samedi 7 juillet 2018

Le bipolaire et le pervers narcissique n'existent pas


Il y a déjà quelques années ( le 26 mai 2013 très exactement), j'avais publié un post: "le bipolaire et le pervers narcissique".

J'avais osé me monter ironique à propos de ces deux figures du mal-être contemporain. Ça me semblait être des explications simplistes et extraordinairement réductrices. Le succès de cette psychologie de bistrot, c'est qu'elle répond bien à l'esprit du temps: d'un côté, le héros chic et romantique; de l'autre, l'effroyable harceleur, manipulateur, dont nous serions les victimes sans défense. C'est valorisant d'être bipolaire, c'est réconfortant de pouvoir imputer aux autres, à un grand méchant, ses problèmes et difficultés.


Ce post m'a valu (et continue de me valoir) plein de messages outrés. Comment c'est'y possible de raconter des bêtises pareilles ? C'est scandaleux! Des pervers narcissiques, y'en a plein ! Et les bipolaires, t'y connais rien, sans mes médocs, je m'écroule !



Aïe ! Aïe ! C'est vrai que je dois être bien prétentieuse: quand je vais maintenant dans une librairie, je trouve toujours au moins deux ou trois rayons consacrés aux bipolaires et aux pervers narcissiques. Que des bouquins rédigés par des "spécialistes", des gens bien plus sérieux que moi.


Mais mon propos n'est pas de nier la souffrance authentique des personnes concernées. Il est de dénoncer les explications accommodantes, celles dans les quelles le malade croit trouver son compte mais qui ne font que renforcer ses illusions.


Parce qu'en réalité, tout le monde ment et on aime surtout se mentir à soi-même: que sait-on sur soi et qu'est-ce qu'on n'a surtout pas envie de savoir ? Pourquoi refuse-t-on de voir ce qui crève les yeux ? Pourquoi s'épuise-t-on en refoulements, inhibitions et censures ? Pourquoi dit-on "oui" alors qu'on pense "non" et inversement ? On est pétris de contradictions, dénis, dénégations. L'"ailleurs", l'inavoué, affleure sans cesse en nous. On est tous un peu fous, un peu malades. Ce ne serait pas si grave si tout ne nous interdisait pas d'en prendre conscience.

On préfère le confort, le refuge offerts par des explications rassurantes qui nous installent dans la névrose, nous exonèrent de la responsabilité de la conduite de nos vies.


Le bipolaire, c'est l'expression de l'angoisse sexuelle contemporaine, de ce bourbier infantile dont je ne parviens plus à m'extirper: plus de père ou de mère à aimer ou haïr inconditionnellement, l'effacement des générations et de la différence sexuelle et maintenant la PMA et la GPA. On n'a plus de passions, rien que des sentiments fraternels. La domestication des mœurs est achevée mais ça n'est pas satisfaisant.

Ça explique toutes les oscillations de l'humeur, euphorie, dépression. Plus d'interdits: on se croit libérés, affranchis, quelle exaltation !  ... mais jamais le sentiment de culpabilité n'a été aussi fort. Tout est permis, cela signifie aussi qu'il n'y a plus rien à aimer, désirer. Plus rien que l'angoisse de la vacuité, la monotonie du quotidien.


Quant au pervers narcissique, est-ce qu'il n'est pas mon double, ma projection inversée ? Est-ce qu'on est sûrs, en effet, de ne pas aimer quelqu'un que l'on déteste ?



Images de peintres contemporains se réclamant du surréalisme, parmi les quels Gyuri Lohmulle (Roumain né en 1962), Roland Heyder (Allemand né en 1956), José Roosevelt (Brésilien né en 1958).

Au cinéma, je vous recommande vivement: "Woman at war" de Benedikt ERLINGSSON. Un film islandais magnifique et plein de fantaisie.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais non...
En bonne freudienne, tu devrais savoir que l’inconscient est strictement individuel ; tes explications généralisantes ne valent rien

Unknown a dit…

Ce n'est pas moi qui m'offusquerais de votre sentiment à l'égard de ce mal planétaire, si complaisamment nommé pi-polarité. Ça arrange tout le monde et surtout ça remplit les poches de tout un tas de pseudos psychologues, ravis de cette aubaine.
La personne se voit expliquer son mal sans même qu'elle ait besoin de faire le moindre effort sur elle-même : on prend des médocs et tout va bien.
Et voilà nos psys investis du pouvoir de sauver le monde.

Tout cela est grotesque et correspond parfaitement à la veulerie ambiante.

j'ajouterai également que plus personne aujourdhui est obèse, mais malade....on peut manger, dévorer, bouffer à satiété sans qu'on ne vous reproche rien : pauvre de vous, confiez-vous à nous, on va vous guérir !
Enfin, bref, il y a de quoi rire à défaut de pleurer...

Bon dimanche Carmilla !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anonyme,

Freudienne ? Je n'ai pas cette prétention. Disons que je me suis simplement efforcée de lire Freud.

L'inconscient strictement individuel ? Je crois savoir que Freud s'est essayé à formuler une théorie de la culture: "Totem et tabou", "L'avenir d'une illusion", "Malaise dans la civilisation", etc... Il a bien recherché des structures universelles du psychisme humain et notamment l'articulation du désir et de l'interdit.

Je concède toutefois que mes petites analyses ne sont peut-être que des supputations loufoques. L'important, c'est qu'elles fassent réagir.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Ariane,

Les bipolaires alimentent en effet maintenant toutes les conversations de salon ou de bistrot.

De Napoléon à Sarkozy, l'histoire est revue à travers ce prisme ridicule.

Ça ne prêterait guère à conséquence, si, en effet, la seule thérapie proposée n'était celle de la pharmacie.

Quant au pervers narcissique, son image empoisonne désormais les relations hommes/femmes. Beaucoup de femmes croient en rencontrer un chaque jour.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonsoir CARMILLA

Entre les pervers narcissiques et les bipolaires et ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre, je trouve que les gens en général sont de plus en plus difficile à vivre...et à supporter.

Même de simples rencontres qui peuvent être chaleureuses au départ retombent vite fait, bien souvent, comme soufflet au fromage...

Bien se connaître soi-même, j'y suis arrivé (peut-être) avec le temps à force de bien connaître les autres...

Je ne sais pas si c'est de la prétention de l'annoncer ainsi, mais en étant bientôt aux 3/4 de mon existence, cela peux s'expliquer.

NB: Superbes tableaux.

Bien à vous
Jeff.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je pense que vous posez la bonne question: "est-ce qu'on peut se connaître soi-même ?"

Vous me permettrez d'essayer de vous répondre dans mon prochain post.

Bien à vous

Carmilla

Olympe a dit…

Bonjour Carmilla,
Quels livres conseilleriez-vous à propos de la culpabilité? Quand vous écrivez "jamais la culpabilité n'a été aussi forte" cela m'intrigue. Pour ajouter un peu d'eau à votre moulin, j'ajouterais que dans les tests officiels pour 'savoir' si on est cyclothimique, il existe des critères tels que 'vous rêvassez', 'vous avez des projets extravagants', 'vous êtes excentrique' 'vous êtes angoissé'. Il semble qu'il y a danger à sortir des clous. Les critères sont assez flous. Je me demande si cela ne risque pas de brimer de nombreuses personnalités atypiques. Par contre je pense vraiment que les personnes qui se mettent en danger lors des crises (maniaques ou depressives) ou ne peuvent plus vivre normalement (j'entends par là sortir de chez soi, manger, dormir, parler) doivent absolument se faire aider avec des médocs. Bonne journée, Olympe

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Olympe,

Je partage entièrement votre point de vue sur la tendance générale à catégoriser, "symptômatiser", psychiatriser nos comportements. Ça semble presque relever d'un vaste programme de normalisation, domestication, de la population. Et puis c'est très déstabilisant pour la personne concernée parce qu'elle adhère, malgré tout, au diagnostic énoncé.

S'agissant de la culpabilité, c'est bien sûr un thème passionnant. Elle signe la condition humaine. On est tous, à la différence de l'animal, dévorés, bouffés, par ça. Elle est étroitement liée à l'émergence du désir. Toute l'oeuvre de Dostoïevsky est construite là-dessus, notamment "Crime et Châtiment". Pourquoi l'homme devient-il criminel ? Non pas, précise Freud, parce qu'il est dénué de principes moraux mais, au contraire parce qu'il est torturé par la culpabilité. En commettant un crime, il évacue cette culpabilité. On est criminels à force culpabilité. C'est aussi la thématique centrale du christianisme et du "péché originel", très juste anthropologiquement. C'est au point que Dostoïevsky considère que le criminel est plus proche de Dieu que le Saint. Voilà qui devrait nous reconduire à repenser nos jugements sur le criminels et les déviants.

Mes conseils de lecture, c'est donc du très classique : "Crime et Châtiment" de Dostoïevsky et "Malaise dans la civilisation" de Sigmund Freud.

Bien à vous,

Carmilla