vendredi 28 juin 2013

La forme érotique de la haine



Comme j’aime les chiffres, je consulte régulièrement les statistiques de mon blog.


Ca semble encourageant, ça progresse régulièrement. Mais je me suis rendu récemment compte que c’était surtout parce que j’avais capté, ces derniers mois, une nouvelle « clientèle » : tous ceux, innombrables, qui fantasment sur les femmes slaves.


Parmi les mots-clés privilégiés d’accès à mon site, il y a en effet : femme russe à vendre, prostituée ukrainienne, masochisme. Ces trois mots-clés m’ont, à eux seuls, procuré plus de 5 000 visites en 1 an. Je trouve ça beaucoup. En plus, je suis répertoriée aux côtés d’une flopée de sites de rencontre de femmes russes.


Donc, il y a presque affluence sur mon blog et j’ai l’impression, certains jours, de devenir célèbre même si je trouve que Google est bien facétieux et même si toutes ces visites n’occasionnent pas beaucoup de commentaires ou de messages.


Si j’étais féministe militante, je réclamerais qu’on fasse la traque à tous ces types qui recherchent sur Internet une femme russe à vendre ou une prostituée ukrainienne. J’exigerais ensuite, évidemment, qu’on les punisse lourdement.


Mais moi, ça m’amuse plutôt et je n’entretiens aucune animosité envers ces visiteurs libidineux, d’autant plus que je suis convaincue qu’ils sont, presque tous, inoffensifs : entre un fantasme et sa réalisation, il y a un abîme presque jamais franchi.


J’ai l’impression seulement qu’ils doivent être généralement déçus quand ils découvrent mon blog. Il y en a quelques-uns, quand même, qui m’ont écrit gentiment que je devais être terriblement conne et prétentieuse et que si toutes les filles russes étaient comme moi, ils allaient se dépêcher de ranger leurs cannes à pêche.


Ca, en revanche, ça me vexe un peu parce que si j’ai une seule prétention, c’est bien d’être représentante de la culture slave.


Mais j’ose aussi espérer que parmi ceux qui ont tapé « femme russe à vendre » ou « prostituée ukrainienne », il y en a certains qui aiment mon blog.


Parce qu’au fond, soyons objectifs. C’est une erreur, partagée par beaucoup de femmes, de considérer que la population masculine se divise en deux : les mecs bien et les malades, les tarés. Mais en fait, parmi les hommes, il n’y a pas, d’un côté, les « normaux » qui ne lisent que « Le petit Prince » et sont aux bons soins de leur petite femme et, de l’autre, les pervers qui délaissent leur famille et se repaissent de porno et de prostituées, cette seconde catégorie étant évidemment à éradiquer, rééduquer.


En réalité, le lecteur du « Petit Prince » fréquente, comme tous les autres, les sites pornos et rêve d’une prostituée russe. Ca, c’est la réalité de la psyché humaine : le désir n’a rien d’aimable et d’angélique et on est tous, hommes et femmes, envahis, submergés de fantasmes inavouables, de rêves criminels et assassins. On est simplement plus ou moins hypocrites vis-à-vis de ça, de cette part cachée de nous-mêmes, notre part maudite.


Il faut donc être bien arrogant pour mépriser le type (mon voisin, mon collègue ?) qui rêve d’humilier, d’avilir une fille russe ou ukrainienne. Ce n’est qu’un rêve et c’est communément partagé.


Mais pourquoi, tout de même, les hommes rêvent-ils obscurément d’humilier les femmes ? Sans doute parce qu’aujourd’hui, en dépit de tout ce qu’on raconte, la frustration sexuelle n’a jamais été aussi grande.


Les hommes n’ont plus le droit maintenant d’être des prédateurs. La pacification totale est en cours. C’est l’avènement de la société maternante et maternelle avec ses deux valeurs essentielles : le familialisme et la mièvrerie sentimentale.


Les hommes sont aujourd’hui « éduqués à mort », polis et bien propres. C’est la grande domestication et c’est sûrement vécu, par la plupart, comme une humiliation. Il est devenu interdit d’être machiste, grossier, violent, inculte, de se défoncer à la bière et aux Gitanes. Il n’y a plus qu’un défouloir : les matchs de foot.


Et c’est sûr que les filles deviennent de plus en plus insupportables, arrogantes, donneuses de leçons. Toutes exemplaires et vertueuses, pétries de grands idéaux, à la manière d’une Ségolène Royal. En plus, il est obligatoire de les aimer. Ca devient effrayant.


C’est peut-être le progrès civilisationnel mais il est évident que ça se paie d’une répression accrue des pulsions profondes.


Alors, ça donne évidemment lieu à beaucoup de rêves et à la recherche de compensations fantasmatiques.


Renverser la honte, se venger et triompher des humiliations subies, c’est à ça que servent les fantasmes pervers. On voudrait éradiquer la pornographie mais elle remplit une fonction apaisante et protectrice : elle permet de se sentir, pendant quelques instants, tout puissant, hors d’atteinte.


De victime, on devient bourreau. On transforme le traumatisme en victoire.


Quand on rêve, quand on fantasme, on succombe au plaisir mais aussi à la haine, une haine érotisée, magnifiée. L’excitation sexuelle, ce n’est pas la beauté qui la suscite, c’est le désir de faire le mal, d’humilier et d’offenser l’adversaire. C’est le plaisir de retourner l’humiliation en triomphe.


L’érotisme, ça n’est donc pas la joie, c’est la cruauté et la vengeance.



Images de femmes russes par mes photographes préférées : Nina Aî-Artyan, Anka Zhuravleva, Elena Oganesyan.

Par ailleurs, je ne prétendrai pas, dans ce post, développer des idées originales. Je recycle des thèses développées dans trois grands livres : « Malaise dans la civilisation » de Sigmund Freud, « L’excitation sexuelle » et « La perversion, forme érotique de la haine » de Robert Stoller.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Plus affûtée que jamais ,Carmilla ; comme on aime !
lola

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Lola !

Je ne suis pas sûre, toutefois, d'être bien originale dans ce post.

Carmilla

Anonyme a dit…

je suis tombé sur votre blog en tapant "une nouvelle cliente" dans google image, dans l'espèrence de trouver une image représentant "une nouvelle cliente" pour le travail que j'exerce.

Pourquoi ai je cliqué sur cette image, "la forme érotique de la haine".
attiré par son titre ou par l'image ? je ne serai pas encore répondre.

J'ai cliqué ...
Un blog sobre, des photos qui ne me laisse pas sans réflexion, et un texte.
Un texte que d'habitude j'aurai refusé de lire.
Par habitude j'aurai regardé les images en finissant par fermé cette page.

J'ai fini par ne plus regarder les images pour en lire le texte.

On aurai presque peur de vous répondre (le mec bien). Ou alors peut être envie de vous contredire (le mec malade).

Votre texte n'ai peut être pas des plus originale pour vous, mais je l'ai aimé et je tenez à vous le dire.

Vincent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Vincent pour votre sympathique message.

C'est sûr ! On est tous à la fois, hommes et femmes, des gens bien et des crapules. Il n'y a pas 2 catégories.

Carmilla