samedi 20 décembre 2025

Des bandes dessinées



Quand je me suis tout à coup retrouvée, enfant, dans une école française, ça a été un traumatisme terrible.

Je ne comprenais absolument rien et j'avais l'impression que tout le monde se moquait de moi, de mon air ahuri et de mes balbutiements. La terreur,  c'étaient les récréations pendant les quelles j'essayais de me cacher dans un coin: pourvu que personne ne s'adresse à moi !  Je n'avais trouvé de copine qu'une autre paumée comme moi, une fille sotte qui faisait office de traditionnel bouc-émissaire.

Ma sœur s'adaptait mieux que moi, elle était bien plus sociable. Moi la sauvageonne, je suppliais mes parents de me retirer de cet Enfer. 

Et puis, un déclic s'est un jour produit. Une prof compatissante m'a prêté des bandes dessinées, des Tintin et des Astérix. Ca m'a d'abord beaucoup intriguée parce que, dans le monde communiste, on ne connaissait pas du tout ça.

J'ai commencé à les feuilleter et puis j'ai accroché et je me suis, finalement, mise à les dévorer. J'ai alors lu, à toute allure, tout Tintin et tout Astérix.

Le premier résultat, ça a été qu'en quelques mois, j'ai réussi à accrocher la langue française. Au point même que je faisais, rapidement, moins de fautes d'orthographe que mes camarades (mais ça, c'est, en fait, parce que je n'ai pas de rapport affectif à la langue française).

Je suis donc reconnaissante à la bande dessinée de m'avoir permis de me sauver de la noyade, d'émerger et de finalement tracer ma route. Et j'ai continué de m'intéresser à la bande dessinée, celle destinée aux adultes, d'une esthétique vraiment très novatrice en France et en Belgique. Et j'en lis encore aujourd'hui même si je n'en parle pas dans ce blog. 

Mais je continue de vénérer Tintin. Astérix, j'y suis moins sensible. D'abord presque tout est historiquement faux et on ne peut pas effacer, d'un grand coup de torchon l'exceptionnelle culture romaine, tout de même supérieure à la Gaule. Et puis, j'ai du mal à apprécier ce côté franchouillard et faussement rebelle, cette prétention à être plus malin que les autres. Et aussi cet idéal d'une existence simplement conviviale, dont le bonheur final est de ripailler et se soûler joyeusement autour d'une grande table. On sait pourtant que les grands banquets, ça se termine généralement très mal.

Mais Tintin, même en étant une fille, j'arrivais à m'identifier. D'abord parce qu'il a à peine un visage et à peine un sexe. Pas de parents non plus ni de famille et puis un boulot très vague mais pas de problèmes d'argent. Je me vivais moi-même un peu comme ça à l'époque, une marginale sans identité. Mais ai-je vraiment changé aujourd'hui ?

Mais surtout, pour moi, Tintin, ça a été une figure morale. Il incarne, en effet, la Lutte absolue, sans concession, du Bien contre le Mal. Et il ne transige jamais, n'admet aucun compromis, aucune défaillance. Tintin, c'est la Loi morale absolue d'Emmanuel Kant et c'est ce qui m'a fascinée en lui. Cette influence tintinesque explique d'ailleurs, sans doute, que je sois devenue, à maints égards, une rigoriste pas toujours drôle.

Mais Kant était aussi le contraire de Tintin parce qu'il faisait confiance à la routine et n'a jamais voyagé loin de sa ville de Koenigsberg. Et Tintin, ce n'est surtout pas la répétition, c'est cela qui nous tue, c'est au contraire l'aventure, l'aventure vers le plus lointain et le plus dangereux. 


Le danger, ce n'est pas seulement ce qui nous fait frissonner, c'est ce qui nous construit en réclamant du courage. Mais le courage chez Tintin, ce n'est pas seulement une force de caractère. De cela, les brutes sont également capables mais, en fait, on n'est jamais courageux si on est du côté du Mal. Le courage, chez Tintin, il vise, en fait, uniquement ce qui est juste.

Et puis, aux côtés de Tintin, il y a des personnages extraordinaires: 

- le capitaine Haddock, un personnage vraiment en chair et en os, le plus humain de tous dans sa faiblesse (l'alcool, la colère) mais aussi dans sa générosité; 

- les Dupont(d)s, une extraordinaire illustration de la bêtise comme condamnation au Double et à la répétition: du Réel, on ne peut rien dire de plus que ce qu'il est, tout le reste est tautologie.

- Milou, comme contrepoint à son maître trop parfait; il est parfois faillible, il lui arrive de succomber à la tentation.

- Le professeur Tournesol dont le génie provient de son caractère imperturbable: avoir raison contre tout le monde, ne jamais douter de soi. 

- Abdallah, comme portrait du sale gosse, de l'enfant-roi d'aujourd'hui.

 - Séraphin Lampion, le prototype du "beauf", de la petite bourgeoisie montante, sans-gêne, plein d'assurance et vraiment casse-pieds. Un plouc mais finalement sympathique. 

Evidemment Tintin, ça n'a pas duré très longtemps chez moi. C'est trop asexué, désincarné et dès que j'ai ressenti mes premiers émois affectifs, je m'en suis détournée. Mais quand j'y repense aujourd'hui, je demeure impressionnée pat Tintin tant on y trouve de leçons d'humanité et de vie.

"Tintin au Tibet", c'est d'ailleurs le livre le plus moral de Tintin. Et il est imprégné d'une étrange fascination pour le Bouddhisme.

Mes albums préférés de Tintin sont, probablement, "L'oreille cassée" et "Les 7 boules de cristal". 

J'ai aussi aimé Gaston Lagaffe et Achille Talon. Plus tard, le très poétique Fred (Philemon et l'âne en atoll) et Mandryka (Le concombre masqué). Et bien sûr Gotlib, Druillet, Moebius et Sempé. Et aujourd'hui, Enki Bilal, Johan Sfar, Riad Sattouf, Mathieu Sapin, Nicolas Wild. Et parmi les femmes, après Brétecher, il y a eu Marjane Satrapi, Florence Cestac et Catherine Meurisse.

Et enfin, le Québecois Guy Delisle (un véritable grand reporter) et l'Américain Charles Burns (d'une étrangeté fascinante).

Enfin, concernant Tintin et Astérix, je conseille vivement 2 Hors-Série de Philosophie Magazine (qui demeurent faciles à trouver):

- Tintin au pays des Philosophes.

- Astérix chez les Philosophes.

Il existe enfin un bouquin du grand philosophe Michel Serres: "Hergé mon ami".


1 commentaire:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Vous m’étonnez, j’ignorais que vous aimiez les bandes dessinées. Mais, ce que je retiens de votre aventure, c’est le hasard de la rencontre, cette institutrice, qui vous a remarquée, et qui vous a prêté quelque chose d’intéressant, ce qui est important dans la vie d’un enfant, surtout s’il est hors de sa culture d’origine. Ces rencontres dessinées par le hasard, on appelle cela le destin. Vous étiez destinés a rencontré cette femme qui vous avait remarqué, et dont le rôle était de vous aider. C’est quand même quelque chose que de rencontrer sur sa route un mentor, et ce n'est pas donné à tous les enfants de ce monde. Au lieu de punir, on aide, on se porte vers, on lui donne sa chance. Combien d’enfants dans le monde ont eu cette chance de rencontrer un maître bienveillant qui les a aidés, pour les propulser vers un avenir stimulant pour atteindre la réussite ? L’idée des bandes dessinées étaient la bonne, ce qui vous a ouvert les portes d’une autre culture. C’est venu par la bande des bandes dessinées, qui font parties de la littérature mais aussi des arts du dessin. Construire un récit avec des images et des textes, rendre le tout attrayant, et surtout inspirant, c’est un beau cadeau à l’humanité. On peut faire passer beaucoup de messages dans une bande dessinée. Même les (on-dit) que les enfants arrivent à déchiffrer, comme une espèce de porte du secret qu’on se doit de franchir. Jadis, on considérait les bandes dessinées comme de la perte de temps, un manque de sérieux, parce qu’on avait été éduqué dans un cercle classique et qu’en dehors de ce cercle, il n’y avait pas de véritable éducation, que lire une bande dessinée, c’était perdre son temps. Pourtant, aujourd’hui ces bandes dessinées sont devenus incontournables. Les enfants apprennent partout et par seulement l’humour, mais aussi les autres sentiments ceux qu’on n’évoque pas toujours comme nous le devrions, la haine, la stupidité, la violence, la rancune, mais aussi les sentiments positifs comme l’amour, la générosité, l’encouragement, l’entraide, la ferveur du beau ; sans oublier l’art du dessin qui pour certaines personnes devient une révélation. Je reconnais que je ne suis pas un grand lecteur de bandes dessinées, car je n’ai pas été comblé par ce genre d’éducation ; mais je sais reconnaître cette forme d’art. Il faut voir les bandes dessinées pour adulte, l’esprit des dessins, des couleurs, des formes, et des histoires. Ce n’est sans doute pas pour rien, que vous êtes ouvertes aux arts et surtout pictogrammes, vous avez un sens de la beauté, vous ne faites pas juste regarder, mais vous sentez les messages de beautés que transmet les couleurs et les formes.
Merci pour votre texte joyeux et lumineux.
Bonne fin de journée Carmilla.
Richard St-Laurent