dimanche 24 juillet 2011

La mauvaise mère


J’ai vraiment bien aimé le film d’Eva Ionesco, « My little princess », avec Isabelle Huppert comme actrice principale. Ce qui est d’abord passionnant, c’est que c’est un regard authentique puisqu’Eva parle, sans médiation, de sa relation avec sa mère, la célèbre photographe des années 70, Irina Ionesco.



La mère utilisait sa fille comme modèle et la faisait poser, dès l’âge de 4 ans, avec des attitudes et des tenues clairement érotiques. Même à cette époque, ça a commencé à faire scandale.

Facile évidemment à partir de là de broder sur l’enfance brisée et la perversion pédophile, ce que ne fait d’ailleurs pas Eva Ionesco.


A contre-courant, j’aurais tendance à penser que la relation d’Irina Ionesco à sa fille est une bonne expression, sous une forme simplement exacerbée, de l’éducation « moderne ».

Est-ce qu’on ne vit pas en effet dans un monde sur-érotisé, se croyant affranchi des vieux tabous, une grande pornographie généralisée où le désir est partout et nulle part à la fois ? Un monde où, paradoxalement, la profusion du désir va de pair avec son indifférence.


Est-ce que surtout les relations parents-enfants et surtout mère-fille ne deviennent pas de plus en plus fusionnelles, plus incestueuses ? On se dit tout, on ne se cache rien, on est pareilles, on sort ensemble. De plus en plus, la fille est une projection narcissique de sa mère, son double fétichisé. Et c’est très satisfaisant pour la mère : comme ça, elle a l’assurance que sa fille ne sera jamais une rivale puisqu’elle ne saura désirer qu’à travers elle.

La mauvaise mère, ce n’est donc pas tellement la mère répressive, celle qui punit, c’est plutôt celle qui entretient la confusion, celle qui brouille les codes, les différences. C’est celle qui prétend être comme vous ; mais en disant cela, elle vous confisque votre identité, se l’approprie, pour vous confiner dans l’espace familial, vous empêcher de désirer, de vous ouvrir à l’autre.

Cette mère insidieusement dévorante, elle est très répandue aujourd’hui : souvent sympathique, « moderne » et en apparence pleine d’amour. Une tueuse en réalité qui cherche à éliminer toute concurrence. Et le meilleur moyen de tuer le désir, c’est de niveler les différences.


Il est vrai que l’époque se prête à l’éclosion et à la prolifération de ces mères insidieusement dévorantes avec l’effacement des barrières des générations et des sexes. Je pense d’ailleurs que l’hystérie anti-pédophile actuelle et l’angoisse accrue devant l’inceste sont des réactions face à une menace d’indistinction généralisée.


A contrario, je crois que la bonne mère, c’est celle qui vous permet de conquérir votre autonomie, votre indépendance; celle qui vous autorise à désirer par vous-même, à engager le jeu de la séduction.

Elle n’est peut-être pas la plus compatissante mais elle maintient toujours la bonne distance. Et je crois vraiment que cette mère hautaine et lointaine est préférable à la bonne copine de l’éducation moderne.




Georges LEPAPE, le grand dessinateur de mode des années 30, aux côtés de Paul POIRET.

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