dimanche 4 mars 2018

Immortelle


L'immortalité, ça alimente maintenant toutes les conversations de salon. Ça deviendrait maintenant envisageable avec l'évolution technique et scientifique. On trouve maintenant une flopée de livres sur le transhumanisme ou le projet "Google". C'est le grand fantasme; à croire qu'on arrive pas à faire son deuil de l'effondrement du Christianisme et de sa promesse de la vie éternelle.


La mort, j'a toujours baigné un peu là-dedans. Ce n'est pas pour rien que je suis une vampire. Et je sais qu'il y a, ici-bas, deux catégories de personnes: il y a d'un côté ceux qui ont une famille, ce qui est sécurisant, et de l'autre, ceux qui n'ont en pas et qui se sentent, de ce fait, en première ligne.


Les gens seuls, solitaires, ont une conscience plus aiguë de la mort mais c'est sans doute un atout. Devoir affronter directement la mort rend plus fort et plus entreprenant.

C'est peut-être pour ça que l'immortalité, ça m'apparaît une idée un peu chichiteuse, un piètre idéal.

La mort, en effet, c'est d'abord le sel et le moteur de la vie; la mort, c'est ce qui permet de transformer la vie en projet et de l'éprouver intensément.


Qu'est-ce qui se passerait, en effet, si nous nous savions immortels ? Pour ma part, je sais que je ne me remuerais pas beaucoup. Je me soûlerais à la bière toute la journée, je fumerais sans arrêt des cigares, je serais tout le temps défoncée à la coke ou à l'héroïne. Je ne mangerais évidemment que des cochonneries (frites, gâteaux, charcuterie) et ne ferais plus aucun sport. Je prendrais très vite 50 kilos. Au total, ma séduction prendrait un sacré coup. Mais séduire, il est vrai que je n'en aurais plus besoin puis qu'à l'aune d'un temps infini, tout devrait m'arriver forcément et que je coucherais avec tous les hommes et toutes les femmes du monde.


Surtout, sachant que j'ai tout le temps devant moi, je remettrais tout à plus tard. Il serait toujours temps d'agir, d'entreprendre. Les projets, ils se réaliseront d'eux-mêmes. L'immortalité, c'est la fin de l'urgence et donc de l'histoire. Plus rien de grand ne peut émerger de l'immortalité.


C'est aussi la fin du désir et de l'amour. Comment désirer, en effet, un autre immortel ? Un immortel,  c'est quelqu'un qui est devenu sans failles, qui a atteint une certaine perfection, sans angoisses et sans souffrances. Mais on le sait bien, ce qui nous séduit en l'autre, ce n'est surtout pas sa perfection : ce sont plutôt ses failles, ses manques, sa fragilité, ses insuffisances. Se parler, échanger,recourir au langage, à l'écriture, ça ne serait même plus nécessaire, ça ne servirait plus à rien. On n'aurait plus rien à communiquer: plus de détresse, plus de douleur, plus de déréliction.


A quoi bon, enfin, chercher à créer, à faire oeuvre d'art, si nous sommes immortels. L'Art se soutient, en effet, de sa lutte contre la mort. Si celle-ci disparaît, il perd aussi sa raison  d'être.


Tableaux du peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901) et de l'allemand Ferdinand Keller (1842-1922).

2 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

"L'Art se soutient, en effet, de sa lutte contre la mort. Si celle-ci disparaît, il perd aussi sa raison d'être."

C'est très bien dit... je me permettrai de l'utiliser dans la description de mon travail...une fois lors d'une expo une personne m'a demandé ce que représentait mon art abstrait??? et de lui répondre qu'il fallait être un peu fêlé pour laisser passer la lumière...elle m'a insulté...J'ai adoré.

Je lutte ...je lutte...aussi, j'ai bien commencé l'année aussi avec quelques toiles ...ça m'aide aussi je l'espère à ne pas mourir tout de suite... mais je ne pourrai pas vous prévenir à l'inverse.

Bien à vous.
Jeff



Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Vous pouvez bien sûr reprendre mon propos mais je ne crois vraiment pas qu'il soit original. L'Art comme conjuration de la mort, c'est un lieu commun.

Malgré tout, c'est vrai qu'on cherche sans cesse à s'affranchir de la mort par la création. Je suis convaincue que, si nous n'avons plus cet horizon, nous deviendrons totalement apathiques.

Bien à vous,

Carmilla