samedi 15 novembre 2025

L'Etrangère













J'ai vu, récemment, le film "L'étranger" de François Ozon inspiré par Albert Camus.

Je ne suis pas du tout une fan de Camus mais j'ai trouvé très bonne cette adaptation.

D'abord parce qu'elle ne ferme pas le jeu et qu'elle ouvre plein de pistes de réflexion sur ce que ça signifie "se sentir étranger". 

Cette question, je la vis, personnellement, très fort. Et ça n'est pas du tout, et peut-être curieusement, en raison de mes origines.

C'est d'abord parce que je n'ai aucune conviction et que je répugne profondément à m'engager en faveur de quoi que ce soit. Les grandes causes, ça me laisse à peu près de marbre. D'abord parce que je ne me reconnais dans, à peu près, aucune d'elles.

Et c'est pareil avec mon identité propre. Je ne me reconnais pleinement ni dans mon boulot, ni dans ma sexuation (je ne me sens pas une femme française). 

On pourra dire que je suis complétement égoïste, voire schizo. Et puis franchement inquiétante parce qu'on n'arrive pas à me cerner, m'identifier. Je vis, en fait, dans mon propre monde et ce qui lui est extérieur, je n'en ai pas grand chose à fiche. C'est, en ce sens, que je suis, en fait, "une étrangère".

Les militants des grandes causes, tous ceux qui veulent vous coller une identité, les "thuriféraires" du Bien, les passionnés d'une vie responsable, lisse et normale, je les trouve moralisateurs et ennuyeux, je ne me sens aucun atome crochu avec eux.

Camus prônait l'engagement, justement : pour pouvoir s'extirper de la banalité de l'existence et de son caractère absurde. C'était un peu son côté boy-scout, la transfiguration possible de la banalité, du Mal et de l'angoisse. 

Je n'aime pas les assignations, les définitions toutes faites. Je déteste qu'on me caractérise. Je suis une grande sceptique, je suis toujours un peu à côté de la plaque.

On est sommés de s'engager, d'être responsable, de rentrer dans le grand moule des identités avec un rôle bien défini. Même dans les tâches les plus humbles, on doit pouvoir trouver gratification et estime de soi. "Il faut imaginer Sisyphe heureux" écrit Camus.

J'ai bien du mal à adopter ce point de vue. Toute vie mérite d'être respectée, bien sûr, mais j'avoue que je serais bien incapable de dire ce qu'est la vie et ce qu'elle doit être. Et c'est encore pire pour l'amour, tellement les sentiments qui nous portent se révèlent contradictoires. On peut en arriver à aimer son pire ennemi.

Il faudrait savoir jouer un rôle, l'assumer. Mais est-ce que l'on attend vraiment quelque chose de moi ? Quel chemin, je dois emprunter pour être un homme, une femme, pour pouvoir arborer, à la fin, l'étendard d'une vie réussie.

L'indécision, le flou, l'incertitude prédominent chez moi. Et plutôt que de Camus, je me sens bien plus proche des écrivains d'Europe Centrale: Kafka et Musil en particulier. "L'homme sans qualités", c'est plutôt cela la réalité à mes yeux: l'indétermination générale d'une existence ballotée au gré des hasards et circonstances mais qui creuse patiemment un souterrain libérateur. 

Est-ce pour autant une vie médiocre ? Si j'avais su exactement ce que je voulais faire et qui je voudrais être, ma vie aurait, évidemment, pris un autre cours. Mais je n'en attendais rien de particulier et je me suis donc laissée porter par les événements et le Hasard. Quitte à m'adonner à ce pour quoi je n'étais pas forcément disposée (notamment ma profession).  Ce qui nous instruit finalement, c'est le surgissement brutal, au sein de la médiocrité ou de l'ennui, du Hasard et de l'accident.

Tableaux de Jeanne Mammen  (1890-1970). Jeanne Mammen est assez peu connue en France. Mais elle a incarné, dans les années 20, la période "rugissante" de la toute nouvelle République de Weimar. Surtout, elle a promu une image entièrement nouvelle de la féminité, faite de pouvoir et d'ambiguïté. Je m'y retrouve assez.

S'agissant de mes recommandations littéraires, j'avoue être moins sensible à Camus et Sartre (que j'ai d'ailleurs à peine lus) qu'aux écrivains d'Europe Centrale Franz Kafka et Robert Musil.

Concernant Kafka, il faut vraiment se pencher sur la monumentale biographie que vient de lui consacrer Rainer Stach. C'est énorme mais on apprend vraiment énormément de choses sur les mentalités de l'ancienne Autriche-Hongrie.

Mais l'un de mes écrivains favoris, c'est, au final, Leo Perutz. Lisez "Le tour du cadran" et "Où roules-tu, petite pomme ?".

Et enfin, je recommande le tout récent bouquin du danois, Jens Christian Grondhal: "Au fond des années passées". Lire Grondhal, c'est toujours agréable et intéressant. Il représente bien cette littérature danoise riche et originale mais assez méconnue. Un homme retrouve, plus de 30 ans après, un amour de jeunesse. C'est d'abord très troublant mais ça se transforme en un jeu de pouvoirs et de trahisons. Mais après une chute, on peut aussi choisir la vie.


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