samedi 28 mars 2009

L’assassinat de la langue maternelle



Je vis dans une effrayante cacophonie linguistique. Il y a d’abord le français, ma langue dominante que j’ai bien du mal à maîtriser. Et je suis, évidemment, continuellement submergée par le polonais et le russe. Et puis, l’anglais et l’allemand s’invitent aussi. Enfin, de grands pans de persan, une salade de toutes les langues slaves (le tchèque, l’ukrainien, le slovaque, le serbe, le bulgare), des bribes de suédois et maintenant de japonais. Une foule de mots se pressent en moi, envahissent mes rêves, me font vaciller. Ils m’échappent complètement, ce sont eux qui s’imposent, ils me submergent, me dépassent. Le pire, c’est que, parfois, je les mélange tous, ce qui suscite l’hilarité ou la perplexité de mes interlocuteurs.


















De mon désarroi, je trouve la traduction et la pacification chez le dessinateur de mode Erté. Il tombe aujourd’hui dans l’oubli mais il a, pour moi, porté l’Art Déco à son meilleur niveau. Il était d’origine russe, né Roman Petrov de Tyrtov (Роман Петрович Тыртов), et s’interrogeait sur son appartenance linguistique et culturelle avec, en plus, la transposition d’alphabets, du cyrillique au romain, qui n’est pas complètement évidente.


On connaît surtout son alphabet constitué de formes féminines, gracieuses, élégantes. Mais, comme l’a dit Roland Barthes dans le texte qu’il a consacré à Erté, ce ne sont pas les femmes qui s’adaptent aux lettres, ce sont les lettres et la langue qui sont femme.





















« La femme semble prêter à la lettre sa figure; mais en retour, et beaucoup plus sûrement, la Lettre donne à la femme son abstraction: la silhouette est un produit essentiellement graphique : elle fait du corps humain une lettre en puissance, elle demande à être lue ».


Il est vrai que l’accès au langage est initié par la mère. Dès lors, rompre avec la langue maternelle sera toujours rompre avec le monde incestueux de la famille, des racines, du pays natal.


On parle souvent de prédispositions pour l’apprentissage des langues étrangères et au-delà pour l’écriture, l’écriture poétique, romanesque.

Les choses me semblent beaucoup plus simples et engagent, me semble-il, notre capacité à rompre nos attaches familiales et à briser les schémas dominants.
Bref, il faut savoir tuer sa mère.

Erté

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