dimanche 21 juin 2009

Téhéran, mon amour


Samira Makhmalbaf (سمیرا مخملباف)














Beaucoup le savent : la révolution est en marche en Iran ; mais il ne faut pas se méprendre : la révolution n’a pas commencé, il y a quelques jours, avec les élections. C’est un bouillonnement social, une effervescence démocratique qui remontent à plusieurs décennies, peut-être jusqu’à Mossadegh.



Les mollahs ne s’étaient attachés qu’à détourner puis écraser cette ébullition. Je ris quand certains journaux français évoquent le fort soutien populaire dont continue de bénéficier le régime. On reproduit le même aveuglement, la même ignorance que pour l’ancien empire soviétique autrefois supposé éternel. La vérité est qu’on exècre les religieux en Iran (relisez « Hadji Aghah » de Sadegh Hedayat) et qu’on ne veut pas plus de Moussavi que d’Ahmadinedjad ou de tous les autres guignols islamistes. On aspire simplement à un gouvernement normal, ouvert sur le monde et qui ne fasse plus honte sur la scène internationale.
















Prédire la chute des religieux n’a rien d’une prophétie hasardeuse. Simplement, on ne sait pas précisément quand et sous quelle forme ça se produira.


Mais les faits sont là. Contrairement aux idées reçues, celles diffusées notamment par les adeptes du « choc des civilisations », l’Iran est un pays étonnamment moderne. Le grand mérite des livres de Marjane Satrapi est justement d’avoir révélé cette modernité à ses lecteurs. Les principaux indicateurs de l’Iran rejoignent ainsi ceux des pays occidentaux : le taux de natalité en particulier, alors que le pays était, récemment encore, confronté à une explosion démographique; l’alphabétisation est bientôt achevée et l’accès à l’enseignement supérieur largement répandu. Surtout, les universités sont de bon niveau et la proportion des femmes les fréquentant y est supérieure à celle des hommes. Enfin, l’Iran est parmi les premiers pays au monde pour le nombre de connections à l’Internet. Tout vient conforter un irrésistible bouleversement démocratique.

Surtout, il faut aller sur place, se rendre individuellement dans ce pays magnifique. Depuis une dizaine d’années, c’est très facile et ça ne pose aucun problème. C’est même d’une sécurité presque absolue. Pourtant, je dois être l’une des très rares françaises qui va régulièrement passer des vacances en Iran sans motif particulier. Bien sûr, mes collègues pensent que j’ai des goûts bien sinistres et austères (vu mon look, on ne me soupçonne quand même pas d’être une convertie à l’Islam). Mais non, j’y vais pour m’y amuser et faire la fête et je m’y ennuie sans doute moins que dans leur Club Méditerranée. Car on s’amuse en effet beaucoup en Iran. Ca fait partie des incidences paradoxales des dictatures : une schizophrénie collective, un détachement complet de la sphère publique ; en compensation, une attention extrême accordée aux relations sociales et amicales, une exacerbation émotionnelle et festive permanente. Lisez à ce sujet Nahal Tajadod (l’épouse de Jean-Claude Carrière) : « Passeport à l’iranienne ».


Le pays des paradoxes. Lorsque vous débarquez à Téhéran, dans une lumière continuellement aveuglante, vous avez tout de suite un premier choc : alors que vous vous attendiez à être noyée dans un océan de barbus sinistres, vous découvrez tout à coup que l’Iran est le pays des femmes. Elles sont partout, dans la rue, les bureaux, les entreprises, slalomant comme des cosaques dans les embouteillages monstrueux au volant de leur BM 2002 retapée.

Elles arpentent fièrement l’avenue Jordan, la Vali Asr ou la Gandhi ou les ruelles du bazar de Tajrish ; splendides, sexy en diable, sensuelles, enjôleuses, un sourire ravageur. Leur exhibition est « un pied de nez permanent à la censure » islamiste, comme le dit si justement Delphine Minoui dans son remarquable petit livre « Les pintades à Téhéran ».



Mieux qu’un livre sentencieux de géopolitique internationale, « Les pintades » met en évidence l’imminence de la révolution. Et celle-ci viendra des femmes…

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