samedi 5 octobre 2024

Du Roman national


La plus grande illusion, c'est de croire que l'Histoire est enseignée, dans tous les pays, de la même manière.

Rien n'est plus faux. Chaque peuple construit son roman fondateur, sa grande mythologie. Ca façonne profondément son imaginaire et ça ne "colle" absolument pas avec les romans des autres pays.


Moi qui viens d'ailleurs, ça a été mon premier sujet d'étonnement et même d'énervement. Qu'est-ce que c'est que cette Histoire française dont on nous rebat les oreilles ? On a l'impression que tout se ramène à la France et qu'il ne s'est absolument rien passé ailleurs dans le monde. 


Je me suis même rebellée au point que la seule discipline dans la quelle j'ai été médiocre au lycée, ça a été l'Histoire, du moins l'Histoire de France. Tous ces Rois et leur cour, que je trouvais plutôt ridicules, et puis tous ces gouvernements républicains, plutôt sinistres, je me perdais là-dedans, je ne me sentais pas concernée et, même, ça me barbait profondément.


Je trouvais surtout que ça se noyait dans des combines, des intrigues, des alliances, aux quelles je ne comprenais rien. Ca relevait presque d'un esprit gestionnaire, ça manquait donc de chair, de passion, de tragédie. Le seul héros, Napoléon, est d'ailleurs presque unanimement détesté par les Français eux-mêmes.

J'ai donc longtemps assimilé l'Histoire française à l'ennui. Et surtout, mon Roman national, il n'avait à peu près rien à voir. Il faut dire qu'à l'époque (même si j'ai presque honte d'avouer ça aujourd'hui), j'étais, en revanche, absolument passionnée par l'Histoire russe. Ca, c'est vraiment autre chose, je me disais, de vrais personnages du Marquis de Sade. Et aujourd'hui encore, je pense qu'il n'y a pas de meilleur roman d'initiation, d'éducation à la vie que l'Histoire russe. Des tarés, des parricides, des incestueux, des corrompus et des tyrans qui règlent leurs affaires par le meurtre.


On connaît surtout en France les grands réformateurs, Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre II, mais on passe à la trappe ceux qui étaient majoritaires: les fous furieux, les carrément débiles, cruels et impitoyables. Deux quasi inconnus me fascinent à cet égard: Paul 1er et Pierre III.


Et puis, il y a eu, au 18ème siècle, toute la cohorte des terribles Tsarines: Catherine 1ère, Anna Ivanovna, Anna Leopoldovna, Elisabeth 1ère. Des débauchées, extravagantes et cyniques, à vous faire douter de vos convictions féministes. Aujourd'hui encore, je ne me lasse pas de ces histoires de criminel(le)s et j'estime que si on veut comprendre la Russie d'aujourd'hui, sa violence et son indifférence à la vie humaine, il faut d'abord l'histoire de ses tyrans. 

En contrepoint de l'Histoire russe, il y avait toutefois pour moi l'Histoire de la Pologne. La Pologne et la Russie se détestent cordialement, on le sait, mais l'animosité entre eux est moins affective que politique. La Pologne, ça a d'abord été la République des Deux Nations, une longue période essentielle (de 1569 à 1775), mais complétement méconnue en France, de l'Histoire européenne.


Ce fut, pendant plus de deux siècles, l'Etat le plus démocratique (une monarchie élective) et le plus cosmopolite d'Europe (accueillant Juifs, Protestants, Musulmans, Orthodoxes). Rétrospectivement, on peut dire que le dépècement, à la fin du 18ème siècle, de la République des Deux Nations, principalement au profit de la Russie, a été une grande catastrophe démocratique pour l'Europe. Et cette grande catastrophe s'est reproduite avec la 2nde Guerre Mondiale puis le joug communiste (détruisant notamment le cosmopolitisme de la Pologne).


Et puis, je me proclamais aussi Autrichienne, ou plutôt Austro-Hongroise. Parce que j'étais une Galicienne de Lviv et que l'architecture de Lviv-Lemberg est typiquement autrichienne: un grand Opéra (copié sur le Palais Garnier de Paris) d'où part un long Mall arboré (inspiré du Ring de Vienne), un Mall qui est moins un circuit de promenade qu'un grand lieu d'exhibition collective (on y vient pour regarder et s'y faire regarder).


Et puis, à la grande différence de la Russie, on ne boit surtout pas de thé mais du café. Et le café, on le boit, accompagné de pâtisseries, dans des cafés, une institution très sophistiquée qui est surtout un lieu de rencontre et de socialité. Et autre différence majeure: on adore et confectionne le chocolat.


Au lycée, au début, j'ai essayé de ramener mes histoires d'Europe Centrale et de Russie. Mais je me suis vite fait moquer et rembarrer par les profs et les élèves : "Tu nous embêtes, Machine-Tchouk. L'Autriche, c'est ringard, la Pologne, c'est catho-arriéré et la Russie, c'est misérable". Alors, je me suis vexée et butée. Encore heureux que je n'ai jamais évoqué l'Iran et son Zoroastrisme. De quoi me faire définitivement détester.


Aujourd'hui, j'ai effacé et oublié ces rebuffades. C'est vrai qu'il n'y a pas de sujet plus conflictuel que les histoires nationales.


J'ai même surmonté mon rejet de l'Histoire de France. Je suis désormais moins nulle en la matière. Et puis, j'ai identifié d'étranges amnésies, de grands blancs, de l'Histoire française. Pourquoi ces événements majeurs ont-ils été effacés de la mémoire collective ?


 Il s'agit notamment de:

- la Guerre de Crimée (1853-1856). Britanniques et Français étaient vainqueurs mais n'ont rien réclamé à la Russie. Ils auraient pu établir un protectorat sur la Crimée, ce qui aurait changé bien des choses.

- la conquête de Mexico (1861-1867). Une histoire rocambolesque mais aussi une première tentative de faire contrepoids à l'influence américaine.


- les guerres de l'opium, le sac du Palais d'été et la guerre des Boxers. Des guerres malheureuses qui expliquent, en partie, l'animosité actuelle de la Chine envers l'Occident.

- les interventions de l'armée française en Lettonie (1919), en Lituanie (Memel-Klaipeda 1920-23) et en Pologne (1920)

- la colonisation de l'Indochine: ça a tout de même existé de 1858 à 1954. Mais qui, hormis Marguerite Duras, évoque cette longue histoire ? 


Hormis les spécialistes, c'est complétement oublié en France alors que ce n'était pas toujours infâmant. Et avec ces oublis, on a perdu quelque chose, quelque chose qui tient à la culture et à l'imaginaire d'un pays. 

L'Histoire officielle repose toujours, en fait, sur une étrange sélection. L'Histoire, c'est, certes, essentiellement fait d'abomination et d'Horreur. Mais au sein même de l'Enfer, on éprouve parfois aussi, soudainement, quelques instants de grâce.


Images de Eugène Delacroix, Ernest Messonier, Hyacinthe Rigaux, Sergueï Ivanov, Vassili Sourikov, Jacek Malczewski, Jan Matejko, Gustav Klimt. L'ultime photo, à Saint-Pétersbourg, est d'Alexandre Petrossian dont les images sont toujours incroyables. L'avant-dernière est celle d'un soldat ukrainien. Ce sont deux images qui me parlent beaucoup.

Je recommande:

* Sur l'Histoire russe, je ne suis vraiment pas une fan d'Hélène Carrère d'Encausse. C'est de l'Histoire à la française qui s'embrouille dans les traités et les affaires diplomatiques. C'est aussi une resucée, du copier-coller, de ce que l'on trouve un peu partout ailleurs.

J'ai aussi une allergie à Vladimir Fedorovsky et à son arrogance. Je recommande quand même son "Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg".

Les bouquins d'Henri Troyat, même s'ils sont archi-classiques, ont bien plus de dimension romanesque, de saveur et de chair.

Une mention particulière doit enfin être faite au livre, en 2 tomes, de la Lituanienne  Kristina SABALIAUSKAITE: "L'Impératrice de Pierre". L'Histoire extraordinaire de Catherine 1ère, celle que Voltaire surnomma la Cendrillon du 18ème siècle. Une jeune fille misérable qui épousa Pierre le Grand puis lui succéda.

* Sur la République des deux Nations, il y, a bien sûr, l'extraordinaire bouquin d'Olga Tokarczuk (Prix Nobel 2018): "Les livres de Jakob". L'histoire de Jakob Frank, Juif converti à l'Islam puis au Christianisme. Le Luther du monde juif, libertin et hors la loi. Mais ça fait tout de même plus de 1 000 pages très denses.

* Sur l'Autriche-Hongrie: "Le monde d'hier" de Stefan Zweig et les livres de Joseph Roth, notamment "La crypte des Capucins" moins connu que "La marche de Radetzky".

* Sur les guerres au 19ème siècle: 

- Sylvain VENAYRE: "Les guerres lointaines de la Paix - Civilisation et Barbarie depuis le 19ème siècle"

- Benoît RONDEAU: "L'Empire britannique en guerre". Les guerres britanniques, on les connaît très mal en France: la révolte des Cipayes, la guerre des zoulous, celle des Boers, le Soudan, "le grand jeu" en Afghanistan, les Boxers, je ne suis pas sûre que ça évoque grand chose. C'est pourtant une histoire extraordinaire souvent conduite par des personnalités hors du commun. Un livre très récent qui vaut tous les romans d'aventure.



8 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Du roman national en passant par l’histoire pour asseoir son mythe fondateur comme s’il était unique au monde, pourtant tous ces humains qui nous ont précédés étaient des humains comme nous avec leurs qualités et leurs défauts. Ils ont gouverné, pris des décisions, essayé pour le mieux, se sont fourvoyés. Je me demande lorsque je lis un livre d’Histoire, comment je me serais comporté devant telle situation? Est-ce que j’aurais pu faire mieux? Tous ces acteurs d’une époque n’était que de pauvres humains, qui comme nous, ignoraient tout le l’avenir. Remarquez, que devant nos situations actuelles nous ne sommes guère en meilleurs position, surtout dans cette époque contemporaine tumultueuse et déstabilisante. Que cela ne nous empêche pas d’ouvrir des livres d’Histoires, même si ce n’était que pour nous rafraîchir la mémoire, et nous pencher sur des époques peu glorieuses, voir violentes pour alimenter nos réflexions. L’Histoire, ce n’est pas seulement des faits, des dates, des endroits, des horreurs; mais c’est aussi des politiques, des idéologies, les technicités, des évolutions, tout cela nous a fait parce que simplement nous sommes la suite de cette Histoire. Il est quand même étonnant de constater que les gens vaquent à leurs petites affaires, bouffant du quotidien dans une espèce d’indifférence, comme s’il ne s’était rien passé avant notre venue sur terre. Je considère que j’ai été chanceux, d’être né dans un milieu où l’on racontait des histoires, et pas simplement des faits divers, mais aussi qu’on raccrochait son quotidien au grand convoi de l’Histoire, qu’on faisait partie en autre d’un tout et que nous n’étions pas très différents de notre voisin d’en face. Je suis toujours étonné de constater que des personnes ne savent pas d’où elles originent par plus qu’elles ne peuvent imaginer l’avenir. Des fois, il s’agit juste de commencer une histoire, et si vous êtes un bon narrateur, il se pourrait très bien qu’un auditoire vous porte attention. Et, c’est parti, ça coule de source. Je trouve que se sont des moments fabuleux, de ceux qu’on voudrait qu’ils ne se terminent jamais, surtout lorsqu’il y a un enfant qui vous demande : « Comment se fait-il que vous connaissez cette histoire? » Je dois reconnaître que c’est une question déstabilisante, une de celle que la réponse n’est jamais simple et satisfaisante. Ceci a peut-être plus à faire avec l’imagination et la curiosité, qu’avec simplement l’instruction.  L’enseignement de l’histoire est un sujet que nous avons déjà abordé dans nos commentaires passés, mais étrangement, nous y revenons encore. Les professeurs d’université ne sont pas tous des écrivains; et les professeurs d’écoles primaires et secondaires, ne sont pas tous des raconteurs de talents. Je vous remercie Carmilla, pour toutes vos histoires de l’est, moi ça m’intéresse, juste de lire simplement Tokarczuk ça vous ouvre des portes. Elle ne fait pas seulement raconter des histoires, elle vous les fait sentir. Souvenons-nous, que nous pouvons tous être appelé par le destin, ce que n’était pas prédestiné Catherine 1ère, et pourtant cela s’est produit. Est-ce qu’on peut simplement imaginer que ce n’était qu’un accident de parcours? Ce qui est remarquable avec l’Histoire, c’est qu’elle est pleine de mystères, de surprises, d’imprévues. Lorsque je demande : « Racontez-moi une histoire, c’est plus qu’une demande de ma part, c’est une supplique. »

Merci Carmilla et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

L'Histoire, ça vaut, en effet, tous les grands romans. A cette différence que n'y est laissée aucune place aux bons sentiments et à l'amour. Et aussi, aucun grand projet charitable et désintéressé. Rien que de l'ambition, du froid calcul, de la cruauté, de la violence impitoyable et aussi de la peur, de la haine et de la lâcheté. A vous désespérer de l'humanité.

Mais j'ai aussi voulu insister sur le fait que les histoires nationales divergent profondément. Elles expriment un point de vue partiel et partial. On m'a par exemple présenté un manuel d'Histoire turc. Ca commence avec la chute de Byzance (1453) et ça se poursuit avec le développement du grand Empire Ottoman. Du passé grec, romain et byzantin, il n'est guère fait mention.

En France, on démarre avec Vercingétorix, on survole le Moyen-Age et on commence les choses sérieuses avec François 1er.

Moi, j'ai démarré avec la Rus' de Kiev, des Scandinaves slavisés (mais ça on ne le disait pas).

Toujours, on embellit, glorifie et on ne voit pas plus loin que le bout de son nez. L'Histoire des autres pays, on s'en fiche bien. Je n'ai, par exemple, aucune idée de l'enseignement de l'Histoire au Canada. Par quoi commence-t-on ? Par Jacques Cartier ? Et ensuite, comment fait-on la part des influences britanniques, françaises, américaines ?

L'Histoire est ainsi une affaire largement idéologique. Mais c'est aussi ce qui fait son intérêt. Avoir conscience de la diversité des points de vue permet, en effet, de recadrer et relativiser les choses. Même si, au final, on ne tombera jamais complétement d'accord. Parce que, bizarrement, la fibre nationaliste est l'une des plus profondément ancrées dans le cœur humain. Personne n'aime qu'un étranger dénigre son pays. J'essaie d'éviter les remarques critiques sur la France parce que ça me vaut, généralement, des réactions immédiates et outrées.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

À nous désespérer de l’humanité, mais pourtant nous sommes toujours là, aussi surprenant que cela puisse être, nous sommes présentement l’espèce qui domine outrageusement cette planète, comme jamais une espèce l’a dominée. Il y a eu d’autres espèces qui ont dominé par le passé, et d’autres, qui domineront dans l’avenir. Il appert, que nous sommes spéciales, hors de l’ordinaire, mais jusqu’à quand? Le tout sur un espace-temps très réduit, dans des conditions fréquemment aléatoires. Lorsqu’on y pense, n’est-ce pas fascinant? Nous sommes parvenus à aujourd’hui, et en toute modestie, nous auront eu beaucoup de chance.

Par où commencer? Où l’histoire commence? Où est le début? Mais quel début? Ici au Canada, nous commencions par Jacques Cartier, qui n’était pas le premier découvreur de l’Amérique, loin delà, parce qu’on venait pêché sur les côte de Terre-Neuve depuis des siècles, les Vikings étaient venus voilà 5 siècles avant Cartier! Ils ont rencontré des hommes, des humains différents, des gens que bien peu de personnes avaient rencontré, qu’on a appelé les indiens, les sauvages, qui sont devenus les maudits sauvages. Ces gens-là, d’après ce qu’on en sait seraient venus d’Asie, ils auraient traversé le détroit de Béring entre la Russie et l’Alaska, le tout sur des milliers d’années pour finir par occuper tout le continent américain. Dans certaines régions ils ont fini par créer des grands peuples, dans d’autres endroits, ils demeuraient discrets, et pour cause, parce que c’était des vrais humains qui faisaient l’amour comme on faisait la guerre, et qu’on faisait la guerre comme l’amour, avec (passions), dans une question de vie ou de mort. Nous avons de quoi retenir. Était-ce un début? Je dirais que c’était une continuation.

Peut-être Carmilla, que votre caractère singulier provient d’un mollusque primitif original, il y a cent milles ans, un mollusque vampire! Je sais. Nous ne voulons pas penser ainsi nos origines parce que nous sommes centrés sur nous-mêmes, sur cette relative petite période contemporaine, comme si c’était le sommet de l’évolution et que notre égoïsme faisait foi de tout. Est-ce que notre espèce est viable? Il faudrait bien avoir un avenir, si nous voulons avoir une Histoire. Est-ce que cela dépendra de nous? Peut-être, en parti, mais pas totalement. Je me demande souvent comment les humains en sont venus à l’espérance? À l’origine, nous n’avions pas beaucoup de chance de survivre, pourtant nous avons traversé bien des épreuves, ce qui est remarquable, je vous l’accorde. C’est peut-être la raison pour laquelle nous nous intéressons à l’Histoire. En quelque sorte, nous demandons à notre passé, d’éclairer le passage de l’avenir. Oublions Jacques Cartier, parce qu’il n’a fait que deux voyages au Canada. En Europe, j’ai remarqué qu’on avait un piètre idée de l’Histoire de l’Amérique, comme un genre de mépris, qu’il ne s’était rien passé en Amérique, que la véritable histoire c’était l’Europe...

Il n’y a pas d’espérance dans notre évolution, il n’y a que du devenir, qui deviendra l’Histoire. N’est-ce pas passionnant?

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La grande énigme de l'espèce humaine, c'est l'apparition du langage qui structure la pensée et permet l'échange. Ca a introduit une véritable coupure dans l'Histoire du vivant et c'est pour cela qu'on ne peut pas simplement parler d'évolution.

Je ne sais pas si, en Europe, on a un mépris de l'Histoire américaine. La réalité, c'est qu'on n'a absolument aucune idée de la façon dont cette Histoire est enseignée aux écoliers. Cela m'intéresserait vraiment parce que cela permet de cerner "l'idéologie" qui façonne les peuples.

Parce que c'est vrai que l'Histoire, ça permet aussi d'habiller le passé et de justifier le présent. On se présente toujours plus beaux que l'on est. Je cède moi-même à ce penchant.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Autant l’avènement du langage, que celui de l’écriture font partis de l’évolution qui était loin d’être prévisible, parce que nous n’étions pas fait pour cela, écrire et parler. Nous ignorons comment ces évolutions se sont produites. À la base nous étions constitués pour chasser, pêcher, cueillir, et c’est ce que nous avons fait au cours des millénaires. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles ces apprentissages sont difficiles pour une bonne part des humains. À l’origine, nous n’étions pas constitués pour parler et écrire, organiquement nous étions fait pour piéger, traquer, attraper, écouter et regarder, observer, sentir, et tuer, ce qui n’a rien à voir avec la parole, l’écriture, et l’abstraction. Nous ne sommes pas devenus plus intelligents, non, nous sommes devenus plus performants, ainsi nous avons cessé de chasser pour devenir en quelque sorte des gestionnaires. Le tout en cinquante milles ans, ce qui est très court au niveau cosmique. Nous avons transmué.

Tant qu’à l’enseignement de l’Histoire, je dirais qu’elle est mal enseignée, souvent de manière superficielle, ce qui pousse les étudiants vers le désintérêt. J’ai remarqué, tout au cours de mon parcours scolaire, que l’Histoire intéressait peu les étudiants, naturellement j’étais un de ceux qui était hors circuit, moi j’en aurais bouffé quotidiennement. Ce qui s’accorde parfaitement avec l’état d’esprit de la constitution du monde et de ses sociétés. Comme vous le dites une certaine idéologie, une certaine manière de penser, donc une certaine manière de concevoir et une certaine manière de comprendre. Nous sommes loin de la question idiote : À quoi ça sert l’Histoire? Sur le fond de cet enseignement déficient, nous formons des citoyens en bâclant leur éveil devant les défis qui se dressent devant eux. Ils sont ignares de leur passé, l’avenir ne les intéresse pas plus qu’il ne le faut, et ils redoutent leur quotidien. Présentement, nous ne formons pas des citoyens, nous dressons des zombies, fragiles devant tout ce qu’on leur présente, dépourvus d’esprit critique, incapables de saisir des situations complexes, de se faire une idée dans ce monde dans lequel nous vivons. Vulnérables à toutes les modes, les mensonges, les fausses nouvelles, parce qu’ils se sont intéressés à l’histoire seulement pour la note de passage. Je souligne que la note de passage, ce n’est pas la réussite. Alors, il faudrait se surprendre des faibles taux de participations au niveaux électorale. Un certain désintérêt envers la démocratie. Une indifférence face aux coups de forces, aux agressions, aux massacres et aux meurtres. Ce qui peut arriver de n’importe quel horizon, sans nécessairement avoir un milieu d’origine qui leur soit propre. Ici, jadis, toute l’histoire était imbibée de religiosité, on parlait beaucoup de convertir les sauvages, de constituer une nation française, d’être maître chez-nous, lorsqu’on s’est retrouvé devant les anglais, nous nous sommes soumis. Après la conquête, c’est étrange comme l’Histoire n’avait plus la même saveur. C’est important de savoir d’où tu viens, qui tu es, et où tu t’en va, même si souvent c’est douloureux.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il y a eu le langage puis l'écriture et les chiffres (le calcul).

Il semble que toutes les sociétés humaines savent presque immédiatement compter (en utilisant différentes bases). Mais toutes ne disposaient pas d'un système d'écriture (par exemple les Incas). Il s'agit, à chaque fois, d'une véritable rupture.

L'apparition de ces différents systèmes est bien énigmatique et ne s'explique pas simplement par l'évolution.

Quant à l'enseignement de l'Histoire, la connaissance du passé peut sans doute permettre de réfléchir à l'actualité. Mais ça ne va pas au-delà. L'Histoire n'est pas une perpétuelle répétition. Elle comporte, elle aussi, des ruptures. Les sociétés occidentales actuelles n'ont ainsi pas grand chose à voir avec celles d'il y a 30 ans, 40 ans.

Le problème, c'est qu'il y a une grande difficulté, dans les populations, à accepter ce mouvement continu de l'Histoire. Il y a des nostalgiques du c'était mieux avant et des utopistes de la Révolution. Tous les deux se trompent. Les véritables changements ne viennent pas "d'en haut", ils sont principalement impulsés de l'intérieur même des sociétés, principalement par l'évolution des mœurs et des relations symboliques de pouvoir. Les législateurs ne font que très secondairement les sociétés.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Lorsque je regarde l’eau couler dans ma rivière, je pense que nous pouvons inventer n’importe quoi et que nous ne sommes ni au bout de nos surprises, ni au bout de nos peines. Nous désirons tout contrôler comme avec l’écriture, comme avec nos chiffres, en essayant de tout gérer. Ce qui est attrayant dans ces méthodes, c’est l’impondérable, ce que nous n’arrivons pas à prévoir. Pour le meilleur comme pour le pire il n’y a pas de limite à notre esprit inventif. Est-ce que quelqu’un a déjà écrit l’Histoire de l’écriture? Étrangement, cela me renvoi à votre texte précédent, à cette femme devant sa glace qui s’admire comme si elle était unique. Je ne pense pas qu’elle s’imagine penser l’Histoire de l’écriture, mais elle s’apprête sans doute à écrire une certaine phase de la séduction, qui débouchera peut-être sur un morceau d’Histoire. Au propre comme au figuré, nous écrivons tous, notre histoire, qui fait partie de l’Histoire. Nous préférons toutes les grandes routes, pour finir souvent, sur les chemins de travers où nous nous attardons, tellement que la surprise nous envoûte, même si nous l’avons pas écrit sur un bout de papier ou sur un écran d’ordinateur. Dans nos esprits, nous écrivons toujours. Nous avons cette puissance d’évoquer même dans nos imaginaires les plus débridés. Est-ce que nous rêvons de nous retrouver devant l’impondérable? Quelle promesse de frissons! Non, je ne vois pas de limite, et cela se poursuivra en bien comme en mal, révélant souvent nos impuissances. Les primitifs qui regardaient les nuages flotter dans le ciel, étaient loin de s’imaginer qu’un jour les humains inventeraient des machines pour s’élever dans ce ciel. Pourtant, nous l’avons fait, et nous allons faire autre chose, ce qui contredit cette manière de s’attacher au présent comme si nous étions toujours à la fin des temps. C’est le fameux mouvement de l’Histoire, que les gens redoutent. Je trouve que c’est électrisant. Le changement, il n’y a que cela de vrai. À notre échelle nous originons de loin, et nous allons encore aller plus loin, très loin! Le propre de l’humain, c’est le dépassement. Peut-être qu’un jour nous inventerons quelque chose qui dépassera l’écriture et la parole, mais nous avons encore le temps de respirer un peu. C’est dans les crises et les ruptures, préludes à des nouvelles découvertes, qui annoncent une autre époque. Rien ne nous arrêtera sauf peut-être notre propre disparition en tant qu’espèce. Mais cela c’est une autre histoire que nous n’avons pas encore écrit. Est-ce une véritable rupture? L’existence est faite de rupture et cette rupture forme un tout pour nous propulser dans l’avenir. L’Histoire, sur le fond, c’est une longue réflexion qui nous alimente, jamais deux choses semblables se produisent de la même manière. Malgré nos défauts et nos fautes, c’est ahurissant cette progression dans le temps, ce que nous sommes devenus, ce que nous devenons, et ce que nous deviendrons. Lorsque je fends la foule, que je regarde tous ces visages; je me demande à quoi ils pensent, qu’est-ce qu’ils imaginent? Des visages qui s’observent dans les vagues de l’évolution. Qu’est-ce qu’il en sortira? Même l’eau de la rivière n’est pas éternelle pas plus que ma grosse pierre en forêt, pas plus que moi-même!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je pense également que l'Histoire du monde ne cesse de se développer et même à un rythme accéléré. Et nous ignorons quels bouleversements les nouvelles technologies vont introduire dans les décennies à venir.

C'est pourquoi j'ai en horreur les discours du "c'était mieux avant" et de la décroissance. On a en fait de très bonnes raisons d'être optimistes même si on passe pour naïfs en proclamant cela.

Et c'est vrai que l'Histoire procède par grandes ruptures: techniques, économiques, scientifiques, de la pensée, de la connaissance. Je voyais récemment le dernier film de Francis Ford Coppola "Megalopolis". C'est un magnifique déluge visuel mais le propos (New-York comme nouvelle Rome) est absurde. Nous ne sommes pas des Romains et pas plus qu'il n'y a eu de décadence romaine, il n'y a de décadence occidentale.

Plutôt que de se lamenter, il est préférable de considérer ce que Nietzsche appelait "l'étrange Beauté du monde".

Bien à vous,

Carmilla