Des "aventures" sexuelles, on en a toutes/tous d'abord pour se rassurer, pour pouvoir se dire qu'on est encore en course dans la compétition féroce qui se joue en la matière.
L'érotisme contemporain, il est sélectif, discriminant. Exit, les moches, les vieilles et les coincées. Et puis, il faut, à tout prix, être une fille sympa, spontanée, qui ne fait pas d'histoires pour coucher et aime simplement prendre son pied. C'est la sexualité hygiène, les tordues et les compliquées, on n'aime pas ça.
Alors, les femmes cèdent maintes et maintes fois, pour avoir la paix et pour se conformer à l'air du temps. On se plaint d'être harcelée mais qu'est-ce qui se passe en nous quand on cesse de l'être ? C'est terrible de devoir se poser cette question: c'est une manière de légitimer les rapports d'agression, même s'ils sont feutrés.
C'est la grande hypocrisie de la modernité. Finie la vieille morale chrétienne, on serait sexuellement libres, on aurait retrouvé l'érotisme joyeux et désinhibé de l'Antiquité, celui des Grecs et Romains et de leurs Dieux.
Cette nouvelle liberté, c'est discutable. D'abord parce que si on se penche sur l'admirable littérature libertine qui a fleuri, en France, au 18ème siècle, on se dit que la Liberté des mœurs était peut-être, à cette époque, encore plus grande même si elle ne concernait que la fraction privilégiée de la société. Et il ne s'agissait pas seulement, à cette époque, de conquérir les corps mais aussi, et surtout, les esprits.
Et puis, nos désirs et fantasmes sont aujourd'hui pauvres et répétitifs, ultra codés et normalisés. On vit dans une grande société Instagram/Facebook dans la quelle chacun exhibe sa misérable existence: on y jouit de ressembler à tous les autres, de brandir les colifichets de sa réussite, d'exhiber son bonheur béat: celui d'une vie "cool" dont les mots d'ordre sont lâcher prise et ne pas se prendre la tête.
On vit sous un Diktat absolu, celui de la jouissance, d'une sexualité simple et spontanée. Ce serait la renaissance de l'esprit grec, de l'esprit Dyonisiaque, celui d'un érotisme innocent. C'est ce qu'exprime Pierre Michon (un écrivain peu connu mais, étrangement, "Nobelisable") dans son dernier bouquin: "J'écris l'Iliade".
J'avoue que ça ne me convient absolument pas, cette joyeuse et fausse liberté sexuelle. Parce que je crois avant tout à l'interdit et à la culpabilité qui lui est liée. Il n'y a rien de simple dans le désir, on se sent toujours coupables et, en ce sens, je n'adhère aucunement à l'allégresse grecque.
J'ai été marquée, en ce sens, par deux bouquins de Pascal Quignard, un écrivain résolument inactuel: "Le sexe et l'effroi" et "La nuit sexuelle".
Il dénonce d'abord cette idée que notre morale sexuelle, imprégnée de crainte et de culpabilité, serait directement issue de notre éducation judéo-chrétienne.
Il y aurait plutôt eu une mutation, durant la période courte du règne de l'Empereur Auguste (27 avant JC à 14 ap.), du vécu de la sexualité chez les Romains. De la vision joyeuse des Grecs, on aurait brutalement basculé dans une perception angoissée. A la jouissance simple, se serait substitué le désir compliqué.
Et c'est vrai qu'à la différence des Grecs, les Romains sont devenus, en la matière, tout sauf des rigolos. L'image habituelle de libertins débauchés ayant entraîné la décadence de l'Empire est entièrement erronée.
La réalité, c'est que la sexualité romaine s'est trouvée brusquement liée à la peur, l'effroi et la mort. En atteste, notamment, la production picturale des fresques de Pompéi.
Et ce ne serait donc pas le Christianisme qui serait à l'origine de notre pudibonderie et de notre morale sexuelle mais l'Empire romain qui, depuis Auguste, a abandonné les principes de la République. Notre morale judeo-chrétienne, ce serait donc de la Morale Empire romain faite d'interdit, violence, peur, prédation et, paradoxalement, d'obsession sexuelle.
Ce n'est pas gai mais je préfère ça au naturalisme et à l'hygiénisme bêtas que l'on tente aujourd'hui de promouvoir. la sexualité n'a rien de naturel, on est tous travaillés par l'angoisse et la peur.
Et puis passer de la jouissance au Désir, aborder la mélancolie et l'angoisse, ça a aussi permis la naissance de l'Art. L'Art qui est d'abord une manière de conjurer la Mort. L'Art qui cherche à faire désirer mais surtout pas à faire jouir.
Alors oui ! Je suis indubitablement Romaine. Et même peut-être puritaine. D'abord, parce que coucher, faire l'amour, quoi qu'on dise, ça fait toujours peur, c'est d'abord angoissant. Et aussi parce que le plaisir est lié, pour moi, au puritanisme qu'il transgresse. Finalement, je crois au Mal et à la culpabilité. L'amour, ce n'est pas simplement festif. Et d'ailleurs, les plus belles amours sont, en fait, les amours coupables voire tragiques.
Images de fresques romaines, notamment de Pompéi.
Je recommande:
- Pascal Quignard : "Le sexe et l'effroi" et "La nuit sexuelle". Deux très beaux livres qui bouleversent bien des idées reçues.
- Jean-Claude Guillebaud : "La tyrannie du plaisir". Un livre déjà ancien (2000) mais qui pose bien la question de l'interdit dans la morale sexuelle et qui, surtout, remet en cause l'image débauchée et libertine que nous avons des Romains.
- Paul Veyne ; "Sexe et pouvoir à Rome". Le grand spécialiste du monde romain nous donne ici une toute autre image, celle d'une société plein de tabous, à mille lieues de celle des bons vivants, des décadents, libres dans leurs pensées et leurs mœurs.
- Pierre Michon: "J'écris l'Iliade". Un bouquin que je n'ai pas aimé mais que je mentionne quand même parce que Pierre Michon a ses thuriféraires et qu'il figure sur la liste des "Nobelisables".
3 commentaires:
Bonjour Carmilla
Si tu veux conquérir les corps, il faut tout d’abord, que tu conquières les esprits. Et pour conquérir les esprits, ça prend de l’imaginaire, du merveilleux, il faut que tu apportes ton monde intérieur que tu auras cultivé pendant longtemps. Le plaisir ne s’achète pas, il se forge. C’est l’une des raisons pourquoi j’apprécie Pascal Quignard, tout en subtilité, en impression, comme une musique qui joue dans le lointain et que tu n’arrives pas à identifier, comme un corps qui passe furtivement derrière un jour de souffrance, comme une parole chuchotée dont tu ne défriches pas la signification mais qui t’intrigues. L’Univers qui échappe au banal. À la baise je préfère l’érotisme du temps long, celui qui vous surprend, qui vous étonne, qui vous tend la main pour vous amener sur les routes du hasard pour ne pas dire, du déroutement. Ce qui est très éloigné de la banale pénétration. Ça dépasse la biologie, et ce n’est pas quelque chose à part, parce que c’est ainsi qu’on agit dans nos sociétés dites modernes. On a fait de notre sexualité un domaine à part comme si c’était une maladie, comme si c’était un sujet fautif. Qui parle réellement de son érotisme, de sa sexualité, de ses sentiments ? Au cours de ma vie, je n’ai pas entendu beaucoup de discussions intéressantes sur ces sujets. Et lorsque qu’on en parle c’est sous le vocable de la plate plaisanterie comme si on avait honte, le sourire niait en coin, en prime. Si c’est cela la sexualité, je préfère ne pas en avoir, ma vie ne se résume pas à la plate banalité. Combien de fois, j’ai couché avec des femmes, où tout était interdit, ce fut très décevant, j’avais l’impression de voler un Norseman, avec le manuel d’opération sur les genoux. Ce qui est non seulement décevant mais fâchant. C’est sans doute ma plus grande part de déception envers cette humanité constipée. Il faudrait se surprendre, après cela, que les gens ont de la difficulté à s’assumer. Ce qui débouche sur des tentatives de séductions ratées pour se terminer par des disputes. Je n’ai visiblement pas de temps à perdre dans les marécages de l’amour, l’errance des sentiments, dans un désert de la sexualité aride. Tout cela parce que l’Église Catholique a copié de modèle social, mais encore pire, le modèle politique de l’Empire romain. Il n’y pas de différence entre un empereur et un pape, ils peuvent être aussi corrompu l’un que l’autre, ce qui fait que les papes ont remplacé les empereurs. La politique de l’église à Rome est plus intéressante que le sexe. Qui plus est, l’Église Catholique, et les autres religions ne sont pas en reste, peuvent affirmer n’importe quelle connerie, comme par exemple que la terre est plate, ce qui est déjà arrivé, et ne jamais s’excuser d’avoir dit une fausseté tout comme Le Blondinet à Washington et le Cousin à Moscou font quotidiennement. Quand est-ce que Trump et Poutine s’excusent ? Je n’ai jamais entendu l’Église s’excuser pour les massacres qu’elle avait commise lors des guerres de religions, pas plus que les chasses aux sorcières à l’époque de l’inquisition.
Merci Carmilla et bonne fin de journée
Richard St-Laurent
Pourquoi se sentir coupable ? Mais coupable de quoi ? Pourquoi se soumettre ? Si c’est pour acheter la paix comme vous dites, cette soumission volontaire ça s’appelle aussi de l’esclavage. C’est pourquoi j’ai recommandé l’ouvrage : Résister à la culpabilisation par Mona Chollet. Une paix qui s’achète c’est une paix qui ne dure pas. On n’achète pas la paix. Je suis d’accord avec cette journaliste, il faut résister à la culpabilisation. Ça me répugne ce sentiment qu’on est toujours coupable pour finalement s’empêcher de vivre sa vie. Qu’est-ce que vous désirez vous les femmes ? Je vous pose la question, question à laquelle je n’ai pas eu de réponse. Mais, j’aimerais bien en avoir une avant de mourir, surtout que ma fin se rapproche. Le malaise dans la civilisation est peut-être là. Je trouve qu’il y a comme une ambivalence malsaine, à agir ou à ne pas agir, à désirer et à ne pas désirer. Le problème n’est peut-être pas dans le sexe, mais dans le désir. Finalement dans la vie, il faut savoir ce qu’on veut, si non, passez votre chemin, et n’en parlons plus ! L’Occasion est trop belle, il est impératif d’en parler. Ça pourrait peut-être déboucher sur un autre genre de vie plus intéressante, moins douloureuse et triste. Je sais, présentement, c’est l’idéaliste qui parle en moi. Je pense en autre, à toutes ces femmes qui ont voté pour le Blondinet en Amérique. Nous ignorons ce qu’elles pensent, encore pire, ce qu’elles ressentent. Il est encore permis de souhaiter une humanité plus libre, plus joyeuse. J’aime beaucoup plus me faire dire non, lorsque j’amorce une relation, que soutirer un oui misérable, qui n’a rien d’une acceptation d’une personne libre. Supplier ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. Tout cela ce n’est pas de la séduction, c’est de la mauvaise manipulation. Vous l’avez bien dit nos désirs et nos fantasmes sont pauvres. Pourquoi on veut se soumettre et se faire contrôler sur ce que nous vivons, surtout sur notre sexualité. Tout ce que nous vivons présentement serait une fausse liberté ? Exit la jouissance libre et rieuse, et à la poubelle notre libre-arbitre. Ce qui m’a amené à ma révolte, je ne peux pas accepter cette situation, c’est imbuvable chez moi. Ce qui a débouché sur le fond de commerce de l’Église Catholique, la peur, l’effroi et la mort. Ils ont roulé là-dessus pendant des siècles. Être libre c’est d’avoir la possibilité de se révolter. Nous pouvons constater les résultats présentement aux USA dans un pays ultra religieux, puritain, inégalitaire et conservateur. Les femmes auraient dû être les canaris dans la mine, mais non, elles se soumettent en bonnes esclaves qu’elles sont.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Le problème, c'est que l'homme n'obéit jamais à des motivations spontanées et naturelles. On est tous façonnés par des interdits moraux et sexuels qui relèvent plutôt de notre inconscient.
Disons que notre sexualité est toujours bridée, qu'on ne donne jamais simplement libre cours à nos impulsions. La complète liberté sexuelle, ça n'existe pas et c'est sans doute préférable.
On vit pourtant aujourd'hui dans cette illusion. Mais on commence à se rendre compte que c'est finalement très normalisateur et que ça débouche sur la répétition et l'ennui.
On décrie les vieux interdits mais je ne pense pas qu'on puisse les effacer. Et puis, on peut également s'en accommoder parce que le plaisir est intimement lié à l'interdit et à sa levée temporaire. Les amours interdits, c'était largement le thème de la littérature libertine du 18ème siècle. Et finalement, contrairement à ce qu'on affirme, la question sexuelle n'a jamais été aussi forte qu'avec le Christianisme. On dit que la sexualité était réprimée mais, en fait, on en a jamais autant parlé. C'est ce paradoxe qu'a développé Michel Foucault dans ses derniers bouquins.
Bien à vous,
Carmilla
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