Du retour du Grand Blond, de l'impossible devenu grand coup de poing dans nos gueules bien pensantes, tout a déjà été dit.
Je ne vais donc pas en rajouter. Evidemment pour l'Ukraine, ça ressemble à un lourd marteau qui va se dépêcher d'écraser le petit insecte qui voulait à tout prix survivre mais dont le bourdonnement commençait à agacer tout le monde. Ca fait trop longtemps que ça dure cette affaire, il faut passer à autre chose. Laissons crucifier l'Ukraine, on oubliera bien vite ça.
On essaie de se rassurer, du côté ukrainien, en se disant que les choses ne sont heureusement pas si simples. Il en va quand même de la crédibilité des Etats-Unis et de leur prétention à exercer un leadership dans le monde. Nous laisser sinistrement couler, ça ferait tâche.
Il va donc falloir négocier. Et on se met donc déjà, du côté occidental, à échafauder de multiples compromis, à envisager des échanges ou des cessions de bouts de Donbass ou de Crimée.
C'est évidemment nécessaire parce que la reconnaissance des frontières, c'est la reconnaissance du Droit international, l'affirmation de la prééminence du Droit sur la Force.
Mais il ne faudrait pas que ces questions de territoire soient l'arbre qui cache la forêt. Qu'elles fassent oublier, finalement, pourquoi Poutine a lancé cette guerre, quel était son objectif initial.
On reprend trop facilement, à l'Ouest, le discours de Poutine et on se met à croire, naïvement, qu'il s'agit, simplement, pour lui de récupérer des "terres russes", notamment ce que l'on appelait la Malorossiya, la Mala Rus, la Petite Russie. Mais un simple coup d'œil à une planisphère montre à quel point cette vision est absurde. La Russie, ce n'est tout de même pas la Belgique et on ne peut vraiment pas dire qu'on y vive à l'étroit.
En réalité, Poutine s'en fiche à peu près des territoires. L'expansion géographique n'est pas sa première préoccupation. Surtout quand il s'agit de s'encombrer de territoires ravagés par la guerre qu'il faudra soutenir à grands coups de subventions. Une très mauvaise affaire économique en perspective. Si on se limite à la géographie, ça ne rime donc vraiment à rien cette guerre. L'historienne Hélène Carrère d'Encausse, avec la quelle je suis pourtant rarement d'accord, avait d'ailleurs bien vu cela, il y a 3 ans.
La vérité, c'est que l'objectif initial était simplement politique. Il s'agissait de prendre Kiev, de renverser Zelensky puis d'installer un gouvernement fantoche à la botte de Moscou. Et cet objectif premier, il est toujours dans la tête de Vladimir Poutine, le colin froid.
Il déteste l'Ukraine et les Ukrainiens, c'est évident. Mais c'est beaucoup moins parce qu'ils occupent des terres originellement russes, mais, plus simplement, parce qu'ils veulent rejoindre l'Europe et vivre sous un régime démocratique.
Et cela, c'est intolérable pour le colin froid. Il veut maintenir, à tout prix, une emprise de la Russie sur tous ses Etats voisins. D'où ses ingérences en Transnistrie-Moldavie, en Géorgie et dans tout le Caucase. Une manière de ressusciter l'ancienne U.R.S.S. et ses anciennes Républiques totalement inféodées au Kremlin.
Aux yeux de Poutine, ce qu'il ne faut surtout pas, c'est que, juste à côté de la Russie, émerge un Etat démocratique, une expérience sociale et économique réussie qui ferait de l'ombre au pouvoir russe. Par rapport à cet objectif prioritaire, la question des territoires est presque secondaire. Renverser le gouvernement Zelensky et le remplacer par d'obéissants pro Kremlin, c'est la préoccupation essentielle et première de Poutine. Le reste, la Crimée, le Donbass, ça ne vient qu'en second.
Ce qui m'inquiète, c'est que dans le camp occidental, on ne semble pas du tout comprendre cette stratégie de Poutine. On se met même à croire à sa fable de l'Occident agresseur initial et aux "garanties de sécurité" qu'il faudrait donner à la Russie. Et déjà, on laisse entendre que Trump s'engagerait à ce que l'Ukraine ne rejoigne pas l'OTAN avant 30 ans. Et quant à l'Union Européenne, on saura aussi faire traîner les choses quelques décennies.
C'est exactement le contraire qu'il faudrait faire: on devrait plutôt dire qu'on va hâter les adhésions. La population ukrainienne accepterait alors moins mal d'éventuelles pertes de territoires (alors qu'elle en fait toujours, aujourd'hui, une exigence très forte).
Mais à différer ces adhésions à l'OTAN et à l'U.E. aux calendes grecques, on fait exactement le jeu de Poutine. Même s'il fait des concessions territoriales, il pourra dormir tranquille, il aura tout son temps et toutes marges de manœuvre pour déstabiliser et croquer l'Ukraine.Images de Stefan ZECHOWSKI (1912-1984), Francesca WOODMAN, Zdzislaw BEKSINSKI, Alfred KUBIN. Je précise que je suis une fan du peintre Zechowski. Il est absolument inconnu, je crois, en Europe de l'Ouest. Mais je crois aussi que sa peinture y heurterait trop: qu'est-ce que c'est que ces horreurs ?
- Julian SEMENOV: "A l'Ouest, le vent tourne". Le tout dernier bouquin traduit du célébrissime (en Russie) auteur (1931-1993) de romans policiers sophistiqués. Il faut savoir que Poutine s'identifiait à son héros (Von STIERLITZ). Pour comprendre un peu la Russie d'aujourd'hui, il faut lire Semenov. C'est effectivement très fort et pas du tout manichéen. Ce dernier livre se passe au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il permet aussi de considérer l'Ouest différemment.
2 commentaires:
Poutine voulait faire de l'Ukraine une grande Biélorussie, avec à sa tête une sorte de Loukachenko bis, par exemple Medvedtchouk (https://fr.wikipedia.org/wiki/Viktor_Medvedtchouk).
Ça n'a pas marché, alors il s'est rabattu sur l'option B, amputer l'Ukraine de larges territoires, autant d'abcès de fixation qui l'empêcheraient de rejoindre l'Otan, et l'épuiser par une guerre longue et coûteuse en hommes et en matériel.
Je viens de lire le roman historique, très bien documenté, d'Olivier Norek, sur la guerre soviéto-finlandais de l'hiver 39-40, "Les guerriers de l'hiver", et les parallèles avec l'actuelle guerre en Ukraine ne manquent pas.
Merci Nuages,
Je pense que la conquête territoriale ne suffira pas. Une Ukraine amputée demeurerait dangereuse, aux yeux de la Russie, si elle avait un gouvernement démocratique rattaché à l'UE et à l'OTAN. La priorité de la Russie, c'est quand même de renverser le pouvoir en place et de le remplacer par des fantoches inféodés à Moscou. C'est la tactique russe en Moldavie, Géorgie, Biélorussie. C'est pourquoi, je me méfie des fausses paix reposant sur un compromis territorial mais avec des concessions politiques.
On peut même imaginer qu'à l'extrême, la Russie se retire du Donbass et de la Crimée. Mais si elle le fait avec la garantie que l'Ukraine ne rejoindra jamais ni l'UE, ni l'OTAN, ce sera un parfait jeu de dupes. C'est ce qui m'inquiète.
Quant à Olivier Norek, il fait partie des bouquins de ma "pile en attente".
Quant à moi, je dois prochainement me rendre chez vous, c'est à dire à Anvers. Je m'y prépare en lisant un tout récent bouquin de Michael Pye: "La Babylone de l'Europe". C'est fascinant On a oublié qu'Anvers a été, au 16ème siècle, la grande ville du monde.
Bien à vous,
Carmilla
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