samedi 20 décembre 2008

Les petits chevaux du Dalarna

























Culturellement, la Suède a encore un temps d’avance. Elle préfigure notre avenir : le triomphe de la transparence et de l’hygiénisme. Avec un Etat maternant plein de sollicitude pour des citoyens sains et équilibrés. Pacification, domestication maximales, éradication complète du crime. Tout est adouci, feutré, sans aspérités ; même mon plat favori, les harengs, a un arrière goût sucré de cannelle.


Les choses vont même au delà des prohibitions anecdotiques et aujourd’hui universelles sur le tabac et l’alcool ; elles touchent plus profondément à la relation entre les sexes. A Stockholm, on remarque une femme qui porte une jupe. Si en plus, elle est maquillée ou porte des talons, elle est soit une prostituée, soit une touriste. Quand on vient de Moscou, le contraste est saisissant.



Andy JULIA

Lors de mon premier séjour en Suède, je m’étais dit que j’y ferais fortune en ouvrant une boutique de lingerie fine. Mais c’était sûrement une fausse bonne idée et j’y aurais sans doute rapidement fait faillite. Ici la séduction est proscrite ; on affirme le naturel, la simplicité et la vérité de l’individu. Le modèle sexuel n’est même pas l’androgynie, c’est l’atonie, la dépression du désir. Du reste, dans cette espèce d’indifférenciation, les femmes deviennent étrangement transparentes.

De prime abord donc, ces suédois trop clairs, trop évidents, si prosaïques, sont bien éloignés de moi, Carmilla la vampire, qui n’aime que les déglingués et les déjantés. Qui ne vois l’amour que comme une transgression.


Pourtant, j’ai un jour remarqué que leurs deux plus célèbres artistes, l’écrivain Strindberg et le peintre Josephson, sont morts après avoir sombré dans une folie totale.











Andy JULIA

Et puis, j’ai appris l’existence de ces groupes, pas seulement de jeunes, qui disparaissent soudainement, fuient la civilisation et se retirent au fin fond d’une forêt, au bord d’un lac, là où personne ne pourra jamais venir les chercher. Et il est vrai que c’est encore l’un des rares pays au monde où l’on puisse vivre dans une solitude absolue.

J’ai appris un mot : le « stamning » ; c’est un peu une mélancolie heureuse de la nature ; une relation symbolique, ritualisée, non utilitaire avec elle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Linné était suédois. J’ai alors compris que les orchidées, au nombre de 37 sur l’ile d’Oland, ne sont pas des fleurs, mais le réceptacle d’un secret, que le bouleau n’est pas un arbre, tel que peut le percevoir un français, mais une légende, la source de la lumière au sein de la forêt. Et que la forêt elle-même n’est pas un regroupement d’essences diverses mais un immense organisme vivant, fabuleux et terrifiant, peuplé de nains, de sorcières et de trolls.

Tony Murphy

Alors, une année, il n’y a pas si longtemps de cela, j’ai voulu faire l’expérience et je suis partie moi aussi, au hasard, tel Nils Holgersson, dans la nature immense, errant de fermes en fermes dans la province suédoise. Je me souviens de la lumière blanche et rasante des soirs d’été, des grands aplats de couleurs, ocre, mauve, bleu, blanc, de la géométrie des fleurs, du bruissement incessant des insectes, rythmé par le battement des pales des moulins. Et puis les paysans suédois tellement différents de leurs homologues français ; des paysans poètes, érudits, dotés d’impressionnantes bibliothèques, vivant dans des maisons de bois revêtues de peinture mélangée à du cuivre.














Se perdre pour mieux se retrouver, tel est le sens de l’errance. J’ai terminé mon périple au Dalarna, la Dalécarlie en français, dans cette province située au Nord-Ouest d’Uppsala, où l’on fabrique ces petits chevaux de bois peint, symboles de la Suède.

Je me suis arrêtée à Falun, tout près de la maison du peintre Carl Larsson. Carl Larsson résume extraordinairement la mentalité suédoise et il semble démontrer, au rebours de tous les principes aujourd’hui admis, que l’on peut faire aussi de l’art avec de bons sentiments.




































Impossible d’imaginer endroit plus paisible, plus bucolique, que Falun et la maison de Larsson. Même moi, j’ai failli y devenir écologiste.

Chose très étrange. L’une des très rares photos que l’on possède de Ben Laden adolescent a été prise à Falun où il passait des vacances avec sa famille dans les années 70.
























Carl LARSSON

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