homme" de Mary Shelley sont directement liés à cet événement. Cela concerne aussi tout le mouvement romantique, notamment anglais. Un livre d'histoire totale qui bouleverse les perspectives.


Fabrice HOUZE: "La facture des idées reçues". Un bouquin salubre à un moment où on nous abreuve, avec la campagne électorale, d'âneries en matière économique. Les idées reçues, c'est le très grand problème des politiques économiques. Elles ont surtout un coût et elles expliquent, intégralement, les difficultés d'un pays comme la France où on a vraiment tout essayé (pour paraphraser Mitterrand), avec grand succès, pour... accroître le chômage, la précarité et la baisse du niveau de vie. Je recommande absolument ce livre même si vous n'êtes pas économiste. Il est facile, pédagogue et plaisant à lire. A lire avant de voter !


Louis-Bernard ROBITAILLE: "Bouffées d'Ostalgie"- Fragments d'un continent disparu". Qui se souvient encore du monde soviétique ? Robitaille est un journaliste canadien. Il évoque, dans ce petit livre, ses voyages, effectués dans les années 70, à Berlin-Est, en Pologne, à Prague, à Moscou, à Tbilissi. C'est très juste, très pertinent. Un monde absurde combinant la répression et une étrange liberté, c'était bien ça. Très vrai !


Georges Matoré: "Mes prisons en Lituanie". C'est la réédition d'un livre publié, une première fois, en 1992. Georges Matoré, grand linguiste, était professeur de français en Lituanie au moment de la 2nde guerre. Il a connu les occupations soviétiques et allemandes et a été jeté dans les prisons du KGB. Un témoignage extraordinaire, bien écrit, étonnamment distancé et même plein d'humour et de regard critique.


Marina ANCA: "Quand la chenille devient papillon ou la dictature roumaine vue par une adolescente libre". Ça n'est pas un grand livre, d'un point de vue strictement littéraire, mais ça décrit très bien ce qu'était la vie, dans les années 80, en Roumanie: la pénurie, la répression, normalisation, banalisation. Pire, sans doute, que dans tous les autres pays communistes mais ça n'empêchait pas, non plus, les moments de bonheur.


Olivier ROLIN: "Baïkal Amour". On croit qu'il n'existe qu'une ligne du Transsibérien. Il y en a une autre, construite sous Brejnev qui part du Baïkal et côtoie l'île de Sakhaline et le détroit de Tartarie. Olivier Rolin m'étonne. Il avoue ne pas être russophone mais, malgré tout, ce qu'il écrit sur la Russie m'apparaît très juste (la désespérance et la magie) et je m'y retrouve complètement: un très bon livre ! Merveilleux! Je signale, par ailleurs, qu'il n'y a qu'en français que le nom du fleuve Amour signifie "Love". Ailleurs, ça ne signifie rien sauf, paraît-il, "boueux" en bouriate.


Elisabeth BADINTER: "Le pouvoir au féminin - Marie-Thérèse d'Autriche". Bizarre: Marie-Thérèse d'Autriche est quasiment inconnue en France et moi-même, en dépit de mes origines, je n'en connaissais à peu près rien: la honte totale ! J'ai maintenant comblé une partie de mes lacunes grâce à ce livre qui retrace une période essentielle de l'histoire européenne. Une question: pourquoi ignore-t-on tellement l'Europe Centrale en France ?


Claude QUETEL: "Le chien des Boches". Claude Quetel est surtout célèbre pour son "Histoire de la Folie" qui renverse, de manière très convaincante, le bouquin de Michel Foucault. Il relate, ici, son enfance en Basse-Normandie, près de Caen à Lyon-sur-mer, dans les années 40-50 et donc principalement durant l'Occupation allemande. A tous ceux qui regrettent "le bon vieux temps", qui pensent que "c'était mieux avant", je recommande la lecture de ce livre: un monde cruel, pauvre, ignare, intolérant. Vive demain !


Tableaux de Ting WALASSE, peintre sino-américain (1929-2010).

9 commentaires:

Unknown a dit…

Merci Carmilla pour ces conseils de lectures !

Tout comme vous j'ai beaucoup aimé Baïkal d'Olivier Rolin.
Je l'avais lu en parallèle avec celui de Géraldine Dunbar et il était intéressant de voir à quel point les choses avaient changé.
Et tout comme vous, je n'ai pu achever Anthracite de Cédric Gras dont j'avais tellement aimé les ouvrages précédents.

Je prends note pour ceux de Marina Anca, de Georges Matoré et bien sûr pour celui d'Elisabeth Badinter auquel j'avais pensé et que j'ai fini par oublier d'acheter.

Contrairement à vous j'aime le soleil; en fait j'aime toutes les saisons, le chaud le froid, tout me sied, je trouve du charme aux changements justement.
Toutefois je déménage à nouveau, et pour la Normandie dans le haut du Cotentin : il va me falloir beaucoup aimer la pluie et les ciels gris.

Merci également pour la découverte Ting Walasse que je ne connaissais pas.

Avec toute ma sympathie.
Ariane.

nuages a dit…

Merci aussi pour ces conseils de lecture. Je n'avais entendu parler que des livres d'Olivier Rolin et Elisabeth Badinter.
Je penserai donc à chercher les livres de Robitaille, Matoré, Anca et d'Arcy Wood dont les thèmes m'intéressent.

Pour le cinéma, j'espère que le dernier film d'Aki Kaurismäki sortira bientôt à Bruxelles.

Quant au printemps, oui, il arrive tout doucement, hélas. Je surveillerai donc la météo et je me réjouirai quand on prévoira des périodes fraîches, venteuses, nuageuses, voire pluvieuses. Il faudrait que j'aie une autre patrie, dans l'hémisphère sud, pour commencer à nouveau l'automne !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Ariane,

Sur le climat, j'exagère évidemment un peu et je suis capable de m'adapter. J'ai surtout la nostalgie, en fait, des paysages de neige et de la glace. Rien n'est plus beau pour moi mais c'est une expérience de plus en plus difficile à vivre. Même à Moscou, il n'y a pas toujours de la neige à Noël. Il paraît qu'à Helsinki et Saint-Petersbourg, il n'y a quasiment pas eu de neige cette année. C'est désolant.

Le Cotentin, la Manche, il paraît que c'est très beau, presque sauvage. Il n'y ferait jamais ni froid, ni chaud, une sorte d'éternel printemps ou automne. Si vous vous rendez en Basse-Normandie (même si ça n'existe plus), je vous conseille quand même de lire le livre de Quetel: "le chien des Boches". C'est très bon ! Certes, c'est la Normandie d'il y a 70 ans, dure et cruelle, mais est-ce que ça a complètement changé ? Maupassant et Flaubert (même si c'est la Haute-Normandie qui n'existe plus non plus)ne sont-ils pas toujours vivants ?

Le livre d'Olivier Rolin est, effectivement, très bon. Oui, la Russie change beaucoup ! Oserais-le dire ? Moscou est devenue une ville belle, très agréable et délirante de même que Saint-Pétersbourg. On peut s'y amuser davantage que dans la plupart des capitales européennes. Mais le changement, ça concerne surtout les grandes villes. C'est vraiment autre chose en province et dans les petites villes russes. Il va quand même falloir que j'y retourne, nonobstant la guerre avec l'Ukraine, mais c'est programmé

Cédric Gras, j'aimais beaucoup ses précédents livres mais "Anthracite", je me suis dépêchée de le jeter à la poubelle. Ce n'est pour moi qu'un livre de propagande très éloigné de la réalité du conflit ukrainien. En plus, c'est très ennuyeux.

Quant à Georges Matoré et Elisabeth Badinter, oui ! c'est vraiment très bien !

Bon déménagement à Cherbourg, je suppose !

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je suis sûre que vous adorerez Robitaille, Matoré et surtout "L'année sans été". Trois bouquins remarquables.

Partir dans l'hémisphère Sud, oui, c'est une solution. Mais il n'y a pas beaucoup de pays qui m'y attirent. Peut-être la Nouvelle-Zélande ?

Le plus simple, c'est peut-être, simplement, de se rendre en Europe du Nord. Les étés dans les Pays Baltes, par exemple, sont, généralement, tolérables et on peut y vivre sans se ruiner.

Bien à vous

Carmilla

nuages a dit…

De Cédric Gras, j'ai lu récemment, et beaucoup aimé, "L'hiver aux trousses". Suivre l'automne dans sa progression en Sibérie ; un livre magnifique.

J'ai cherché, un peu vainement, les livres de Robitaille, Matoré et "L'année sans été" dans ma librairie favorite ce dimanche, mais les employés étaient trop peu nombreux ou trop occupés pour me dire où les trouver.

Par contre, dans la même librairie, "Tropismes", à Bruxelles, je viens d'acheter le livre d'Olivier Rolin sur le BAM et celui de Cédric Gras, "La mer des cosmonautes", où il suit un brise-glace russe chargé de ravitailler les bases russes en Antarctique. Les deux livres ont l'air très bien.

Et je viens de commencer "Le choeur des femmes", de Martin Winckler, dont j'avais beaucoup aimé "La maladie de Sachs".

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Moi aussi, j'avais beaucoup aimé les précédents livres de Cédric Gras mais pas "Anthracite".

Vous devriez parvenir à trouver assez aisément les livres que j'ai recommandés car ils sont, comme à l'habitude, tous récents. Je suis sûre que vous aimerez, en particulier "Robitaille" et "l'année sans été".

C'est bien qu'il y ait, à Bruxelles, des librairies ouvertes le dimanche. A Paris, certaines Fnac viennent de commencer. Enfin !

Bien à vous,

Carmilla

Unknown a dit…

Bonsoir Carmilla, je viens de découvrir votre blog. J'adore votre style direct, votre façon de parler crûment des choses, c'est très libérateur.

Au plaisir de vous lire plus longuement,
Gwen

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Gwen pour votre sympathique message !

Je n'ai pas conscience, à vrai dire, de parler crûment.

Bien à vous

Carmilla

Unknown a dit…

C'est ce qui fait, notamment, le charme de votre écriture ;-)

Bien à vous,

Gwen