samedi 25 juin 2011

Le mentir vrai


Etrange succès du film iranien « Une séparation » d’Asghar Farhadi.

Il n’est pourtant pas dans l’esprit du temps, qui se revendique vertueux et transparent.

Tout le monde ment en effet dans ce film mais tout le monde ment de bonne foi, si l’on peut dire.

La vérité est relative, un effet de perspective, avec des retournements continuels. Les bons se transforment en crapules mais la crapulerie n’est pas non plus l’apanage d’une classe sociale. Elle concerne aussi bien les pauvres que les riches.


Le dilemme moral est incessant mais on n’en sort jamais car il est indécidable.

C’est peut-être ça qui est déprimant. En tous cas, ça devrait faire douter tous les professeurs de vérité, tous ceux qui clament sans cesse leur absolue intégrité et transparence.

Ce sont ces gens là que je n’aime pas, dont je me méfie le plus, tous ceux, innombrables, qui affirment ne mentir jamais. L’acharnement à se proclamer pur a pour base l’intolérance et l’étroitesse d’esprit.


Soyons objectifs : nous sommes des menteurs nés. L’identité, la personnalité en laquelle nous nous reconnaissons est constituée de toutes les fictions que nous avons composées, de toutes les fables que nous avons agencées. Le récit que nous exhibons de notre vie est mensonger, évidemment composé à notre avantage pour conforter notre narcissisme, une cascade de petits arrangements avec nous-mêmes et les exigences sociales.

L’espèce humaine, c’est l’espèce fabulatrice, dit très justement Nancy Huston. La conscience, l’individu, ce n’est pas du tout le reflet de la réalité, c’est une fiction, le scénario que nous avons petit à petit rédigé. Nous tombons parfois malades parce que nous ne voulons pas dévier d’un scénario que nous avons décrété unique.

Mais c’est bien en nous délivrant petit à petit du réel et de la vérité que nous parvenons à conquérir progressivement notre identité et notre autonomie.


Le réel et la vérité sont en effet destructeurs, appauvrissants. C’est en apprenant à maîtriser le réel, à manipuler les signes, en apprenant à mentir donc, que nous parvenons à une intelligence du monde.

Soumis au diktat de la vérité, nous dépérissons, affectivement, intellectuellement. Savoir reconnaître sa part d’ombre, sa propre duplicité, sa propre crapulerie, ce n’est pas seulement faire preuve de lucidité, c’est s’ouvrir à la richesse et à la complexité de la vie.



Max PECHSTEIN

Emil NOLDE

Je renvoie aussi aux très beaux livres de Nancy Huston : « L’espèce fabulatrice », et France Huser : « La triche ».

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