vendredi 4 janvier 2008

Eloge de l'Union Soviétique

















Check Point Charlie

Il était une fois un pays où régnait le bonheur. Ce pays, c’était l’U.R.S.S. de Brejnev, Andropov, Tchernenko. Là-bas, tous les besoins matériels de base étaient à peu près satisfaits mais sans excès ni profusion. D’ailleurs, la saturation capitaliste tue l’appétence et il était donc presque agréable d’éprouver la pénurie ponctuelle d’un bien, ce qui lui conférait un statut d’objet précieux, et de déployer des trésors d’ingéniosité pour se le procurer.

En outre, le règne de l’argent avait été aboli; la monnaie n’était pas un pouvoir d’achat mais un coupon d’échange. De fait, tout était rare mais à peu près gratuit : logement, opéra, théâtre, livres, transports. Des roubles, nous en avions tous à n’en savoir que faire, nous les entassions négligemment dans nos portefeuilles rebondis, sans craindre d’être volés. L'URSS était le seul pays où tout le monde était pauvre mais où tous les pauvres étaient riches.

Grisaille économique certes, vie médiocre sans doute mais au dessus de la pauvreté. Mais tout cela parfaitement supportable : pas de classe exploiteuse accaparant les richesses du pays, strict égalitarisme, nomenklatura réduite et miteuse contrairement aux clichés qui courent en Occident.

De plus, énorme contribution méconnue, c’est en URSS et non au club Méditerranée qu’a été inventée la civilisation des loisirs. Nous étions vraiment un grand camp de vacances sans l’angoisse du lendemain ni la pression du travail. Il fallait simplement faire vaguement acte de présence avant de vaquer à ses occupations personnelles et trafics divers puis de retrouver le soir ses copains dans la convivialité slave des interminables soûleries. Existence sans fardeau, délivrée de l’esclavage industriel et des emplois du temps imposés. Un monde parfaitement sûr et prévisible dont la reproductibilité à l’infini semblait certaine : la dictature, c'est la sécurité et la fin de l'histoire.


Circularité du temps, clôture, sécurité, cela était angoissant, mais il y avait des ouvertures, des appels d’air : je pouvais ainsi m'évader du monde, continuellement absente, sillonnant sans cesse l’URSS par le train de Vladivostok à Brest, voyageant sans but, errance infinie, simplement pour répondre à l’appel de noms magiques au tintement explosif : Arkhangelsk, Kazan, Samarkand, Omsk, Iakoutsk, Oulan-Oude…

Et puis nous vivions dans une bienheureuse ignorance de la « red tape », de la paperasserie bureaucratique, du contrôle social orwellien : pas d’impôts, pas de caisses de sécurité sociale, une comptabilité embryonnaire, un système juridique ignoré, pas de système bancaire, des paiements uniquement en liquide. En fait, une totale absence de « traçabilité » qui nous garantissait impunité et anonymat. Si l’on en éprouvait le désir, il était facile de « disparaître » en URSS pour une nouvelle vie, luxe inconcevable aujourd’hui.

Enfin, point le plus important, nous vivions dans l’innocence et l’irresponsabilité. Nous nous sentions totalement exonérés des difficultés du pays que nous imputions en totalité au grand Autre, au Parti. Rien n’est plus réconfortant psychologiquement que d’avoir un adversaire bien identifié, aveugle et obtus, que l’on peut continuellement tourner en dérision. Absence de culpabilité, assurance et confiance en soi, sentiment d’être libres de tout faire.

Mais non, sympathiques mais ignares nouveaux philosophes, l’URSS n’était pas cette sinistre prison que l’on se complait à décrire à l’Ouest. On pouvait même être très heureux en Union Soviétique, du moins si l’on ne nourrissait pas de grandes ambitions...

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